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Quels sont les enjeux de la campagne contre la Commission des psychologues ?

22/12/21
Quels sont les enjeux de la campagne contre la Commission des psychologues ?

Si nous voulons rester sensibles à une approche non corporatiste du champ de la santé mentale et au respect de sa spécificité psycho-sociale, ne nous laissons pas abuser. Ce qui est véritablement en jeu dans les attaques menées contre la Commission des Psychologues, c’est la défense du secret professionnel, plus fragilisé que jamais, à un moment où l’érosion des garanties démocratiques protégeant les données personnelles est à ce point menaçante que la vice-présidente de l’Autorité de Protection des Données (APD) - Alexandra Jaspar - vient de donner sa démission pour ne pas cautionner de fatales dérives. La menace porte aussi sur une véritable politique de la santé mentale

En lisant l’article publié le 16 décembre dans le Guide Social - et sans vouloir ignorer de légitimes questions – il faut se rappeler qu’« un train peut en cacher un autre », tout en gardant à l’esprit que celui « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Si nous gardons la tête froide, ce soudain intérêt critique pour la Commission des Psychologues dans la presse (2 articles dans De Morgen, puis un remake dans Le Soir et dans le Guide Social) devrait nous mettre la puce à l’oreille. En effet, si la commission est loin d’être parfaite, comparativement à son passé chaotique elle a été gérée ces dernières années mieux que jamais. C’est facile à démontrer. De plus, il est étrange de voir tout à coup critiqué par certains un système qu’eux-mêmes avaient institué (rémunération de la directrice [1], par exemple) et une institution dont ils ont délibérément entravé l’évolution.

Des points à recontextualiser plutôt qu’instrumentaliser

À y regarder de près, il s’agit d’une cabale : l’important est d’en saisir les enjeux. Même si certains points sont sujets à critiques, ils doivent être recontextualisés plutôt qu’instrumentalisés. Ce n’est pas le lieu de tout détailler, mais il est malheureusement clair que ceux qui s’empressent aujourd’hui d’attaquer la Commission des Psychologues sont exactement les mêmes que ceux qui ont cautionné, sous l’ancien directeur, sa gestion désastreuse et des privilèges sans rapport avec sa fonction. Qui plus est, après l’avoir soutenue, ils ont empêché l’adoption d’un Arrêté Royal d’optimisation et de démocratisation de la Commission des Psychologues. Étaient notamment prévues l’élection directe par tous les psychologues inscrits de leurs représentants à l’Assemblée Plénière (l’équivalent d’un CA), la nomination d’un(e) psychologue - et non plus d’un(e) juriste - à la présidence, la désignation par le ministère de tutelle d’un Commissaire du Gouvernement chargé du contrôle de la gestion et des comptes.

Rédigé par une juriste du cabinet des Classes Moyennes, ce projet d’arrêté était le fruit du consensus de toutes les associations représentées à la Commission. Il se trouvait sur le bureau du Conseil des Ministres, prêt à être signé. Mais du jour au lendemain, sans préavis, la VVKP (association majoritaire de cliniciens flamands) et l’UPPCF (association de cliniciens francophones) ont changé d’avis. Tout à coup, ils ne voulaient plus d’une Commission des Psychologues rénovée, transparente, efficace ... Au regard de leurs dénonciations actuelles, ce revirement laisse rêveur mais il est facile d’en saisir la portée. Sous les discours rassurants aux oreilles de jeunes psychologues aux abois - « Vous êtes désormais une profession de la santé » - se dessine hélas un piège funeste pour leur pratique ainsi que pour l’ensemble du secteur de la santé mentale.

 Lire aussi : Chronique d’un psy : « Rififi à la Compsy »

La Compsy, gardienne d’un code de déontologie spécifique

Car bien évidemment, les psychologues cliniciens ont toujours travaillé officiellement dans le domaine de la santé (SSM, etc.) sans le confondre pour autant avec celui de la médecine. Les mutuelles l’ont compris lorsqu’elles ont initié des remboursements pour consultations psychologiques en se gardant de questionnaires intrusifs pour leurs affiliés. La Commission des Psychologues, de son côté, reste gardienne d’un code de déontologie spécifique, rédigé par des représentants autorisés de tous les secteurs de la psychologie. Ce code est exigeant en matière de secret professionnel et l’adhésion à ses normes conditionne l’octroi du titre de psychologue — et c’est évidemment là que la commission dérange et qu’il serait confortable de la transférer vers le SPF-Santé pour la mettre aux normes techno-médicales. Ceci du moins dans la logique de celles et ceux qui, en s’inscrivant dans le sillage de Maggie De Block [2], ont empêché la mise en œuvre d’un Conseil Supérieur de la Santé Mentale tel que prévu par la loi Onkelinx sur la psychothérapie et la psychologie clinique [3].

Ce conseil devait réunir tous les représentants du terrain réel (psychologues, travailleurs sociaux, éducateurs, infirmiers, médecins généralistes, psychiatres, psychothérapeutes, policiers de quartier, enseignants, ...) pour penser la spécificité d’un champ thérapeutique dont l’accès est souvent barré par un sentiment de honte, de culpabilité ou de peur. On comprend sans peine qu’il requière une confidentialité sans faille et un secret professionnel rigoureux, incompatibles avec un dossier médical où tout pharmacien, en un click, sait ce que vous avez consommé durant l’année. Comme l’attestent des incidents répétés, la « sécurité informatique » s’avère en ce domaine illusoire, de même que tout « consentement éclairé » semble relever ici de la case à cocher plutôt que d’un véritable choix. Il est temps d’élaborer des critères de formation, d’organisation et d’évaluation accordés au domaine spécifique de la santé mentale — un champ contigu et complémentaire à la techno-médecine mais hétérogène à celle-ci.

Du projet de « Conseil Supérieur » évoqué ci-dessus, ouvert sur l’avenir et respectueux de l’autonomie des psychologues, il ne reste que le nom. Leur identité, leur liberté thérapeutique, sont moins reconnues à ce jour que celles des dentistes. Le Conseil de la Santé Mentale a été réduit à une instance corporatiste de psychologues, d’orthopédagogues et de médecins [4]. Il travaille en secret. En échange d’un « pseudo-code » de remboursement (terme employé par l’INAMI) les prestations conventionnées sont formatées et tarifées [5] selon un mode hospitalo-centré qui fait peu de différence entre le placement d’une prothèse et l’accompagnement d’un deuil. La spécificité des psychologues n’est en rien prise en compte.

Si l’on ajoute que le principe d’égalité entre psychologues de formation identique, le libre choix des patients, le secret professionnel, semblent à ce niveau des valeurs périmées, on comprend que la Commission des Psychologues apparaisse comme un obstacle à éliminer. La campagne menée contre elle - en toute bonne foi par certains, par pur goût du pouvoir chez d’autres – devrait alerter tout citoyen soucieux d’une réelle politique en santé mentale.

Francis Martens, président de l’APPPsy

Savoir plus :

1. Environ 675€ bruts par jour presté selon des sources autorisées : rémunération acceptée et ratifiée, au Bureau de la Commission des Psychologues et à son Assemblée Plénière par l’UPPCF et par la VVKP qui s’en indignent aujourd’hui.
2. Lors d’un échange sur un tout autre sujet avec le fils d’une collègue dont elle ignorait la profession, Maggie De Block a confié : « Je déteste les psychologues ».
3. En 2014, le vote de cette loi - fruit d’un long travail de concertation, initié par l’Association des Psychologues Praticiens d’Orientation Psychanalytique (APPPsy) dès le cabinet Demotte - s’est conclu sous les applaudissements de la Chambre, Vlaams Belang et N-VA exceptés. Mais ce vote est malheureusement intervenu en fin de législature : trop tard pour qu’on en élabore les arrêtés. Sous l’empire du même lobbying corporatiste, qui s’attaque aujourd’hui à la Commission des Psychologues, Maggie De Block en a profité pour saccager le travail mené à bien sous le cabinet précédent : elle a été jusqu’à interdire à l’association qui en avait été l’initiatrice - l’APPPsy - l’accès au pseudo-Conseil Supérieur des Professions de la Santé Mentale mis en place par ses conseillers. Notons qu’en 2001 l’actuelle présidente de ce conseil (Nady Van Broeck, VVKP), alors qu’elle présidait la Belgische Federatie van Psychologen-Fédération Belge des Psychologues en dissimulant ses intentions à la plupart de ses collègues, avait été empêchée par l’APPPsy de faire entrer les cliniciens dans le système paramédicalisant du projet de loi Aelvoet. Ceci explique cela. Après ce rappel, il faut préciser que par « corporatiste » j’entends : centré sur les propres avantages immédiats ou supposés tels de sa « corporation », sans réel souci scientifique, clinique, anthropologique, citoyen ou sociétal — et par-delà les déclarations vertueuses contre le charlatanisme ou pour la défense de la qualité des soins. À titre d’exemple, le seul argument avancé par l’administrateur délégué salarié de la VVKP (Koen Lowet) sur le site de la BFP-FBP, concernant la mise en danger du secret professionnel par la loi De Block de 2016, est d’une remarquable sobriété : « Francis Martens ment », qui plus est « il ment délibérément ». Dans ce contexte, sans la moindre preuve mais dans un registre proche du « hasard objectif » cher aux surréalistes, il est remarquable que le site internet de l’APPPsy - à vrai dire peu protégé – se soit vu piraté et rendu inutilisable deux fois consécutivement, sans la moindre demande de rançon — ce qui est inhabituel.
4. Les psychiatres y sont tolérés en tant que médecins mais non prévus en tant que tels.
5. Très généreusement tarifées : 75€ chez un psychologue clinicien conventionné (dont 11€ à charge du patient), alors que le prix moyen d’une consultation chez un psychologue clinicien psychothérapeute, ayant suivi une formation post-universitaire spécialisée, s’élève à environ 60€ à Bruxelles.




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