La Commission des psychologues au cœur de la tourmente
Un coup de tonnerre a retenti dans le ciel de la Commission des psychologues. L’origine ? Un article du quotidien De Morgen du 2 décembre 2021 relatant des faits de malversations et de harcèlements provenant du Bureau de la Commission. L’enquête a fait grands bruits au sein de la profession. Quentin Vassart, président de l’Union Professionnelle de Psychologues Francophones et germanophones (UPPCF), nous livre son regard sur cette affaire.
Le 2 décembre dernier est paru dans le journal De Morgen un article épinglant une série de dysfonctionnements relatifs à l’activité de la Commission des psychologues, organe public chargé de faire respecter la déontologie des psychologues qui y sont enregistré·e·s : faux jetons de présence, réunions fictives, création d’une fausse société afin de recevoir des primes et des frais de gestion… Après l’affaire Kaat Bollen, la Commission des psychologues est au cœur d’un nouveau scandale.
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L’affaire
Selon nos confrères du journal néerlandophone : “Des courriers internes montrent que des réunions fictives ont été créées par des membres du personnel, juste pour s’assurer que la présidente de l’époque, C.H., obtiendrait des compensations plus élevées.” Parallèlement, la directrice J.L. recevait 15.000 euros bruts par mois auxquels s’ajoutaient 2.000 euros de frais, qui n’ont jamais été justifiés selon une source du quotidien flamand. En consultant les données de la Banque Nationale des Entreprises, on remarque qu’elle aurait alors créé une société afin d’encaisser ses frais de gestion.
Alors que ces agissements se sont vus questionnés par le personnel permanent de la Commission des psychologues, soulevant l’hypothèse d’éventuelles malversations, ceux-ci ont été contraints au silence, se voyant brandir la menace d’un potentiel licenciement. S’en est suivi de nombreux faits de harcèlement de la part de la directrice, sous forme de remarques déplacées, de pression constante, d’injures et d’attaques personnelles portant sur le physique des employé·e·s.
Dans la foulée, les employé·e·s concerné·e·s se sont retourné·e·s vers Attentia (conseil en prévention du Comité des psychologues) afin d’introduire une demande d’intervention psycho-sociale formelle pour des faits incluant du harcèlement. La procédure tardant, en l’espace de six mois, cinq des dix employé·e·s de la Commission des psychologues ont démissionné. Le rapport de l’organisme, finalisé il y a quelques semaines est très critique concernant les agissements de l’ancienne directrice qui a, depuis, été démise de ses fonctions.
Champs de compétences de la Commission des psychologues
Chaque année, de nombreux psychologues souscrivent à l’inscription à la Commission des Psychologues ou renouvellent leur cotisation. La mission de l’organisme est double : la Commission est autorisée à tenir une liste des psychologues qui souhaitent porter le titre de psychologues. Leur deuxième tâche est de mettre en place un organe disciplinaire compétent pour les psychologues inscrit·e·s sur leur registre. Celui-ci peut suspendre ou retirer le titre de psychologue, mais ne peut pas se prononcer sur l’exercice de la psychologie clinique.
En effet, en Belgique, pour exercer légalement la psychologie clinique, il faut obtenir un visa délivré par le SPF Santé Publique. À cela s’ajoute un agrément délivré en francophonie par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Celui-ci garantit que le·a psychologue possède les qualifications et les compétences nécessaires pour exercer la psychologie clinique et est donc compétent pour statuer sur l’exercice légal de la psychologie clinique. La Commission des psychologues n’est pas compétente pour statuer de l’exercice de la psychologie clinique qui est régi par le Ministère de la Santé, seul décisionnaire agréé à retirer le visa.
Réaction de l’UPPCF
Quentin Vassart, le Président de l’Union Professionnelle des Psychologues Cliniciens, s’est dit préoccupé par les révélations de ces dernières semaines. Selon lui, elle met en lumière de nombreux dysfonctionnements de la Commission dénoncés depuis plusieurs années par l’UPPCF. Il y a un flou législatif entre le port du titre de psychologue régit par la loi du 8 novembre 1993 protégeant le titre de psychologue clinicien et l’exercice de la psychologie clinique qui est réglementé par la loi de 2016 sur les professions de soins de santé. Or, suite à cette loi, le titre de psychologue délivré par la Commission des psychologues n’est plus une condition nécessaire pour exercer la psychologie clinique. Après l’obtention de son diplôme, on peut aisément se contenter du visa délivré par le SPF Santé Publique et de l’agrément de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il indique que de plus en plus de psychologues clinicien·ne·s se posent la question de l’intérêt d’encore adhérer à la Commission des psychologues.
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Une perte de confiance au sein de la profession
Pour Quentin Vassart, les éléments les plus dommageables touchent en premiers lieux les personnes qui ont démissionné : “La commission a perdu de nombreux·ses professionnel·le·s expérimenté·e·s., sans parler des conséquences inadmissibles pour ces personnes à de nombreux niveaux“. Il pointe également que lorsque l’on sonde les psychologues clinicien·ne·s en exercice, on peut observer une perte de confiance en la Commission déjà mise à mal par le flou autour de ses missions : “Les psychologues ont l’impression de s’être fait avoir. De nombreux questionnements sont mis sur la table. Quelles sont les réelles raisons de la dernière augmentation des cotisations annuelles qui s’élèvent aujourd’hui à 95 euros ?” Ce qui met un coup de projecteur sur un manque de contrôle au sein de la Commission : “On ne doit pas rester dans le statuquo qui dessert tout le monde”, pointe le Président de l’UPPCF. Il considère qu’il faut également réfléchir à propos des qualités sur lesquelles sont sélectionnés les membres du bureau : “L’ancienne directrice a été sélectionnée pour ses qualités managériales : il y a comme un décalage.” Enfin, il déplore que cette affaire entache le crédit de toute la profession.
Face à ces constats, Quentin Vassart estime qu’il est primordial d’apporter de la clarté quant aux missions de la commission. Il va plus loin, pour lui, “il faut réunir l’ensemble du corps de psychologues sous le joug du Ministère de la Santé afin que les décisions de retrait de titre aillent de pair avec le retrait de visa.” Il faudrait également rendre les comptes de la Commission des psychologues transparents, afin d’apporter des réponses aux questionnements autour de l’augmentation des cotisations. Enfin, face à une profession qui se reconnaît de moins en moins vis-à-vis de son organe déontologique, le Président de l’UPPCF tire la sonnette d’alarme : “La commission risque de devenir obsolète s’il n’y a pas d’évolution législative”. Il considère essentiel de faire évoluer la déontologie en fonction des évolutions sociétales et législatives, en particulier depuis l’arrivée des entretiens cliniques par vidéo-consultation.
Quid de l’avenir ?
D’après Quentin Vassart, il y a de moins en moins d’intérêt pour les psychologues de s’inscrire à la Commission puisque, depuis 2016, le seul fait de posséder un visa et un agrément, permet de pratiquer en tant que psychologue clinicien·ne.
Il ajoute : “ 90% des psychologues sont clinicien·ne·s. Les 10% restants n’ont pas besoin de visa pour exercer. Ceux et celles qui possèdent un visa et souhaitent porter le titre de “psychologue” doivent s’inscrire à la Commission. Cependant, les professionnel·le·s des champs psychologiques de l’éducation, de la recherche et du travail exercent souvent sous un autre titre que celui de psychologue. Par exemple, pour les PMS, c’est un décret qui légifère la profession. Dans les domaines du travail et des organisations, les psychologues de formation exercent sous le titre de directeur des ressources humaines."
À l’inverse, les psychologues clinicien·ne·s étaient obligé·e·s de s’inscrire à la Commission, car c’était le seul outil légal sur lequel pouvait se baser les mutuelles afin d’effectuer les remboursements mais, depuis le 1er septembre 2016, les psychologues clinicien·ne·s sont considéré·e·s comme des praticien·ne·s d’une profession des soins de santé. Ainsi, les mutuelles remboursent tous·tes les professionnel·le·s qui ont le droit d’exercer, défini sur base d’acquisition du visa du SPF Santé Public et de l’agrément de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
L’inscription à la Commission n’est donc plus obligatoire. Toutefois, cela implique que les patient·e·s sont privé·e·s d’une certaine protection puisqu’ils·elles ne pourront pas soumettre de plaintes aux instances disciplinaires de la Commission pour des violations présumées du code de déontologie. Pour Quentin Vassart, “le besoin d’intégrer le code déontologique dans le champ de la santé est de plus en plus pressant.”
Réaction de la Commission
Suite à la publication de l’article dans le journal De Morgen, la Commission des psychologues a réagi à travers un communiqué de presse en précisant que “les responsables de la Commission (Bureau et Assemblée plénières) sont conscients d’un certain nombre de problèmes issus du passé et mettent actuellement en œuvre des mesures correctives, basées en partie sur le rapport fourni par Attentia, en vue de restaurer l’intégrité de la Commission d’une part et de continuer à servir toutes les parties prenantes de manière appropriée d’autre part.”
A. Teyssandier
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