Nos résolutions pour 2023 ? Sortir des cases pour réaffirmer les fondamentaux du travail social !
2023. Sortir de 3 ans de crise ? Pour le travail social, on est bien au-delà. Cela fait plus de 20 ans que les fondements sont battus en brèche. Cela fait plus de 20 ans que des professionnels et des associations rappellent les valeurs, rappellent le sens, rappellent l’intérêt sociétal aussi d’un travail social qui considère les publics et vise leur émancipation. Cela fait plus de 20 ans que ces mêmes professionnels et ces mêmes associations rappellent que contrôler et faire rentrer dans des cases prédéfinies, ce n’est pas du travail social et ce ne sera ni constructif pour les publics, ni vraiment utile pour la société. Le texte ci-dessous rappelle ça. Il engage les professionnels à oser, à prendre des risques, à affirmer, parce que, sans cela, le travail social entrera de lui-même dans cette case normée et déformante où il ne se reconnaîtra plus.
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Peut-être d’abord rappeler aux décideurs et à pas mal d’institutions qu’il serait temps de penser à avoir du respect pour les gens qui vivent des difficultés, qui rencontrent la précarité, qui sont victimes de discriminations, qui sont confrontées à l’intolérance, qui se retrouvent trop souvent exclues, notamment de droits pourtant inaliénables.
Rappeler aussi que le respect, ce n’est pas que la charité, notamment médiatique, ce ne sont pas seulement des mesures qui permettent de garder juste la tête hors de l’eau, d’autant plus, quand ces mesures sont calculées au plus serré et n’empêchent pas la noyade. Rappeler aussi que le respect, ce ne sont pas seulement des mesures individuelles d’assistanat. Le respect quand on est décideur, c’est d’abord un questionnement prospectif des systèmes dans lesquels on ne laisse que trop peu de place à celles et ceux qui vivent des difficultés, c’est aussi interroger la façon dont certains droits pourtant fondamentaux sont appliqués : le système de santé, le système scolaire, le droit au logement, le droit à la liberté de choix, le droit à une vie de famille, le droit à l’affirmation de sa propre identité (l’identité de genre, l’identité (multi)culturelle, l’orientation sexuelle,…). Rappeler que le respect, c’est le droit à la dignité, le droit de rester debout, le droit de vraiment participer à la vie sociale, culturelle et politique, le droit à la prise de parole publique,…
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Rappeler que face aux situations qu’ils vivent, ces publics en marge choisie, en marge parce qu’il n’y avait pas d’autre possibilité, en marge forcée, sont les premiers interlocuteurs à concerter pour trouver des solutions, pour trouver vraiment des solutions, pour trouver vraiment de vraies solutions aux complexités des situations. Rappeler que si ces femmes ou ces hommes, ces jeunes aussi, ne sont pas nécessairement les seuls experts aptes à faire des propositions qui leur permettraient de sortir de ces marginalités ou de les organiser de façon à les rendre vivables, cette expertise existe cependant et elle mérite de trouver sa place dans cette construction de propositions qui les concernent d’abord.
Si les décideurs et les institutions comprenaient cela, s’ils faisaient vraiment ce travail de respect des publics, si les droits de ces publics devenaient un guide dans les mesures qui sont prises à leur égard, alors, les travailleurs sociaux pourraient vraiment centrer leur pratique sur l’accompagnement de sujets, en les soutenant dans leur émancipation. Ils pourraient soutenir l’expertise de ces publics en y joignant la leur, indéniable, mais empreinte d’humilité, à côté de celles de ceux qui vivent et rencontrent les difficultés. Ils pourraient être pleinement propositionnels dans les luttes contre les inégalités, contre les exclusions, contre les intolérances, pour plus de justice et de solidarité.
Si les décideurs et les institutions comprenaient cela… Mais le comprennent-ils ? Ont-ils envie de faire l’effort de cette compréhension ? Ont-ils envie d’agir autrement après avoir compris… L’observation du terrain, les témoignages réguliers n’incitent pas à l’optimisme… Nous le constatons depuis au moins 20 ans, mais le travail social est empêché, reste empêché : « Le raidissement des politiques a détourné la mission et le sens même du métier de travailleur social, qui consistaient jusqu’ici à promouvoir le changement social, améliorer le bien-être général, favoriser l’épanouissement des personnes, des groupes et des collectivités. Aujourd’hui, ces travailleurs sont invités à devenir des relais et des serviteurs des politiques sécuritaires et du maintien de l’ordre ». Et pourtant, malgré les difficultés persistantes de vraiment faire du travail social, c’est fondamentalement dans cette voie qu’il faut poursuivre son engagement. Un engagement qui sera professionnel, mais aussi citoyen et parfois militant.
Proposons 3 pistes pour soutenir cet engagement.
Piste 1 : Le droit et le devoir de désobéir
Pour continuer à faire le travail social pour lequel ils ont été formés et pour lequel ils ont signé un contrat, des travailleurs sociaux et des travailleuses sociales font le choix d’une interprétation de certaines directives. Cette interprétation leur permet de poursuivre un travail qui correspond d’une part à leurs valeurs, mais d’autre part aux enjeux fondamentaux du métier que restent la dignité ou la remise en question de systèmes qui produiraient de l’inégalité ou de l’exclusion. Il ne s’agit pas de valoriser outre mesure cette pratique que l’on peut parfois qualifier de transgression ou de désobéissance, puisque le travail social dans des cadres justes et respectueux reste une espèce d’idéal-type. Mais quand, à l’analyse, on constate que les pratiques professionnelles prônées tiennent si peu compte de ce respect et de cette justice, il devient légitime de donner davantage d’attention à ce travail social clandestin (1).
Jusqu’à peut-être penser qu’il puisse devenir une référence méthodologique non négligeable, une référence méthodologique, mais qui tiendrait également la route dans ses dimensions éthiques et déontologiques. En effet, « quand le devoir d’obéir aux lois promulguées (…) cesse-t-il d’être une obligation, face (…) aux devoirs de lutter contre l’injustice ? » (2). Il faut « discerner les circonstances dans lesquelles suivre la lettre de la loi serait moins moral que de transgresser cette lettre au nom même de sa finalité » (3). « Le travail social peut dès lors poser la question de l’obligation et de la morale d’une pratique imposée, face aux finalités du travail social idéal(isé). Face au légalisme du cadre, se présente également la légitimité des modes d’interventions » (4).
Désobéir, agir dans les marges, cela peut être légitime. Mais pas à n’importe quelles conditions. Il est éthiquement absolument impossible de pratiquer de la sorte, sans dialogue intersubjectif. Le débat nécessaire, en confiance, avec des collègues, des correspondants issus d’autres professions, permettra davantage d’assumer son positionnement hors du cadre, d’assumer une « délinquance vertueuse » au-delà de l’irrespect bête et méchant de la loi.
Piste 2 et piste 3 : La collectivisation des positionnements professionnels pour une réaffirmation d’un travail social politique
Cette dimension collective qui donne davantage de poids à une décision éthique parce qu’elle ose la confrontation et impose la complexité est la seconde piste proposée. Pour les raisons éthiques énoncées ci-dessus. Mais aussi parce que ce travail clandestin, collectivement assumé, est aussi un travail fondamentalement politique. Et cette réaffirmation de la dimension politique du travail social sera la troisième piste dessinée.
Il va falloir affirmer ce travail social clandestin. En protégeant celles et ceux qui le pratiquent et qui risquent beaucoup dans ces pratiques. Ils risquent pour eux comme pour leurs publics. Mais il est, malgré tout, important d’affirmer ce travail, parce qu’il est du rôle des professionnels du social, et pourquoi pas, de certaines institutions pour lesquelles ils travaillent, de faire savoir que des lois, des circulaires produisent le contraire de ce qui est énoncé dans les lois fondamentales que sont par exemple la déclaration universelle des droits de l’humain, la constitution belge ou l’article 1er de la loi organique des centres publics d’action sociale (CPAS) de 1976. Parce qu’il est important que soit su que, en conscience de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de réaliser un travail conforme à leurs valeurs, aux valeurs qui leur ont été enseignées dans les écoles sociales, et plus essentiellement encore aux lois qui fondent le pays dans lequel ils vivent et exercent leur métier, des professionnels font le choix de pratiques alternatives et souterraines permettant de retrouver ces dites valeurs, ces dits fondements.
C’est une première dimension d’un travail social politique qu’il est important de réaffirmer. C’est une dimension politique qu’il ne sera pas possible d’affirmer autrement que collectivement.
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Une seconde dimension politique qu’il semble important que les professionnels investissent mieux, c’est l’engagement auprès de « leurs publics » pour la défense d’une série de droits essentiels. Si la raison première de cet engagement n’est pas que cette reconnaissance des droits facilite leur travail social, le fait que ces droits puissent enfin être reconnus et travaillés, risque cependant d’être un bénéfice secondaire, loin d’être négligeable. Mais l’essentiel de cette lutte à mener vise, bien sûr, la reconnaissance de ces droits. On est encore loin du but.
Si le travail social individuel, l’accompagnement, la guidance méritent d’être valorisés, l’essence du travail social doit aller bien au-delà. Questionner le contexte socio-économique, interpeller par rapport à des systèmes qui excluent, parfois de manière consciente, parfois sans s’en rendre compte, revendiquer l’application de droits énoncés mais non accordés, c’est aussi une mission professionnelle. Que les travailleuses sociales et les travailleurs sociaux ne peuvent assumer seuls. Mais qu’ils pourront assumer avec un milieu associatif vif et vivifiant. Comme professionnelles et professionnels, écoutons par exemple ce que disent La ligue des droits humains, les réseaux de lutte contre la pauvreté wallon et bruxellois, celles et ceux qui se sont engagés autour du colloque « Ce qui nous arrive ». Ecoutons avec eux, réfléchissons, amenons notre pierre. D’où nous sommes et avec ce que nous sommes. Avec notre expertise professionnelle, construite dans nos institutions. Amenons ces institutions à porter un discours qui aille au-delà de leur propre nombril ou de leur propre survie. Faisons davantage réseau autour de valeurs communes et rappelons inlassablement ce qu’est le travail social, pourquoi et pour qui il existe.
C’est là aussi que se situe la troisième dimension politique. Faire cause commune dans des collectifs à inventer ou qui existeraient déjà. Cause commune avec les publics certainement. Mais cause commune avec les collègues quels que soient la région d’implantation, quel que soit le secteur de travail, quels que soit les diplômes,… Une cause commune qui éviterait le corporatisme, mais se centrerait sur la défense des fondements du métier. C’est notamment à cela que le colloque « Ce qui nous arrive » a voulu réfléchir en septembre dernier, lors de 2 jours qui n’ont considéré par les participantes et les participants que comme un point de départ. C’est pour cela que s’engagent aussi les militants de « Travail social en lutte », contre la dématérialisation des services par exemple. C’est pour cela que le Comité de Vigilance en Travail Social (CVTS) milite depuis 20 ans.
Marc Chambeau
Pour le CVTS
(1) Le Comité de Vigilance en Travail Social pense organiser, pour ses 20 ans et dans le cadre du Festival des Libertés organisé par Bruxelles Laïque au mois d’octobre 2023, un moment de réflexion sur cette thématique du travail social clandestin.
(2) J. Habermas : « la désobéissance civile, test crucial d’un Etat de droit démocratique », M, n°44, février 1991, p. 27.
(3) J-F. Malherbe : « Autonomie et prévention-Alcool, tabac, sida dans une société médicalisée, Editions Artel-Fides Coll Catalyses, 1994, p. 130.
(4) M. Chambeau : « Travail social et violences », in : Travailler le social, n°26, 1999, p. 43.
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