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Lettre aux élus : venez à nos places tenter de réparer les vivants

23/09/19
Lettre aux élus: venez à nos places tenter de réparer les vivants

L’Association Belge des Praticiens de l’Art Infirmier a rédigé une lettre ouverte à l’intention des ministres et des députés. L’ACN invite les mandataires politiques belges à venir observer sur le terrain les conditions de travail déplorables des infirmiers et des aides-soignants. De plus, l’asbl leur rappelle ses cinq revendications.

[DOSSIER]
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Mesdames et Messieurs les Ministres et Député.e.s,

Depuis quelques années, nous perdons progressivement le sourire, l’espoir, l’énergie, et notre foi en les femmes et hommes politiques qui nous représentent. Serez-vous ceux qui inverseront cette tendance, non avec des mots lénifiants, mais avec les actes concrets que nous réclamons depuis si longtemps ?

Nous vous invitons, vous et vos conseillers, à venir non pas un jour, mais une semaine au moins, examiner notre quotidien, hospitalier ou extrahospitalier, avec sa charge de travail, son lot de violences, d’exigences, de souffrances, de fins de vies, de soins palliatifs.

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Comment avez-vous osé ?

Venez à nos places tenter de réparer les vivants, passer vos journées debout à courir sans avoir le temps de manger, ni même d’uriner, terminer vos journées avec ce mal de dos, ces jambes lourdes et le cœur serré d’avoir vu la décrépitude des corps et des âmes, et de n’avoir pas eu le temps d’y répondre comme vous le souhaiteriez. Venez croiser le regard des mourants, trouver les mots justes pour essayer de les réconforter, eux et leurs proches. Tout cela en exerçant de gestes techniques précis, en anticipant des situations à risque vital, en exécutant toujours plus de tâches administratives, en encadrant des étudiants infirmiers, tout cela avec toute notre énergie, notre bienveillance, avec nos sourires et sans jamais nous plaindre.

Comment avez-vous osé ne pas revoir les normes d’encadrement au chevet du patient, malgré l’augmentation de la complexité et du nombre des soins, et alors que ces normes sont un outil si précieux pour assurer la sécurité et la qualité des soins du patient, et la santé au travail des soignants ?

Comment avez-vous osé, avec l’IFIC, nous rémunérer en fonction de tâche décrites de manière très limitative, et non en fonction d’un diplôme acquis au prix de grands efforts et qui nous donne des compétences importantes pour faire face aux responsabilités qui nous échoient sur le terrain, et dévaloriser de la sorte la formation initiale et continue des infirmiers ? Dévalorisation également, par votre choix de ne pas octroyer de grade de master aux infirmiers bacheliers formés en quatre ans, comme cela est pourtant fait pour les kinésithérapeutes ou les enseignants. Comment ne pas avoir tranché pour une seule filière de formation des infirmiers, malgré l’augmentation des compétences exigées d’eux ? Pourquoi n’avoir pas valorisé les aides-soignants en assistants de soins avec une solide formation, permettant de leur donner une responsabilité réelle sur les actes qui leur ont été transférés dans un but qui semble avant tout économique ?

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Vous voulez réaliser des économies sur notre dos

N’avez-vous donc jamais mis les pieds plus d’une heure ou deux dans un service hospitalier, dans une MRS ou MR, dans la voiture d’un infirmier courant d’une injection à l’autre au domicile ? Depuis bien des années, vous n’avez pas entendu le cri des experts infirmiers, et nous ne pouvons plus l’accepter. Aujourd’hui, les services de santé sont au mieux en surchauffe, au pire en crise. Les soignants font face à un nombre croissant de malades, à leur turnover de plus en plus rapide, à la découverte de nouveaux types de cancers, bref à une population de plus en plus vieillissante, et donc polypathologique et extrêmement fragile.

Vous voulez réaliser des économies sur notre dos : ce n’est ni éthique, ni moral, ni même efficace car cela entraîne un surcoût humain et financier. nous sommes passablement usés, nous sommes désabusés, nous ne pouvons plus soigner dans de telles conditions.

Il y a quelques années, la durée de vie d’un infirmier à l’hôpital était de dix ans ; La moitié des infirmiers travaillent à temps partiel car il n’est plus possible de supporter un temps plein. Cela vous questionne-il ? Vous êtes en train de tuer une belle profession du cœur (les infirmiers et aides-soignants), tuer notre motivation et nos convictions… et mettre en péril votre propre avenir de patient.

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Des gestes techniques à la chaîne

Vous allez faire mourir nos compétences intellectuelles pour privilégier la réalisation de gestes techniques à la chaîne, puisque nous serons contraints d’en faire toujours plus avec moins de temps, moins d’argent, moins de formation (si celle-ci n’est pas revalorisée), et c’est le patient qui va en pâtir. Le patient c’est vous demain, l’un de vos proches, votre bien-aimé.e, vos enfants. Quand le patient pâtit, c’est également le système de santé, notamment dans ses dimensions économique et humaine, qui va de plus en plus mal.

Nous vous rappelons la voie incontournable pour bénéficier de soins de qualité et assurer la sécurité des personnes soignées : il faut revaloriser l’attraction de l’art infirmier, aussi bien pour les infirmiers que pour les aides-soignants. Vous devriez gonfler le budget alloué aux soins infirmiers, que ce soit en termes de normes d’encadrement ou de salaire, et cesser de nous considérer comme le petit personnel, mais plutôt comme un rouage important du fonctionnement scientifique, technique, intellectuel et humain des soins de santé.

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Cinq revendications !

Comme présidente, je souhaite vous faire part des priorités que demande le secteur. Le monde infirmier représente plus de 120 000 personnes en Belgique et a donc un rôle central vis-à-vis de la santé de la population. Nous voulons être partenaires avec vous dans les décisions politiques qui concernent la profession : vous baser sur les avis des syndicats et des patrons n’est pas suffisant pour comprendre les enjeux relatifs à la profession dans son ensemble. Ceux qui représentent spécifiquement les infirmiers, comme nous, ont aussi des choses à dire.
Nous comptons sur vous pour défendre activement la santé de la population, qui passe par de bons soins dispensés par des infirmiers en nombre suffisant, travaillant dans des conditions adéquates. Depuis trop longtemps, notre profession n’est pas prise en considération. Une pénurie est annoncée, il est temps de favoriser à nouveau l’attractivité de cette profession !

Voici les cinq revendications que nos membres ont jugées prioritaires dans un référendum réalisé avant les élections, et dont les résultats ont déjà été transmis à vos partis respectifs :

 Une augmentation des normes en infirmiers et aides-soignants
au sein de tous les secteurs : hôpital, MRPA/MRS, soins à domicile, maison médicale
 Une seule filière de formation de bachelier euro-conforme pour devenir infirmière responsable en soins généraux
 Une représentation infirmière dans les organes de décision des futurs réseaux hospitaliers, au même titre que pour les médecins
 La création d’un ordre infirmier pour réguler la déontologie et conseiller les infirmiers à ce sujet, et pour parler d’une seule voix dans les débats qui concernent la profession.
 Le maintien des primes associées aux spécialisations (TPP) et expertises (QPP) et la poursuite de leur développement.

Quand allez-vous les entendre, et nous permettre d’en discuter avec vous pour les mettre en œuvre ?

Delphine Haulotte, présidente de l’ACN

avec des infirmiers et aides-soignants, vos électeurs, à bout de souffle



Commentaires - 3 messages
  • Bravo Delphine!

    Counia lundi 23 septembre 2019 10:54
  • Félicitations pour cette missive , Séverine . J'ai entendu que certaines écoles ou toutes ne se remplissent plus, où allons-nous ? Pendant ce temps d'autres en tirent toujours plus d'argent ...

    andré4567 lundi 23 septembre 2019 11:54
  • " Vous voulez réaliser des économies sur notre dos
    N'avez-vous donc jamais mis les pieds plus d'une heure ou deux dans un service hospitalier, dans une MRS ou MR, dans la voiture d'un infirmier courant d'une injection Í  l'autre au domicile ? Les soignants font face Í  un nombre croissant de malades, Í  leur turnover de plus en plus rapide, Í  la découverte de nouveaux types de cancers, bref Í  une population de plus en plus vieillissante, et donc polypathologique et extrêmement fragile.
    Vous voulez réaliser des économies sur notre dos : ce n'est ni éthique, ni moral, ni même efficace car cela entraîne un surcoût humain et financier. nous sommes passablement usés, nous sommes désabusés, nous ne pouvons plus soigner dans de telles conditions. "

    Le GANG DES VIEUX EN COLÍ?RE EST SOLIDAIRE ! Sans de bonnes conditions pour les soignants et aide-soignants... Comment les Vieilles et les Vieux, les plus vieux que nous, pourraient ils retrouver une existence digne de ce nom ?

    Gang Des Vieux En Colere mercredi 25 septembre 2019 10:55

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