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Portrait d'un éducateur : Mostapha, le conseiller et confident des jeunes des Marolles

Portrait d'un éducateur : Mostapha, le conseiller et confident des jeunes des Marolles

Lancée en 2004, l’ASBL Bravvo est un service de prévention pluridisciplinaire bruxellois. Parmi les différents métiers représentés, on y trouve celui d’éducateur. Nous avons rencontré celui de l’antenne des Marolles, Mostapha Jaroui. Investi depuis toujours dans des projets de cohésion sociale, il nous raconte comment l’ASBL joue un rôle majeur dans le mieux-être de certains jeunes.

L’ASBL Bravvo propose, entre autres, un service de médiation sociale, une école de devoirs et des suivis individuels.

Mostapha Jaroui est une des forces vives de l’association. Depuis octobre 2021, il intervient auprès des jeunes du quartier. Il accompagne celles et ceux qui, à un moment de leur vie, perdent pied et ont besoin d’une épaule sur laquelle ils peuvent compter. Aller à leur rencontre et leur proposer des solutions concrètes : voilà ce qui rythme les journées de cet éducateur.

"Je pense que j’étais destiné à faire le métier d’éducateur"

Le milieu associatif et la prévention auprès des jeunes ont toujours fait partie de la vie de Mostapha Jaroui : "J’ai grandi dans le quartier Annessens. On y proposait pas mal d’activités pour les jeunes." Plus tard, il est passé de l’autre côté de la ligne en s’engageant dans le milieu associatif et au sein de projets de cohésion sociale. S’en est suivi, quelques temps plus tard, la création, avec un ami, de sa propre ASBL, appelée ’Sport Education’ : "On proposait des activités sportives pour les jeunes. C’était notre accroche, un tremplin pour travailler sur l’estime et la confiance en soi."

Il étudiait alors la mécanique mais a décidé de faire une formation d’animateur socio-culturel au CBAI afin d’intervenir auprès de son public de prédilection : les jeunes : "Je pense que j’étais destiné pour le métier d’éducateur car il y avait des prémisses dans mon parcours. Ma carrière professionnelle a démarré dans un centre de contacts, ici aux Marolles. Aujourd’hui, ces centres sont devenus les maisons de quartier. J’ai obtenu mon premier emploi dans le cadre d’un projet FIPI à mi-temps."

De médiateur à éducateur

La mission du jeune éducateur était d’instaurer une médiation entre les personnes du troisième âge qui bénéficiaient des locaux de la maison de contacts et les jeunes du quartier. Ces derniers considéraient avoir le droit d’accéder au lieu et le faisait savoir d’une manière peu diplomatique : "On a alors négocié des horaires d’accès au local uniquement pour les jeunes, deux soirées par semaine, les mercredis et vendredis de 19h jusque 22h."

Et le projet a fonctionné jusqu’à développer une collaboration entre les deux groupes d’âges dans l’organisation de soirées, de barbecues, de journées thématiques contre le Sida, la pauvreté... Mais pour Mostapha Jacobi et son équipe, l’apparition de ces tensions, n’était pas due qu’à l’absence d’un local pour les jeunes : "On a également développé un service d’accompagnement personnel pour les jeunes qui rencontraient des difficultés scolaires avec une équipe éducative, une assistante sociale, une psychologue et un service de régularisation."

Après cette expérience, l’éducateur a souhaité continuer son action dans le quartier des Marolles. Il a été engagé au service jeunesse de la ville de Bruxelles en tant qu’animateur de rue. Les missions étaient celles d’un centre de jeunes et combinaient le travail de rue, l’accompagnement individuel et les activités, "mais sans local. On nous appelait les Sans Bureau Fixe", rigole-t-il.

En 2004, l’ASBL Bravvo est créée et Mostapha Jaroui voit ses missions définies par le secteur jeunesse.

Bravvo est le service de prévention de la Ville de Bruxelles, en charge de la lutte contre l’exclusion sociale et le sentiment d’insécurité. L’ASBL propose une approche pluridisciplinaire au plus proche de la vie de quartier. Ainsi les gardien.ne.s de la paix, les agent.e.s Bruciteam, les éducateur.rice.s, les services de médiations sociale et scolaire collaborent sous la même coupelle Bravvo. Mostapha Jaroui se souvient : "On a démarré à 50 et maintenant on est plus de 400. La pluridisciplinarité des équipes permet de répondre aux problématiques multifactorielles et donc des prises en charges systémiques."

"Créer le lien de confiance est un travail de longue haleine"

La mission principale de l’éducateur et qui le différencie des animateurs est le suivi individuel. Il est accessible à tout public, sans spécificité d’âge mais Mostapha Jaroui développe ses suivis principalement auprès des jeunes : "Nous, en tant qu’éducateur, on est là pour casser la dynamique des groupes qui peuvent s’avérer nocifs pour les jeunes. Donc individuellement, on fait sortir un jeune du groupe, petit à petit par un travail d’accompagnement et de médiation. Une fois qu’on retire un jeune, deux jeunes, trois jeunes du groupe, ça casse la dynamique. Et quand ils réussissent, qu’ils ont un travail, ça se répercute sur les autres qui eux aussi veulent savoir comment arriver là."

Tout suivi commence par la création d’un lien entre l’éducateur et le jeune. Mais pour créer ce lien, il ne faut pas attendre qu’il ou elle pousse la porte des locaux de Bravvo de lui ou d’elle-même. En effet, Mostapha Jaroui nous précise que les jeunes ne vont pas dans les institutions, les craignant même parfois : "Par exemple, il y a des jeunes qui ont 18 ans, ils ont le droit au revenu d’intégration mais ils ne vont pas le demander car ils ne sont pas à l’aise avec le cadre de l’institution : le fait de devoir montrer sa carte d’identité, de devoir attendre... Ils ont l’impression que c’est contre eux. C’est comme s’ils avaient des ennemis imaginaires. Il y a plusieurs éléments qui doivent être déconstruits et pour se faire, il faut créer le lien de confiance qui est un travail de longue haleine."

Et ce travail, l’éducateur des Marolles le fait auprès de 57 jeunes. Les objectifs de suivi sont de casser les mauvaises dynamiques dans lesquels peuvent se trouver les jeunes : décrochage scolaire, consommation de drogue, deals... : "Le public que l’on a ici est vulnérable. Il y a plus de 863 familles monoparentales. Il y a beaucoup de jeunes qui ont un parcours avec des passages en maisons d’arrêt, en maisons éducatives... Certains parents ne sont pas outillés pour les accompagner, d’où la nécessité d’une prise en charge systémique. Cette prise en charge prend en compte la famille, l’école, les groupes de pairs, les activités...c’est un travail global."

"Pour moi, dans l’accompagnement, il y a trois étapes"

C’est dans le cadre des entretiens qu’il organise qu’il accède aux problématiques que rencontre la jeunesse marolloise. Ce sont les moments où il accède aux "blessures invisibles" reçues dans les domiciles et dans la vie quotidienne : "C’est à ce moment que lien de confiance est très important. Il permet aux jeunes de se livrer. J’ai déjà vu plusieurs situations où ils rencontrent des assistants sociaux ou des psychologues, mais comme ce lien de confiance n’existe pas, il ne se livre pas, c’est un bloc de glace. Alors je les pousse à parler en les rassurant sur le cadre de ces entretiens. Je leur dis que c’est un espace où ils vont pouvoir mettre des mots sur ce qu’ils sont en train de vivre, exprimer leurs émotions, leurs sentiments et se libérer."

L’objectif est de répondre à la demande, d’être dans le concret pour autonomiser les jeunes : "Pour moi, dans l’accompagnement, il y a trois étapes : on doit être devant le jeune au début pour lui montrer les possibilités, le prendre par la main pour faire des démarches, puis on est à côté du jeune pour l’amener vers l’autonomie et la dernière étape c’est être derrière lui, c’est le lâcher et regarder ce qu’il fait, ce qu’il essaye."

La recherches d’emploi

En plus du pan "psychologique", le suivi individuel propose un accompagnement à la recherche d’emploi. Dans un quartier populaire comme celui des Marolles, le paramètre financier est le nœud de la guerre : "On les aide aussi dans la recherche de job étudiant pour qu’ils s’en sortent financièrement. Pour certains, on va leur trouver un job pour les vacances à la ville : dans le jardinage, la voirie, l’animation... Acquérir cet emploi est une façon de se valoriser. Mais notre mission ne s’arrête pas là car qui dit emploi dit démarches administratives à la banque, d’ouverture de compte... On doit également leur expliquer le fonctionnement de l’administration et le cheminement du traitement du salaire.’"

Relever les problématiques de quartier : le binôme des suivis individuels

Relever les problématiques nouvelles est complémentaire aux suivis individuels. Il faut savoir observer les dynamiques du quartier et agir directement en proposant des solutions concrètes qui impliquent les jeunes. Des difficultés avec les gardiens de la paix ? Sans attendre, Mostapha Jaroui et son équipe organisent un projet qui permet de découvrir le métier et de déconstruire les stéréotypes des deux côtés. Autant des jeunes sur les gardiens de la paix que ces derniers sur les jeunes.

"On a mis en place des jeux de rôles où les jeunes jouaient les gardiens de la paix et nous celui des jeunes. On leur a ouvert les yeux sur comment ils peuvent se comporter en groupe sans s’en rendre compte. Cela a vraiment marché."

"Il manque d’interlocuteurs avec cette jeunesse"

Fort de ses nombreuses années d’expérience, Mostapha Jaroui reconnaît l’importance de son métier. Pour lui, les éducatrices et les éducateurs font partie du peu d’interlocuteurs qui vont vers les jeunes : "Il manque d’interlocuteurs avec cette jeunesse, ce qui crée un fossé. Et du coup, la seule façon de se faire entendre et voir, pour certains, va être la violence verbale, physique ou urbaine. Tout cela, ce sont des sonnettes d’alarme, des appels de détresse car cette jeunesse souffre", alerte-t-il, avant de pointer : "On doit être là pour les accompagner car ils n’ont pas les mots pour exprimer leurs idées ou formuler une demande. Je le vois dans le cadre de mes accompagnements. Par exemple, quand ils vont en formation chez un de nos partenaires et qu’on leur demande leur carte d’identité, ils vont se braquer et se demander pourquoi on leur demande ça. C’est en ça que l’accompagnement est primordial car on peut prendre le temps d’expliquer et surtout de les rassurer et ainsi permettre la création d’un lien de confiance."

Il rajoute : "Je pense qu’il faut sortir de sa zone de confort et aller chercher les jeunes. On a remarqué avec nos collègues que les jeunes veulent rester fiers dans les situations difficiles et ne demanderont pas d’aide. Il y a cette frontière psychologique qui doit être franchie par les professionnels."

D’autant plus que sortir de sa structure permet de se confronter au terrain, de comprendre ce que vivent les jeunes au quotidien, quels rôles ils doivent endosser... "Il est aussi important, pour ces professionnels, d’avoir conscience de la vie des jeunes. Par exemple, au niveau des horaires. Il faut se rendre compte que c’est peut-être impossible pour lui d’être à l’heure car il doit assumer une série d’éléments dans sa vie familiale. Il n’a plus de papa et sa mère bosse en article 60 pour obtenir un revenu d’intégration et elle doit se lever à 6 heures du matin. Alors oui, le jeune doit déposer ses petits frères et sœurs à l’école..."

"C’est un métier passionnant et satisfaisant"

Avoir une place aussi centrale dans la vie des jeunes à un moment donné, être le conseiller, l’accompagnant et parfois le confident engendre son lot d’émotions non négligeable : "C’est difficile de ne pas ramener ce qu’on a vécu chez nous. On voit des choses et on entend des choses, des secrets que les personnes n’ont jamais dit à personnes. C’est important de pouvoir prendre du recul."

Ce qui n’entache en rien la motivation de l’éducateur : "C’est un métier passionnant et satisfaisant. J’aime ce métier car on met l’humain au centre. Et il ne faut pas oublier l’importance du réseau de partenaires fiables car tout seul on ne peut pas tout faire et ça permet d’être rassurer et d’envoyer les jeunes avec confiance."

Le réseau est primordial pour accéder aux objectifs du jeune. Le mot d’ordre c’est : "On mobilise ! Si le jeune a besoin d’une imprimante, d’un PC, de quelqu’un pour un rapport à l’école... on mobilise le réseau, on va tout mettre en œuvre pour répondre à sa demande. Et on voit le résultat. J’ai eu beaucoup de surprises concernant des jeunes aux profils compliqués mais ils ont montré une vraie détermination dans leurs parcours scolaires ou professionnels. A ce moment-là, on se rend compte qu’il suffisait qu’ils aient une oreille, qu’on les écoute."

A. Teyssandier

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