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Des activités de théâtre en prison : « Ce sont des êtres humains derrière les murs »

12/04/23
Des activités de théâtre en prison : « Ce sont des êtres humains derrière les murs »

Depuis plusieurs années, le Théâtre de la Chute collabore avec le Service Laïque d’Aide aux Justiciables et aux Victimes (SLAJ-V) pour organiser des activités théâtrales avec des détenus. Le projet, appelé In/Out, s’est déroulé cette année à la prison de Haren, sur le thème du roman l’Etranger d’Albert Camus. Les détenus volontaires ont participé à des ateliers d’écriture, avant d’interpréter une pièce de théâtre adaptée du célèbre ouvrage. Le but ? Promouvoir la culture au sein des prisons, donner la parole aux détenus et sensibiliser les citoyens. Entretien avec Amandine Jansen, chargée de projet du SLAJ-V.

Le projet IN/OUT, initiative de la compagnie itinérante belge “Le Théâtre de la Chute”, existe depuis 2018. Cette année, les acteurs-animateurs travaillent avec les détenus autour du célèbre roman l’Etranger de Camus, par des ateliers d’écriture de plaidoiries ainsi que des représentations à la prison (projet IN) puis à l’extérieur (projet OUT). Cette année, ce sont des détenus de la prison de Haren qui ont pu réfléchir et s’exprimer autour de l’intrigue. Vendredi 7 avril, le projet s’est conclu par un spectacle ouvert au public, au centre culturel Espace Magh à Bruxelles.

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Le projet IN/OUT : un spectacle en deux temps

Le Théâtre de la Chute promeut le théâtre à caractère social. Pour cela, les acteurs adaptent des pièces à des sujets de société. Dans le cadre du projet IN/OUT et avec la collaboration du SLAJ-V, la compagnie intervient dans des prisons francophones belges. Cette année, le projet s’est déroulé au sein de la prison de Haren. Les détenus, encadrés par les acteurs-animateurs de la compagnie, se sont prêtés au jeu.

« On propose des ateliers d’écriture à des détenus, qui peuvent s’inscrire sur une base volontaire. Ils lisent d’abord le livre "l’Etranger" de Camus. La plupart des détenus l’ont lu. Suite à leur lecture, l’idée est qu’ils écrivent leur plaidoirie ou des textes en répondant à deux questions : Vous sentez-vous proches de l’étranger ? Est-ce que vous pourriez être proche de l’étranger, faire partie de son entourage et l’accepter tel qu’il est ? Sur base de ces deux questions, ils élaborent un texte », pointe Amandine Jansen.

Le nombre de détenus dépend de leur inscription. A Haren, au total, sept détenus ont participé au projet. « Après les ateliers d’écriture, la pièce de théâtre, qui est adaptée du roman par la compagnie, est jouée à la prison avec un public de détenus principalement. Les textes des détenus sont lus par eux s’ils le souhaitent, ou par les comédiens. A la fin, un échange avec le public a lieu, pour que chacun puisse apporter son point de vue », détaille-t-elle. Au total, ce sont quatre ateliers qui ont lieu avec les détenus participants. Après avoir abordé l’histoire dans sa globalité, les comédiens aident et encadrent les prisonniers dans leur écriture et leur réflexion.

Le spectacle a lieu en deux temps : le projet IN, qui se déroule derrière les murs de la prison, est suivi du projet OUT. Il s’agit d’une représentation ouverte au public, à l’extérieur. « On essaye de la faire le plus proche possible des ateliers pour que les détenus soient encore baignés dans l’atmosphère du bouquin, dans leur texte et dans la mise en scène de la pièce », développe celle qui coanime les ateliers de théâtre et d’écriture. Amandine Jansen précise : « Si les détenus ont l’occasion de sortir, ils peuvent sortir ce soir-là pour lire leur texte eux-mêmes ». Pour les prisonniers de Haren, la représentation publique a eu lieu vendredi 7 avril, à l’espace Magh, à Bruxelles.

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Échanger, raisonner et écrire autour de l’Etranger

Le thème, centré autour du livre l’Etranger d’Albert Camus, qui relate le récit d’un prisonnier condamné à mort, fait écho à la situation des détenus eux-mêmes. « Cela permet aux prisonniers d’élaborer ce thème en ayant un certain recul sur leurs propres faits, mais aussi d’avoir une réflexion autour de la prison. Je pense que le fait de se détacher de sa propre histoire permet d’amener des choses sur l’incarcération, sur son propre vécu mais en étant un peu plus détaché », formule la chargée de projet du SLAJ-V. Les détenus peuvent réfléchir librement autour de sujets tels que la peine de mort, se mettre dans la peau d’un personnage, élaborer autour de l’étrangeté ou de la solitude… En bref, la créativité et l’imagination sont de mise.

« L’étranger, c’est quelqu’un de très particulier. C’est un personnage très atypique parce qu’il montre très peu ses émotions. Est-ce qu’il en a, est-ce qu’il n’en a pas ? Ce sont des questions qui ont été abordées avec eux », relate-t-elle. Et de poursuivre : « On va aussi en profondeur autour de la personnalité de quelqu’un. C’est un sujet très vaste aussi bien sur l’être humain, sur l’incarcération, sur la peine de mort et sur la différence. On montre à quel point l’avenir de cet homme est complètement absurde. On l’accuse de ne pas avoir pleuré à l’enterrement de sa mère alors qu’il a tout de même tué un homme. Mais l’a-t-il tué de sang-froid ? »

Lecture du livre, réflexion, écriture… L’impact des ateliers est particulièrement positif auprès des prisonniers. « Proposer des activités socioculturelles aux détenus leur permet d’avoir un moment où ils s’expriment, de les valoriser, de développer une estime de soi parce qu’on leur donne cette liberté-là. Ils développent de nouvelles façons de s’exprimer. Ils sont aussi ensemble, ils découvrent autre chose que les contacts qu’ils peuvent avoir entre eux dans les unités de vie », raconte Amandine Jansen, avant de continuer : « Les détenus, pour certains, apprennent à structurer un texte, à mettre en mots leurs pensées. Cela leur permet de mettre en avant leur capacité de parole en groupe mais aussi d’appréhender comme on se tient devant un groupe. » A terme, l’un des objectifs est de faciliter la réinsertion des détenus à leur sortie.

Au cours des quatre ateliers encadrés par les comédiens du théâtre de la Chute, les détenus découvrent (ou redécouvrent) la littérature, apprennent à interpréter une pièce de théâtre ou à mettre en scène leurs propres textes. Il s’agit d’un moment où ils peuvent s’exprimer librement. « La culture est un droit fondamental, elle n’est malheureusement pas assez développée dans les prisons. En général, ce n’est pas la priorité des directions. Mais cela s’est fait, on s’est battu pour que le projet puisse se mettre en place. » L’interprétation de la pièce en extérieur constitue également un moyen de sensibiliser à la culture en prison, particulièrement utile pour la réinsertion des détenus. « On essaye de plus en plus de faire sortir ce qui se fait à l’intérieur pour que les gens sachent ce qu’il se passe en prison. Les détenus sont des êtres humains qui ont des choses à dire, qui vivent des choses et qui ne sont pas juste limités à leurs faits. Ce sont des êtres humains qui sont derrière les murs. »

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Entre culture et réinsertion, des projets pas toujours simples à organiser

Pour développer la culture en prison, le SLAJ-V participe à la mise en place et l’encadrement d’autres projets. En effet, le service organise également des formations qualifiantes de photographie avec l’école Agnès Varda. Les cours ont lieu deux fois par semaine sur une durée de quatre mois et demi. « L’année dernière, elle avait lieu avec les détenus de Forest. A la fin de la formation, une exposition a été faite au musée de la Photographie à Charleroi. Les prisonniers ont pu la visiter », raconte Amandine Jansen.

Outre l’organisation des formations en photographie, le SLAJ-V participe également à la coordination d’ateliers d’écriture de stand-up et de jeux de société. Enfin, le projet "Escapades", en collaboration avec l’ASBL Music for Brussels, offre aux femmes détenues la possibilité d’apprendre à organiser des événements culturels, tels que des concerts. Le SLAJ-V souhaite continuer de promouvoir de telles activités dans les prisons : « A l’avenir, si les budgets le permettent, on espère développer un atelier théâtre, mais cette fois-ci en développant une pièce avec les détenus », révèle-t-elle. Par ailleurs, le Centre d’Action Laïque (CAL) travaille sur la création d’un reportage qui suivrait les activités du SLAJ-V. « On aimerait que ce soit diffusé dans le cadre des Journées nationales de la prison. C’est un projet qui j’espère verra le jour pour promouvoir la culture en prison, montrer les leviers et les freins de cette mise en place et de son importance et sensibiliser le tout-public au milieu carcéral. »

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Bien que les projets soient relativement bien accueillis au sein de la direction des prisons, ils ne sont pas évidents à mettre en place en raison du peu de subventions accordées par la justice. « La justice soutient la mise en place d’activités, mais on attend vraiment qu’elle puisse les financer. Même si on a un soutien de la fédération Wallonie Bruxelles, il y a clairement un manque de moyens. Il n’y a pas assez de partenaires qui puissent être rémunérés pour venir faire des activités en prison », regrette Amandine Jansen. En effet, les activités en prison sont régulièrement encadrées par des partenaires qui disposent de leurs propres financements ou qui interviennent à titre bénévole. « Un accord de la part de la direction permet d’organiser les activités, mais il y a un manque cruel de possibilités techniques. Par exemple, il n’y a pas assez de locaux pour la culture », dénonce-t-elle. Ce manque de moyens à la fois financiers et logistiques induit une difficulté certaine dans le lancement de tels projets. « On manque aussi de personnel pour encadrer les ateliers », déplore Amandine Jansen. En conséquence, lors des grèves ou dans le cas d’un sous-effectif chez les agents, les activités prévues peuvent faire l’objet d’une annulation. « Ce n’est clairement pas une priorité. Je trouve que les activités et la culture ne sont pas assez déployées dans les prisons ».

Les prisonniers, eux aussi, peuvent accéder à la culture... Le SLAJ-V lutte au quotidien et regorge d’inspiration pour leur assurer ce droit.

Mélissa Le Floch



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