Intégrer les jeux de société dans sa structure : mode d’emploi

Depuis quelques années, les jeux de société ont trouvé leur place au-delà des salons familiaux. Ils s’invitent désormais dans les écoles, les associations et même les entreprises, avec des effets souvent bluffant : meilleur engagement, cohésion renforcée et apprentissages consolidés. Dans le secteur social, éducatif ou médical, le jeu n’est ni un gadget ni une distraction ; il est un formidable outil, à condition d’être bien utilisé. Voici comment l’intégrer dans vos pratiques professionnelles.
1. Utiliser le jeu avec vos publics
Le jeu est une activité présente dans toutes les cultures et à toutes les époques. Mais le jeu est aussi toujours coloré par la population qui le produit (règles, rapport au hasard, matériaux, tabous et symboles, jeux de culture générale, etc.). Aussi, il faut apprendre à sélectionner des jeux qui conviennent à vos publics et/ou à les adapter quand cela est nécessaire. C’est d’abord en clarifiant vos objectifs que vous pourrez faire les bons choix : souhaitez-vous créer du lien, renforcer la confiance en soi, travailler des compétences spécifiques ou tout simplement proposer un moment de détente qui fasse du bien ? Quelques soient vos objectifs, le jeu peut être utilisé avec toutes sortes de publics.
Dans les parcours d’insertion socioprofessionnelle par exemple, les jeux peuvent stimuler la communication, renforcer la coopération ou l’estime de soi. Ainsi, des jeux comme « The Mind » (qui repose sur l’intuition collective) ou « Feelings » (qui permet d’exprimer ses émotions) peuvent créer de riches dynamiques de groupe. Pour des ateliers de français ou de remise à niveau, les jeux de mots ou de vocabulaire comme « Just One » ou « Concept » sont à la fois accessibles et motivants.
Avec des personnes en situation de handicap, le jeu permet de contourner certaines difficultés. Par exemple des jeux d’observation, de logique ou de mémoire visuelle, comme « Dobble » ou « Timeline », sont efficaces pour travailler la concentration ou la mémoire de manière ludique. Et dans les contextes où la parole est difficile, les jeux sans texte ou avec du matériel visuel permettent d’entrer dans une activité sans barrière linguistique ou cognitive.
Quant aux jeunes en décrochage scolaire, ils apprécient souvent les jeux compétitifs ou stratégiques, à condition que les règles soient bien expliquées et que l’ambiance reste bienveillante. Le jeu devient alors un espace où l’on peut reprendre confiance en soi, démontrer ses compétences et s’affirmer dans un cadre clair.
Même dans les maisons de repos ou les centres de jour pour personnes âgées, le jeu peut avoir une place précieuse. Il favorise la stimulation cognitive, la mémoire, la motricité fine, mais surtout… le lien humain. Rire ensemble autour d’un jeu crée une parenthèse précieuse dans des quotidiens parfois marqués par l’isolement.
Dans tous les cas, l’important est d’installer un cadre clair, où chacun·e peut participer à son rythme, avec le droit de se tromper, s’arrêter, ou même simplement d’observer. C’est dans cette liberté que le jeu révèle tout son potentiel.
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2. Utiliser le jeu en interne, avec votre équipe
Le jeu ne s’adresse pas qu’à vos publics : il peut aussi devenir un outil très puissant dans la dynamique d’équipe. En début de réunion, un jeu rapide peut servir de brise-glace, surtout si l’équipe est nouvelle ou si des tensions sont présentes. Un simple « Time’s Up », une devinette coopérative ou un défi collectif, permettent de relâcher la pression, d’humaniser les échanges et d’installer une ambiance détendue.
Lors de réunions plus longues, il est possible d’utiliser le jeu pour faire émerger des idées, débattre de manière originale ou favoriser un équilibre dans les prises de parole. Il existe aussi des jeux dits « sérieux » (serious games) conçus pour aborder des enjeux professionnels comme le positionnement éthique ou la gestion de conflits. Mais vous pouvez aussi détourner des jeux existants ou créer vos propres supports pour structurer un atelier de réflexion.
En outre, le jeu peut-être un allié de taille pour vos activités de team building. Tout en créant des souvenirs partagés, il permet de tester les rôles au sein de l’équipe, renforcer la coopération et faire émerger les talents individuels et collectifs. Dans un contexte où les équipes sont parfois en sous-effectif, en tension ou en reconstruction, ces moments ludiques peuvent faire la différence. Ils nourrissent la motivation, la cohésion et une certaine légèreté qui manque parfois au quotidien.
Enfin, le jeu peut aussi faire partie d’une culture d’équipe plus large. Laisser quelques jeux accessibles dans la salle de pause, organiser une pause ludique une fois par mois ou célébrer les succès avec une partie, sont autant d’idées qui peuvent renforcer le bien-être au travail et l’esprit collectif.
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3. Conseils pratiques pour passer à l’action
a) Clarifiez vos objectifs
Avant même de choisir un jeu, posez-vous la question : pourquoi veut-on intégrer le jeu dans notre structure ? Créer du lien avec nos bénéficiaires ? Travailler la communication, la logique ou la coopération ? Favoriser l’estime de soi, la prise de parole ou la gestion des émotions ? Ou tout simplement pour proposer un moment ludique et chaleureux ? Ces objectifs guideront vos choix de jeux, d’animation et les modalités (temps des parties, nombre de joueur·ses, etc.).
b) Choisissez des jeux adaptés à votre public
Il existe des milliers de jeux, et tous ne conviennent pas à tous les publics. Voici quelques critères à prendre en compte :
- Âges et capacités cognitives des participant·es : certains jeux demandent de la lecture, d’autres non, certains sont visuels, d’autres plus abstraits, etc. ;
- Langue et niveau de compréhension : optez pour des jeux avec peu de texte si votre public est allophone ou en difficulté avec la lecture ;
- Durée : privilégiez des formats courts (15 à 30 minutes) pour commencer ;
- Nombre de joueurs : certains jeux se jouent à 2, d’autres à 6 ou plus encore ;
- Accessibilité émotionnelle : évitez les jeux trop compétitifs ou compliqués si cela risque de frustrer ou d’exclure.
Astuce : Testez quelques jeux vous-même avant de les proposer. Cela vous évitera de mauvaises surprises.
c) Créez un cadre clair et bienveillant
Le jeu est un espace de liberté, certes, mais il a besoin d’un cadre sécurisant pour fonctionner :
- Expliquez clairement les règles, sans jargon ;
- Instaurez un droit à l’erreur : on a le droit de ne pas comprendre, se tromper ou perdre ;
- Encouragez les interactions positives : valorisez l’écoute, l’humour, l’entraide ;
- Respectez le choix de ne pas participer : l’observation peut aussi être une forme d’entrée dans le jeu.
d) Intégrez les jeux dans vos pratiques existantes
Pas besoin de créer une « ludothèque » tout de suite. En effet, les jeux peuvent s’insérer dans vos activités existantes, comme :
- Un accueil café plus convivial avec un jeu de cartes posé sur la table ;
- Un atelier de français avec des jeux de mots ou d’expressions ;
- Un atelier de cohésion d’équipe avec des jeux coopératifs ;
- Un moment « bonus » après une activité plus intense, pour souffler et se retrouver ensemble.
Ainsi, le jeu peut devenir un outil transversal, au service de vos missions.
e) Évaluez et ajustez
Après quelques séances, prenez un moment pour observer et faire le point :
- Quels jeux ont bien fonctionné, et pourquoi ?
- Y a-t-il eu des freins ? Des réactions inattendues ?
- Quels apprentissages avez-vous observés ?
- Le groupe demande-t-il à rejouer ? À essayer autre chose ?
L’évaluation peut être formelle ou informelle, mais elle vous aidera à affiner vos choix et valoriser l’impact du jeu auprès de vos collègues, publics ou partenaires. Après une séance, il est aussi intéressant de demander aux personnes qui ont participé comment elles ont vécu la partie, quel a été pour elles un moment fort (ou ennuyant) du jeu, etc.
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4. Conclusion : jouer, c’est (aussi) travailler
Dans nos structures, on pourrait croire que le jeu relève de l’accessoire. Pourtant, jouer, c’est bien plus que passer un bon moment : c’est faire l’expérience d’un autre rapport à soi, aux autres, au savoir, au monde. C’est découvrir qu’on peut coopérer sans se juger, réfléchir sans pression, se tromper sans sanction. C’est aussi oser l’imaginaire, le rire, la stratégie, l’émotion – autant de dimensions souvent mises de côté dans les cadres professionnels classiques.
En tant que travailleur·ses du social, de l’éducation ou de la santé, vous êtes souvent confronté·es à la souffrance, la précarité ou l’isolement. Le jeu ne résout pas les problèmes, mais il offre un espace tiers, un terrain neutre où les rôles sont redistribués, les règles clarifiées et où les interactions sont facilitées. Par ailleurs, il permet à des personnes parfois invisibles de (re)prendre une place au sein d’un groupe.
Du côté des équipes, intégrer le jeu dans le quotidien professionnel, c’est réaffirmer que la collaboration et la créativité se construisent, se cultivent et s’entretiennent. Effectivement, rien de tel qu’un jeu pour révéler les dynamiques d’équipe (et de pouvoir), les habitudes de communication ou les forces cachées d’un collectif. Enfin, jouer en équipe peut aider à désamorcer les conflits, faire circuler la parole ou redonner de l’énergie à une équipe à bout de souffle.
Jouer, ce n’est pas fuir le réel : au contraire, cela permet de s’y confronter autrement. Ainsi, le jeu permet d’expérimenter en miniature ce que vous cherchez à construire à grande échelle : des environnements inclusifs, structurés et vivants, où il y a de la place pour tous et toutes. En ce sens, le jeu peut devenir un outil politique au sens noble du terme : un outil pour faire société.
Alors, pourquoi ne pas en faire un vrai levier professionnel ? Non pas en l’ajoutant au-dessus de tout le reste, mais en l’inscrivant pleinement dans vos pratiques en tant que médiateur, accélérateur, révélateur. La bonne boîte de jeu dans les bonnes mains peut devenir un outil aussi puissant qu’un tableau blanc, une réunion de travail ou un plan d’action.
5. En bonus, quelques suggestions de jeux à tester avec vos publics et équipes
Jeux coopératifs
- The Mind – intuition et coordination sans parole
- Magic Maze – communication non verbale sous contrainte de temps
- Hanabi – coopération et mémoire collective
- Zombie Kidz Evolution – progression coopérative, idéal pour les plus jeunes
- Bandido – jeu d’observation et de placement coopératif
- Panic Island – jeu coopératif ultra rapide et très fun
- Mysterium – collaboration entre médium et fantôme pour résoudre une énigme
Jeux d’expression orale, langage et communication
- Just One – trouver un mot à partir d’indices uniques
- Time’s Up ! – faire deviner des mots avec des contraintes de plus en plus fortes
- When I Dream – jeu narratif sensoriel autour du rêve
- Feelings – parler d’émotions, très adapté aux groupes sensibles
- Pigeon Pigeon – deviner la bonne réponse parmi des fausses définitions (jeu de bluff)
- Pictionary – idéal pour des publics allophones
- Story Cubes – dés à histoires, pour inventer collectivement
- Il était une fois – construction de récits collectifs
- Yesss ! – jeu d’association d’idées rapide et drôle
- Pictures – faire deviner une image à l’aide de matériaux insolites (lacets, cubes, bâtonnets…)
- Concept – faire deviner des notions sans parler, en posant des pions sur une carte visuelle
Jeux de logique, observation, rapidité ou stratégie (cognitif, rééducation douce)
- Dobble – observation et rapidité, intergénérationnel
- 6 qui prend ! – calcul et anticipation
- Qwirkle – association de couleurs et de formes
- Azul – jeu de placement stratégique et apaisant
- Ricochet – jeu de déduction coopératif (peut être joué seul ou à plusieurs)
- Color Addict – lecture et rapidité, idéal pour dynamiser un groupe
- Set – perception visuelle et raisonnement
Jeux créatifs ou narratifs (imaginaire, expression de soi)
- Imagine – faire deviner des mots ou situations à l’aide de cartes transparentes
- Dixit – illustré, poétique, favorise les interprétations multiples
- Dream On – création collective d’un rêve à mémoriser ensemble
- Poule Poule – narration visuelle avec des règles farfelues
- Obscurio – semi-coopératif, jeu d’illustrations et de déduction
Jeux brise-glace, pour l’inclusion ou le team building
- Codenames – jeu d’association de mots par équipes
- Poule Renard Vipère – version cartes, pour créer des alliances éphémères
- Feelinks Revelations – version adultes du jeu Feelings, utile en animation d’équipe
- Totem – exprimer ce qu’on apprécie chez l’autre (idéal en renforcement positif)
- Les Aventuriers du Rail (Europe ou Express) – accessible, stratégique, favorise l’observation mutuelle
- So Clover ! – jeu d’association coopérative, facile à animer
- Team3 – coopératif basé sur les singes de la sagesse : « je ne vois rien, je n’entends rien, je ne parle pas »
- Mito – Mentir, tricher, rire… mais discrètement !
Caroline Watillon
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