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9m2 : une expérience immersive au sein des prisons belges

30/01/24
9m2 : une expérience immersive au sein des prisons belges

Les réalités de l’univers carcéral belge demeurent largement méconnues d’un grand nombre de citoyens. À l’occasion du déménagement des occupants de la prison de Forest vers la méga-prison de Haren, les bâtiments pénitentiaires désormais vides vont peut-être accueillir une exposition immersive propice à la découverte et aux questionnements. C’est en tout cas le désir formulé par l’asbl 9M2.

L’exposition proposée par 9m2 constitue une opportunité rare pour le grand public de mieux comprendre l’univers carcéral et de questionner ses conditions actuelles, mais aussi, pour les travailleurs du secteur social susceptibles d’exercer leur métier dans ce milieu, de découvrir les spécificités de ce contexte professionnel.

Rencontre avec Christophe Remion, co-fondateur de l’association 9m2, porteuse du projet. Christophe Remion est éducateur spécialisé et chef du département des éducateurs spécialisés à la Haute École Léonard de Vinci.

La genèse du projet “9m2”

Nous vivons dans une société très sécuritaire”, explique Christophe Remion. “Lorsqu’il y a condamnation, qu’une personne est sanctionnée d’une peine de prison, c’est comme si elle disparaissait de la société. Dans l’imaginaire collectif, quand la personne est derrière les murs d’une prison, il n’y a plus lieu de s’intéresser à son sort, puisque la sécurité est restaurée. Mais ce n’est pas le cas ; cette personne continue à vivre et sera, bien souvent, amenée à être réintégrée à la société.

“​​ Mais qu’est-ce qui se passe derrière ce mur ? Quel est le travail réalisé avec ces détenus, pour les préparer à l’ “après” ? Si la société les a condamnés, quels sont les outils pédagogiques, éducatifs, utilisés pour leur permettre de se construire, de se reconstruire ? L’objectif du projet 9m2 est de proposer des réponses à ces questions. D’amener le public à se les poser. "

La découverte du milieu carcéral avait déjà été proposée lors d’une expérience immersive similaire à Tongres, entre 2006 et 2008. L’exposition avait alors attiré près de 300.000 visiteurs et avait été l’amorce de beaucoup de réflexions. Il y avait un véritable intérêt du public. C’est pourquoi nous souhaitons profiter de cette opportunité rare : le bâtiment d’une prison contemporaine qui se vide, pour réitérer l’expérience.

“​​En utilisant ces locaux, on va permettre aux visiteurs de s’immerger véritablement dans le monde carcéral au travers de différentes “cellules émotions”, comme nous les appelons. Il y aura la cellule de la peur, de l’angoisse, de l’ennui,... L’objectif est de permettre au visiteur de se rendre compte de ce que c’est, de vivre dans neuf mètres carrés, puisque cet espace correspond à la taille d’une cellule. Les odeurs, les bruits, l’atmosphère propres à ce lieu, sont des choses qu’il est très difficile de reproduire. Via notre parcours d’immersion, l’on pourra véritablement vivre cette expérience.

Une exposition, 3 publics

L’exposition et la réflexion qui mène à sa création comportent au moins trois dimensions”, développe Christophe Remion. “Cela veut dire aussi qu’elle cible trois publics distincts.

Education et prévention auprès des jeunes

Tout d’abord, nous souhaitons faire de la prévention. On remarque actuellement une augmentation de la délinquance. Evidemment, ce phénomène est dû à toute une série de facteurs. Nous souhaitons collaborer avec des institutions d’aide à la jeunesse, des écoles, afin d’emmener les jeunes dans cette prison, qui présente dans ce but un véritable aspect éducatif et pédagogique. L’un des objectifs est donc de déconstruire une représentation erronée de la prison, parfois issue des séries télévisées.

Soutien à la formation des professionnels

Nous souhaitons aussi permettre à des futurs éducateurs spécialisés, des sociologues, des assistants sociaux, criminologues, juristes… de rajouter une corde à leur arc.”, expose Christophe Remion. “Lorsqu’on rentre sur le marché de l’emploi, dans ces métiers, il n’est pas évident de comprendre les difficultés qui se présentent dans le cadre du suivi d’un détenu, si l’on n’a pas soi-même eu un aperçu des conditions dans lesquelles ce détenu a vécu.

Les écoles d’enseignement supérieur pourraient donc saisir cette opportunité pour visiter l’exposition avec des étudiants, afin de comprendre les réalités carcérales, pour accompagner durant la peine, mais aussi pour comprendre le vécu d’une personne ayant été détenue, après sa sortie.”

Questionnement sociétal du grand public

Il y a aussi, bien évidemment, la dimension sociale, sociétale même, de la prison belge aujourd’hui. Malheureusement, nous vivons dans une société où le caractère sanctionnel est très marqué et l’environnement des prisons, très aseptisé. Le côté éducatif est vraiment mis de côté dans la prise en charge des détenus. Or, entrer en lien avec un détenu, mettre en place des choses concrètes avec lui, l’accompagner dans la construction d’un projet de vie pour l’”après”... est primordial.

Ce que nous voulons donc promouvoir à travers cette expérience, c’est aussi une certaine empathie envers ces personnes. Amener le public à se demander si le système carcéral actuel est vraiment efficace dans son fonctionnement, surtout par rapport aux questions de réinsertion.

En effet, on constate que l’on construit toujours plus de prisons et des bâtiments toujours plus grands. Dans le même temps, la majorité des écrits et des études sociologiques sur le sujet contredisent cette façon de fonctionner. On sait par exemple que 6 personnes sur 10 ayant fait de la prison y reviennent et que certains n’y ont pas leur place. Amorcer cette réflexion, c’est donc aussi, pour nous, encourager à une prise de conscience à ce niveau, peut-être pour trouver des solutions nouvelles.

Accompagnement des proches

Enfin”, ajoute Christophe Remion, “il ne faut pas oublier qu’un passage en prison à un impact sur la personne incarcérée mais aussi sur son entourage. Il y a énormément de victimes collatérales. L’entourage d’un détenu peut aussi, via l’exposition, comprendre son vécu, éventuellement entamer un deuil, par rapport à des difficultés vécues par un proche en prison. Découvrir cette réalité de vie, cela peut donc aussi soutenir certains processus psychologiques.

L’expérience d’un détenu, dès sa sortie du fourgon

Si le parcours de l’exposition sera similaire pour tous les publics, l’accompagnement sera adapté. Elle débutera par un travail préparatoire, comportant des outils pédagogiques spécifiques développés notamment par Jean-Marc Mahy, “éduc-acteur” et ancien détenu. Lors de la visite, le parcours du détenu, du moment où il sort du fourgon à l’entrée en cellule, sera décrit et recontextualisé. Enfin, un débriefing clôturera la découverte, durant lequel différentes ressources seront mises à disposition des visiteurs.

L’exposition sera par ailleurs guidée par d’anciens détenus, qui pourront délivrer un témoignage de première main au public. Une façon, pour une exposition qui se veut d’utilité publique, de participer également à leur processus de réinsertion.

L’ASBL 9m2

Cela fait deux ans déjà que ce projet est en développement”, explique Christophe Remion. “Nous sommes tout un groupe de personnes : des représentants de la Ligue des Droits Humains, des juristes, professeurs d’université, historiens ou encore, d’anciens détenus, des éducateurs spécialisés, comme moi... qui nous sommes rassemblés pour créer l’ASBL 9m2, porteuse du projet. L’ambassadeur du projet, Jean-Marc Mahy, est d’ailleurs un ancien détenu devenu aujourd’hui éducateur et acteur. On n’imagine pas ce type de projets sans inclure les premiers concernés  !

Vous souhaitez plus d’informations concernant l’exposition 9m2 ? Contactez l’équipe à l’adresse info@9m2.be.

Légende photo : L’équipe CA de 9M2 : France Huart, enseignante,  Xavier Rousseaux, Historien et Directeur de recherche honoraire du FNRS, professeur invité à l’UCLouvain, Francois de Borman, Olivia Nederlandt, avocate et enseignante à Saint Louis, Jean-Marc Mahy, éduc-acteur, Christophe Remion et Manu Lambert, juriste à la Ligue des droits humains.

Mathilde Majois



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