Karin, infirmière dans le milieu scolaire : "Je n'en peux plus !"
Infirmière dans la fonction publique, Karin endosse deux rôles : celui d’infirmière en centre Psycho-médico-social ainsi que celui d’infirmière en promotion de la Santé à l’école. Cette soignante qui œuvre dans le milieu scolaire dénonce une pression devenue insoutenable, une rémunération injuste, des conditions de travail inconfortables ou encore une augmentation alarmante des responsabilités qu’on lui confie. Au bout du rouleau, elle lance un cri de détresse…
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Cette fois, c’en est trop… Je ne supporte plus cette pression. Infirmière dans la fonction publique, depuis plusieurs années, mes collègues et moi sommes conviées à des journées d’informations sur l’évolution de notre travail PSE (Promotion de la Santé à l’école) surtout et, accessoirement, sur notre travail « d’infirmière en centre Psycho-médico-social. » Une infirmière en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), qui travaille en centre PMS est non seulement une infirmière PSE : organisation et gestion des visites médicales ET des vaccinations, ateliers d’activités ou d’informations sur la santé au sens large (alimentation saine, lavage des mains, brossage des dents…), mais elle est aussi une infirmière PMS, et à ce titre, elle tente d’aider, avec ses deux collègues psychologue et assistante sociale, les enfants souffrant de troubles des apprentissages, de troubles médicaux physiques et/ou psychologiques. Notre équipe de trois personnes est donc « l’équipe PMS » qui a sous sa tutelle plus ou moins 1.000 élèves, de la 1ère maternelle à la 6ème secondaire dans une ou plusieurs écoles. Une direction supervise, guide et encadre plusieurs équipes sur des sites différents. Voilà pour la théorie…
Passons à la pratique où je dois endosser ces deux rôles. L’infirmière PMS n’est quasiment plus disponible. L’infirmière PSE ressent la pression de plus en plus intense pour vacciner les groupes scolaires cibles. Cette pression qui s’accentue chaque année, lorsque nous sommes invitées à la présentation d’études comparatives très détaillées, concernant la couverture vaccinale de la population belge et mondiale. Depuis 2 ans, nous travaillons (nous, les infirmières uniquement) « en partie sous tutelle de l’ONE, pour la partie infirmière PSE de notre métier » et pour l’autre partie, « l’infirmière PMS », c’est sous tutelle de la FWB que nous travaillons… Je vous laisse à vos réflexions personnelles sur ce sujet. Dès mon entrée en fonction, j’ai eu beaucoup de mal à identifier pour qui je travaillais exactement, et quels étaient mes droits et devoirs…
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« Les ressources humaines en centres PMS sont catastrophiques »
J’en étais donc à la vaccination. L’ONE a donc pris les rennes et, depuis lors, la pression est toujours présente (vacciner le plus possible), et la loi permettant aux infirmières de poser l’acte de vaccination, seule, sous certaines conditions, a été votée.
Depuis quelques années déjà, je suis de plus en plus seule dans mon travail et je ne vois plus guère mes collègues, qui surnagent, elles aussi, en s’effondrant sous les demandes des élèves, des parents et de l’école, tant elles sont nombreuses pour des difficultés de toutes sortes. Les ressources humaines en centres PMS sont catastrophiques et une infirmière absente est rarement remplacée, faute de candidat(e).
De mon côté, j’ai l’impression de ne plus faire que vacciner, obtenir l’autorisation des parents, vérifier le statut vaccinal des enfants et piquer… La vaccination contre le HPV, filles ET garçons, a boosté notre travail d’infirmière PSE… Le vaccin est proposé gratuitement, il est naturel que les parents en profitent. Mais je ressens actuellement une frustration énorme qui s’explique par ceci :
Le médecin, qui travaille avec l’infirmière durant les visites médicales, se voit octroyer un supplément sur sa rémunération, pour chaque enfant vacciné. Quand le médecin vaccinait lui-même, je ne voyais pas d’inconvénient à la situation. Mais, aujourd’hui, c’est moi, l’infirmière, qui vaccine et ce qui se passe exactement, c’est que le médecin augmente son salaire à la sueur de mon front. Sans parler de responsabilité en cas d’accident ou d’erreur vaccinale. C’est bien l’infirmière qui supportera les conséquences de ses actes… Cette situation me révolté, une fois de plus…
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« Les hôpitaux et les maisons de repos ont eu raison de moi, l’infirmière multi-usages… »
Pourtant, dans ma profession d’infirmière, j’en ai connu des frustrations, notamment en matière salariale. Après plus de 25 ans de carrière (le secteur public ne reprend pas l’ancienneté « non utile »), mon salaire brut annuel stagne à plus ou moins 21.000 euros. Je veux bien qu’il soit augmenté d’un « forfait vaccination ». Je pense le mériter : mon salaire n’a jamais été aussi faible.
Et pourtant, je l’aimais mon métier… Si j’avais seulement pu le faire comme je le souhaitais : en prenant le temps de parler au patient, en pouvant lui tenir la main dans les moments difficiles, ou être auprès de cet inconnu dans son dernier souffle pour l’accompagner, en se projetant avec les patients dans l’attente de jours plus heureux, en n’étant pas seule la nuit dans un hôpital avec 30 patients, dans l’angoisse du premier d’entre eux qui fera un malaise et qui finalement m’occuperait à lui seul toute la nuit… Si seulement on m’avait donné les moyens de travailler dans la dignité, en m’accordant un temps de repos ou de repas sur mes 8 à 11 heures de garde, en me laissant prendre plus de deux semaines de vacances qui suivent, en faisant moins d’un weekend sur deux, en ne me faisant pas nettoyer des lits et des tables par milliers, voire les sols en maisons de repos, en ne m’appelant pas sans cesse pour « venir remplacer » en ne m’obligeant pas à devoir faire des nuits chaque mois, en ne devant pas faire l’aérosol du patient dont le kiné est absent, le menu du patient car la diététicienne termine à 16 heures, l’administratif du patient car la secrétaire médicale ne travaille pas les weekends ou jours fériés, en me laissant du temps pour ma famille, en m’offrant, pour toutes mes privations personnelles, un salaire respectable, une digne compensation, et tant et tant d’autres « détails » devenus insupportables… Les hôpitaux et les maisons de repos ont eu raison de moi, l’infirmière multi-usages…
Je me disais autrefois qu’un jour peut-être j’y retournerais. Quand ça ira « mieux ». Mais j’entends l’appel au secours de mes collègues qui s’y débattent encore. Elles hurlent aujourd’hui car elles souffrent. Et leur situation semble grave. Très grave même. Si elle s’est encore empirée depuis que moi j’ai fui l’hôpital, les pauvres, elles doivent être à genoux.
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« Je me sens inutile car je n’ai plus le temps d’endosser d’autres rôles »
Quant à moi, j’ai quitté un endroit pour me retrouver dans un autre. Du privé au public. Repartir, avec 0 ancienneté et 17 années d’expériences. Ma charge de travail augmente, j’ai plus de responsabilités (sans savoir si je suis couverte par une assurance pour cela), je vaccine, dans des conditions inconfortables, alors qu’une autre personne que moi est payée pour le faire, et je me sens inutile car je n’ai plus le temps d’endosser d’autres rôles…
Et la réforme des centres PMS arrive à grand pas…
Ces quelques mots pourraient être ceux d’un livre sur ma vie en tant qu’infirmière, car des « endroits », j’en ai vu, je l’ai tentée ma reconversion professionnelle, et c’est parfois à mourir de rires et de pleurs aussi. Et ce n’est pas fini…
Les médecins ne viennent-ils pas de voir leurs honoraires médicaux augmentés ? Les aides-soignantes ne souhaitent-elles pas une revalorisation, vu qu’elles-mêmes doivent exécuter maintenant des tâches dites « confiées » par les infirmières ? Et les infirmières dans tout cela, on leur demande leur avis ?
Comme beaucoup d’autres collègues, je n’en peux plus, au point de quitter mon métier. À celles et ceux qui cherchent des raisons au malaise des infirmières, dans le secteur public ou privé, je conseille de lire, mais surtout de réfléchir, à ces mots.
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Karin, infirmière
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