Travail de nuit des soignants : quel impact sur la qualité de vie ?

Céline est infirmière urgentiste depuis une vingtaine d’années. Elle alterne travail de jour et travail de nuit depuis le début de sa carrière et, si elle adore son métier, elle reconnaît néanmoins qu’un tel rythme n’est pas sans influence sur la qualité de vie et sur l’équilibre global à long terme.
[Dossier] :
Travail de nuit dans le secteur des soins : 5 conseils pour plus d’équilibre
Le travail de nuit fait partie du quotidien de nombreux professionnels du secteur social-santé. Mais derrière cette organisation particulière se cachent des défis importants : gestion du sommeil, équilibre familial, impact sur la santé physique et mentale… Céline, infirmière, partage son expérience et revient sur les ajustements nécessaires pour tenir le rythme.
"Tout devient plus complexe car on n’a plus que sa petite personne à gérer"
Le Guide Social : Quel impact a le travail de nuit sur votre qualité de vie globale ?
Céline : En début de carrière, je ne ressentais pas trop d’effets du travail de nuit sur ma qualité de vie, car j’étais jeune et c’était un choix que j’avais fait. À cet âge, pour peu qu’on soit un minimum stimulé, on travaille assez bien la nuit, et on récupère plutôt vite. Les choses commencent à se gâter avec l’arrivée des enfants et d’une vie un peu plus chargée, avec des responsabilités etc. Tout devient plus complexe car on n’a plus que sa petite personne à gérer ! Il faut s’organiser pour une garde éventuelle des enfants la soirée et / ou la nuit, le départ à la crèche ou à l’école du lendemain, savoir si on les laisse à la garderie ou si on ampute sur ses heures de sommeil pour aller les chercher etc. C’est souvent à ce moment que cela se complique un peu, car on fait passer sa vie familiale en priorité sur son sommeil et on commence à se carencer encore plus que ce que l’on est de base en travaillant la nuit et en dormant la journée.
Le Guide Social : Comment se passe la récupération ?
Céline : C’est vraiment variable d’une personne à l’autre. Certaines personnes ont de grosses difficultés à se décaler et, dans ce cas, il vaut mieux faire une nuit de temps en temps, essayer de les étaler sur le mois, d’échanger avec des collègues, ce genre de choses. Certaines personnes préfèrent travailler la nuit, donc c’est vraiment possible de s’arranger. Personnellement, je n’ai pas trop de problèmes de récupération et je préfère cumuler mes nuits pour me décaler une seule fois et avoir plus de jours de repos d’affilée.
Le Guide Social : Concrètement, vous travaillez dans un service où on fait des gardes de 12h.
Céline : Ce qui signifie que je termine ma nuit à 8h. Le temps de rentrer, de me préparer, etc, je m’endors aux alentours de 9h30 et je me réveille vers 15h, parfois 16h, exceptionnellement 17h. Dormir la journée, ce n’est pas pareil du tout que dormir la nuit, notre corps n’est pas prévu pour ça ! Le sommeil reste moins réparateur et il est de toutes façons plus court ! Lorsque je me réveille, il me faut environ 2h pour sentir que je suis à nouveau pleinement efficace. C’est comme se réveiller avec une gueule de bois ! Alors, quand on a 20 ans, qu’on peut dormir tout ce qu’on peut et qu’on récupère plus rapidement, il faut peut-être 24h pour récupérer d’une nuit, mais moi, ici, à 44 ans, il me faut 48h pour récupérer … Un temps plein, c’est environ 6 nuits par mois, et il m’est arrivé d’en faire jusqu’à 8 en série. Certes, c’est un choix, mais ça joue énormément sur l’énergie que l’on peut avoir au quotidien.
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"Une fois la garde terminée, la fatigue s’abat comme une chape de plomb"
Le Guide Social : Comment fait-on concrètement pour se remettre dans un rythme normal après ?
Céline : Alors, ça, c’est vraiment la partie la plus difficile ! Pour ma part, comme je demande à enchaîner mes nuits, ce que je fais, une fois ma série terminée, après ma dernière nuit, c’est que je mets en place un demi-repos. Au lieu de dormir jusqu’à 15h ou 16h, je mets mon réveil à 13h. Je dors donc 3h ou 4h au lieu des 6h habituelles. C’est vraiment très dur, mais c’est la seule façon de revenir le plus rapidement possible en rythme de jour. Si on ne se décale pas dans l’autre sens, comme on s’est habitué à dormir tard la journée et à être éveillée la nuit, le risque c’est de rester dans ce rythme. Ceux qui ne font qu’une nuit de temps en temps ont aussi intérêt à fonctionner comme cela, car eux ont encore moins de jours de repos pour se remettre dans le rythme de jour. C’est comme pour la première nuit, qui est la plus éprouvante, parce que là, j’enchaîne une journée et une nuit, donc 24h d’éveil, en début d’une série de nuits. Actuellement, j’essaie de faire une sieste avant cette première nuit, mais il arrive que ce ne soit pas possible, auquel cas, c’est vraiment difficile.
Le Guide Social : Avez-vous mesuré des effets du travail de nuit sur votre santé ?
Céline : Récemment, j’ai été passer une IRM car je m’inquiétais d’oublier des choses. Apparemment, je n’ai rien ! Mais oui, il y a des impacts à long terme sur la mémoire, la concentration, l’humeur, le moral, l’appétit, la réserve d’énergie, etc. Lorsqu’on travaille, on se maintient alerte pour le bien des patients, surtout dans un service d’urgences où on fonctionne à l’adrénaline, mais une fois la garde terminée, la fatigue s’abat comme une chape de plomb. À long terme, ce n’est pas sain de travailler de nuit, c’est prouvé, raison pour laquelle il est important de mettre en place des routines qui aident à équilibrer sa vie au mieux. Et honnêtement, rares sont les infirmières qui font des horaires de pause toute leur carrière.
Propos recueillis par MF - travailleuse sociale
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