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Celles qui nous soignent : les métiers du care sous le prisme du genre

07/03/25
Celles qui nous soignent : les métiers du care sous le prisme du genre

Journée internationale des droits des femmes | Aides-soignantes, infirmières, aides à domicile, agentes d’entretien… Autant de métiers du soin qui se déclinent majoritairement au féminin. Pourquoi cette différence de genre ? Cinq ans après la pandémie, que reste-t-il des promesses de valorisation du care ? Qui prend soin de celles qui prennent soin ? Décryptage.

Printemps 2020. La pandémie nous confronte à notre vulnérabilité individuelle, mais surtout collective. Plus que jamais les allocutions sont à la valorisation des métiers essentiels, à commencer par le personnel soignant, c’est-à-dire surtout les soignantes [1] … L’espoir d’un changement de paradigme se fait sentir : pour une société robuste, le care doit être au centre des politiques. Puis vient le déconfinement. Rapidement, on oublie les morts, les infirmières épuisées, les masques en tissus. La vie reprend le dessus. Le rythme de la production aussi. Plus fort, plus vite, plus intense.

Aujourd’hui, cinq ans après le covid, les beaux discours ne sont plus qu’un souvenir douloureux et la note du gouvernement Arizona sonne comme un backlash notamment concernant les réformes du travail et des pensions.

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« Les conditions de travail m’ont enlevé ma vocation »

Nayat, 35 ans, œuvre depuis plus de dix ans comme infirmière dans le secteur hospitalier. Si, à ses débuts, elle était pleine d’entrain pour ce métier, les réalités de terrain l’ont profondément dégoutée. « En tant qu’infirmière, ce ne sont pas tant les gestes techniques qui te font sentir utile, mais surtout le soin, les petites attentions. » Problème : l’écoute, la prise en compte du rythme de l’autre, les échanges sont rendus impossibles par la cadence de travail. « Je ne veux pas que les patient·es sentent que je suis pressée. Je veux pouvoir aller doucement et sentir le relâchement dans le corps de l’autre. Pour moi c’est très clair : les conditions de travail m’ont volé ma vocation. Depuis la pandémie, rien n’a changé, c’est même pire, dans le sens où beaucoup de gens ont déserté la profession, ce qui ajoute de la pression sur les travailleuses. Le turn-over affaiblit le suivi des patient·es, et au sein des équipes, cela affaiblit la capacité à exercer une pression sur la hiérarchie. »

Même son de cloche du côté de Myriam, aide-soignante en maison de repos. « Quand j’arrive le matin, j’ai une quinzaine de personnes à prendre en charge. Chacun·e a son humeur, certain· es sont atteint·es de démence. On nous met la pression pour aller toujours plus vite. Physiquement et psychologiquement, c’est lourd. » Concernant le salaire, Myriam est formelle : les aides-soignantes ne sont pas du tout rémunérées à la hauteur de la pénibilité du métier et de la flexibilité demandée. « Ce que je vois, c’est que nous n’avons aucun mot à dire sur nos conditions de travail, les décisions de la direction sont prises sans nous concerter au détriment des patient·es. Cette cadence pousse à la maltraitance, car nous ne pouvons pas respecter le rythme des personnes. C’est tout à fait terrible. Nous sommes victimes de ce système et nous, nous devons vivre avec le poids de la culpabilité qu’il nous inflige. »

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Hiérarchie et perpétuation des violences

La souffrance des travailleuses de ne pas pouvoir exercer les soins comme elles l’entendent est réelle. Pour tenir, elles n’ont d’autres choix que d’aller parfois à l’encontre des ordres. Sophia [2] est agente d’entretien dans une maison de repos, elle explique : « Je sympathise avec les résident·es, je leur parle, les écoute ; j’adore, c’est ça qui me fait rester. On nous met la pression pour aller toujours plus vite, malgré tout je nettoie à mon rythme : je ne suis pas une machine. Je ne veux pas me tuer, et ce qui est le plus important pour moi c’est de respecter les patient·es. » Sophia travaille à 4/5 pour 16 euros brut de l’heure. « Je vis seule avec ma fille, ce n’est pas évident, mais je me débrouille. Je ne trouve pas que mon métier soit reconnu à sa juste valeur. On sent que nous, les femmes à l’entretien, nous formons le dernier échelon ; pourtant, sans nous, les soignant·es ne peuvent pas travailler. »

Charline Marbaix est médecine (le féminin de médecin se dit médecine) et spécialiste des inégalités genrées de notre système de santé. À travers ses recherches, elle a notamment observé de nombreux rapports de pouvoir dans le milieu médical. « Le care est largement féminin, mais plus on monte dans la hiérarchie, plus on retrouve des hommes : les chefs de service, les directeurs ou même l’ordre des médecins. Nettoyer les espaces, ça fait évidemment partie du soin, mais c’est tout à fait dévalorisé ! » La spécialiste dénonce par ailleurs la toxicité du système hospitalier : « Les soins s’effectuent à la chaine, tout est très compartimenté et chronométré. Il existe une violence inhérente à l’institution, et ce sont surtout les femmes qui en sont les premières victimes, particulièrement celles issues de l’immigration ou des classes ouvrières, qui sont nombreuses dans les métiers les moins valorisés : agentes d’entretien, aides-soignantes, auxiliaires aux soins ou infirmières. »

La prétendue sollicitude innée des femmes

Mais au fait, pourquoi le secteur du care est-il si peu valorisé ? Pourquoi les conditions de travail sont-elles si mauvaises ? Florence Degrave enseigne les sciences sociales à l’UCL et est spécialiste des questions de care et de l’aide aux personnes âgées dépendantes, dans une filiation féministe. « L’idée selon laquelle les femmes auraient des dispositions naturelles pour la sollicitude reste très ancrée. Mais associer des dispositions biologiques présupposées à des métiers se révèle tout à fait délétère, car cela entraine une invisibilisation de ce qui demande un effort d’apprentissage, des efforts physiques et psychologiques. » La socio-économiste rappelle par ailleurs la distinction entre cure -ce qui relève du médical et du soin direct au corps- et care, qui est plutôt du côté du spontané, de ce qui est considéré comme ne demandant pas d’effort et dès lors est dévalorisé. « Cette dichotomie est très ancienne et très ancrée culturellement. La médecine s’est construite comme une science dégagée des savoirs populaires et des femmes. »

Outre la pénibilité, les bas salaires et les mauvaises conditions de travail, il est important de souligner que le secteur connait un grand nombre de temps partiels. Des horaires réduits, souvent par obligation, car les tâches sont trop lourdes pour un temps plein, ou du fait de la nécessité de s’occuper de sa propre famille, puisque le travail domestique (et gratuit !) continue d’être porté majoritairement par les femmes. Cette réalité impacte directement le pouvoir économique et les pensions des travailleuses.

Sortir de la logique productiviste

Comment faire en sorte que le care formel ou informel cesse de reposer presque exclusivement sur les épaules des femmes, et ce sans reconnaissance ni valorisation ? Premièrement en déconstruisant les stéréotypes de l’éducation genrée, qui pousse les petites filles à prendre soin de l’autre et les petits garçons à développer leur individualité. Il est aussi nécessaire de travailler sur des rôles modèles pour transformer les imaginaires et en finir avec cette prétendue prédisposition féminine aux soins. Mais attention, dans une société patriarcale marquée par des rapports de domination, il est légitime de se demander comment intégrer les hommes dans les métiers du care sans amoindrir la place des femmes

Il semble également essentiel de changer de paradigme : des économistes féministes prônent un nouveau modèle, à l’opposé du système capitaliste actuel. L’économie du care met en effet l’humain, et non plus le profit, au cœur des échanges. Pascale Vielle est professeure de droit social à l’UCL : ses recherches portent sur les politiques de la protection sociale à l’échelon international et européen, ainsi que sur l’approche du droit par le genre, notamment à travers l’écoféminisme. « Pendant le covid, de nombreux discours allaient dans le sens de la revalorisation des métiers du care : on s’est rendu compte de la nécessité que ces personnes soient bien formées, travaillent dans de bonnes conditions. Mais par rapport à ça on a fait plusieurs pas en arrière, c’est affolant ! »

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Prendre soin de celles qui prennent soin

Le 8 mars est une journée de grève féministe, mais même face au droit de grève, dans un système au bord du gouffre, les travailleuses du care sont lésées. « S’arrêter, ce n’est pas si simple. On ne veut pas mettre les autres dans l’embarras, on sait que se retrouver en sous-effectif c’est l’horreur, et puis on pense aux malades... En fait on prend soin tout le temps : de nos collègues, des patient·es, de l’institution. Mais de nous, qui prend soin ? », questionne Nayat.

Si le tableau est sombre, il demeure des espaces de soin autogérés qui entendent aller à contrecourant de cette maltraitance généralisée. C’est le cas notamment de nombreuses maisons médicales ou centres de planning familial à l’instar du Plan F à Bruxelles, particulièrement engagé sur les questions de genre et d’égalité. « Le care comme enjeu féministe pour aller à l’encontre des logiques de domination, c’est l’une de mes motivations, et c’est le moteur de nombre de personnes de l’équipe », commente Claire Bernis, coordinatrice.

Pour traduire ces engagements militants en résultats concrets, la structure a décidé de mettre en place des outils afin d’amorcer une logique de soin interne à l’équipe. « Quand on travaille dans le care, il peut y avoir une tendance sacrificielle. Ici, nous sommes vigilantes, notamment au fait de ne pas culpabiliser en cas de maladie ou de congé. Ensemble, nous normalisons le fait de se permettre de lever le pied ou de prendre des moments de supervision, de formations. Mais changer les mentalités prend du temps, car nous venons d’une culture où le bien-être des soignantes passe après celui des patient·es. Les jeunes générations remettent en question certaines habitudes, c’est bénéfique, et ça nous met en action. »

Une enquête de Jehanne Bergé

Savoir plus :

1 : La majorité des personnes travaillantes en tant que personnel des soins de santé sont des femmes. Aides-soignantes en institution : 85%. Infirmières : 86%. Médecins généralistes : 60%. Sources.
2 : Le prénom a été modifié. Concernant les autres témoignages, seul leur prénom apparait pour garantir la discrétion de leur propos.




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