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Quand la droite de la droite est au pouvoir, le social a-t-il encore une place ?

10/02/25
Quand la droite de la droite est au pouvoir, le social a-t-il encore une place ?

Comment faire du social dans un monde qui l’est de moins en moins ? C’est une question que m’a récemment lancée Amina, éducatrice au sein d’un internat d’enseignement spécialisé. Et je ne peux que la rejoindre. D’autant plus aujourd’hui, avec ce nouveau gouvernement fédéral à droite de la droite.…

On a les gouvernants qu’on mérite, dit-on. On a surtout ceux pour qui on vote, et nous, en tant que nation, avons voté. Des années de ras-le-bol croissant envers les mesures d’"assistanat", le clientélisme politique, les magouilles incessantes, les détournements honteux et impunis ont parlé. Des années de tensions entre le Nord et le Sud du pays, nourries par de la propagande par définition simpliste et populiste, ont également fait entendre leur colère. Et le vase déborde.

Ce gouvernement n’est après tout que la résultante de la pente politique que nous avons empruntée voilà déjà un certain temps. Où est le juste milieu, le sens de la mesure ? Pas ici en tout cas. Pas non plus en Europe, de manière générale, continent gagné par les extrêmes, à l’instar de son lointain cousin d’outre-Atlantique.

Et concrètement, pour ceux qui ont encore envie de faire du social, ça donnerait quoi ?

Lire aussi : Ce que le nouvel accord du gouvernement fédéral change (ou pas) pour les soignants

Limitation du chômage à deux ans, les CPAS deviennent officiellement les fourre-tout de la protection sociale

Ils l’avaient annoncé, les allocations de chômage seront désormais limitées à deux ans. Pas plus de précisions quant à l’opérationnalisation de la mesure, ceci dit. Qu’en sera-t-il de l’accompagnement des allocataires durant cette période de deux ans ? Sera-t-il effectué de manière plus intensive, dans le but que cette période soit utilisée à son plein potentiel ou passera-t-il à la trappe ?

Et ensuite ? Les chômeurs seront redirigés vers les CPAS. Fort bien. Ou pas. Le CPAS, dernier filet de sécurité sociale, a bon dos depuis plusieurs années. Il en devient même un peu le fourre-tout de la protection sociale. Est-ce bien là son rôle ? Et si « on » décide que ça doit le devenir, alors de quelle manière « on » met ça en œuvre afin de ne pas créer encore plus d’inégalités entre les communes riches et les communes pauvres ?

Si l’accompagnement des personnes exclues du marché de l’emploi devient, à terme, une compétence locale, que fait-on pour éviter que les inégalités se creusent, à la fois entre les territoires et entre les individus ? Si transfert de compétences il y a, ce dernier sera-t-il également financier ? Avec, concrètement, quels moyens pour le personnel, qui n’est pas nécessairement compétent dans cette matière ?

Sans parler des inévitables conséquences en termes de paupérisation, car il va sans dire que, si le paiement des allocations de chômage devient limité dans le temps, cela ne va pas créer des emplois et des concordances de profils par miracle. De nombreux allocataires deviendront bénéficiaires du revenu d’intégration et pour ceux qui n’en rempliront pas les conditions, le règne de la débrouille commencera.

Remises au travail (plus ou moins) forcées des malades de longue durée

La remise au travail des personnes malades de longue durée fait également beaucoup couler d’encre. Le principe est posé, mais à nouveau, rien quant à l’opérationnalisation de la mesure. Seule indication : des sanctions seront prises à l’encontre des médecins et des employeurs qui ne joueraient pas correctement le jeu. Comprendre qu’il y aura pression sur le résultat, ce qui signifie plus que probablement remises au travail forcées de personnes qui ne sont pas en état physique et / ou (plus probable) psychologique pour travailler.

Avec, à terme, des conséquences néfastes, tant pour le marché de l’emploi en général que pour le secteur de la santé : plus de personnes en errance, en chômage involontaire, en maladies de courtes durées à répétition, etc. Et avec ça, l’accompagnement et le dépistage des risques professionnels passent à la trappe : les mutuelles, médecins et médecins du travail auront essentiellement une mission de contrôle social, ne nous leurrons pas.

Evaluation des CPAS et mutuelles en fonction de leurs résultats

Parlant de sanctions : CPAS et mutuelles seront désormais évaluées en fonction de leurs résultats. Et c’est là, selon moi, que la déclaration anti-sociale est la plus prégnante. On ne peut pas évaluer nos actions sur base de résultats. Pas toujours. Pas à long terme. Pas de manière aussi simpliste. Evaluer les résultats est intéressant uniquement avec une visée d’évaluation des actions mises en œuvre, dans le but de les rendre plus adéquates aux besoins de la population par rapport au contexte social.

Evaluer « sur base des résultats », c’est la porte ouverte à la pire des dérives. Parfois, les choses prennent du temps. Certains accompagnements aboutissent à des « résultats » rapides, valorisants pour toutes les parties, mais pour d’autres, c’est plus compliqué. Il y a des allers-retours, des pas en arrière et d’autres en avant, des parcours plus chaotiques.

Évaluer les opérateurs sur leurs résultats et surtout conditionner leur financement à cela revient à les obliger à recourir à la marche forcée. Non seulement cela va précipiter les personnes les plus fragiles dans l’abîme, mais en plus cela redéfinit complètement la notion de sécurité sociale en oblitérant le principe de l’égalité de traitement entre les citoyens. Avec cette marche forcée, les cas les plus difficiles, ceux qui fausseraient les statistiques, seront laissés au bord de la route, c’est inévitable, surtout si le financement de la structure d’accompagnement est en jeu. Le rôle de contrôleur social du travailleur social est clairement affirmé.

Et les droits des femmes ?

Une autre réforme qui fait couler beaucoup d’encre est celle des pensions, qui va, in fine, grandement pénaliser les femmes, surreprésentées dans les carrières professionnelles en pointillés, les temps partiels, etc. Or, la plupart des travailleurs sociaux sont des travailleuses qui, pour beaucoup, exercent à temps partiel, que ce soit de manière volontaire ou subie. D’ailleurs, dans le secteur, principalement lorsqu’il s’agit de l’associatif, l’emploi à temps partiel est assez fréquent.

Les femmes sont également concernées par d’autres mesures évoquées plus haut, comme la « réactivation » des malades longue durée, étant donné qu’elles y sont majoritaires. La suppression à terme des pensions de survie pour le conjoint survivant les concerne au premier chef, ces conjoints survivants étant surtout des conjointes.

Ceci étant, ces mesures sont le franc reflet des personnes qui les ont négociées : des hommes, présidents de partis. Les femmes, sous-représentées au sein de notre nouveau gouvernement, n’en sont clairement pas la priorité.

Lire aussi : Quand la précarité touche aussi celles et ceux qui la combattent

Diminution du financement de la sécurité sociale

Afin d’aider à la création d’emplois et à la compétitivité des entreprises, tout en renforçant l’attractivité du travail et le pouvoir d’achat, il est prévu une réduction des cotisations sociales, ce qui permettrait d’augmenter le salaire net des travailleurs sans pénaliser leurs employeurs. Or, réduction des cotisations sociales signifie concrètement diminution du financement de la sécurité sociale.

Les mesures précédemment citées, ainsi que toutes celles que je n’ai pas évoquées et qui visent directement la population en difficulté n’ont pas uniquement pour but de limiter les dégâts, de faire des économies face au vieillissement de la population et à un marché du travail en difficulté. Non, couplées à ce manque de financement, elles redéfinissent les contours de notre système de protection sociale.

Je ne sais pas vous, mais pour ma part, je n’ai pas lu que, par exemple, les grosses entreprises, qui bénéficient d’abattements fiscaux honteusement avantageux, au prétexte de la création d’emplois (précaires et mal payés), allaient être mises à contribution pour compenser.

Et demain ?

Toutes ces mesures, qui ont pour objectif affiché l’assainissement des finances belges, ne sont, à mon sens, pas pensées à long terme et en tout cas, pas pour l’ensemble des citoyens et ne vont pas nécessairement assainir durablement nos finances, si on se projette à plus long terme qu’une législature.

Les dégâts à venir sur la partie la plus vulnérable de notre population sont terribles. J’entrevois quantité de familles, de personnes précipitées dans une spirale de paupérisation, voire de précarisation galopante. Je pense également à l’appauvrissement des travailleurs, et surtout des travailleuses, mais aussi à toutes ces personnes qui passeront à travers les mailles du filet, qui seront dans des situations trop complexes pour être accompagnées sans mettre en péril les statistiques, à tous ceux qui n’auront pas ou plus le droit aux aides sociales et qui risquent de venir grossir les rangs des sans-abris, entraînant d’autres problématiques, tout aussi coûteuses à la société.

Je pense à l’augmentation des consommations de stupéfiants et d’alcool qui va inévitablement suivre, à toutes les problématiques y liées en termes de sécurité, de santé, etc. Je pense en termes de générations. Déjà, à l’heure actuelle, les services font face à une augmentation de la complexification des problématiques des familles. Qu’en sera-t-il demain avec cette sécurité sociale qui n’est plus ?

MF - travailleuse sociale

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