Hôpitaux en mauvaise santé financière : l’impact sur les travailleurs

Dans les structures hospitalières, l’inquiétude croît. En cause : leur santé financière pour le moins inquiétante... « En difficulté financière, on ne sait pas comment on pourra rembourser l’avance d’un milliard d’euros débloquée par le gouvernement », alerte le directeur adjoint de l’UNESSA. La reprise des activités dans ces institutions sera longue, et sans un engagement financier des instances politiques, les conséquences seront désastreuses pour les travailleurs.
Le gouvernement a décidé de sonder les centres hospitaliers concernant leurs besoins de financement. Il faut dire qu’une chose est sûre, la crise sanitaire a drastiquement amputé les budgets des différents hôpitaux du pays. En effet, les établissements ont dû suspendre une large majorité de leurs activités non liées à la pandémie. Par conséquent, un manque à gagner évidemment se fait aujourd’hui ressentir. Selon des chiffres cités lundi par "Le Soir", la dette accumulée pourrait s’élever à 5 voire 7 milliards d’euros.
Ainsi, les différents partis se mobilisent petit à petit pour appeler le gouvernement à financer les hôpitaux pour éviter des conséquences désastreuses. Ces derniers seraient en « état de quasi-faillite virtuelle » selon l’ancienne ministre Catherine Fonck.
Rappelons que le dialogue social semble enfin se lancer avec les représentants du secteur. Il fait suite aux annonces multipliées par les membres du gouvernement fédéral. Le tout après la rencontre du 20 mai ayant donné lieu à la suspension d’Arrêtés Royaux vivement décriés par la profession. Le gouvernement Wilmès a déjà octroyé une enveloppe d’un milliard d’euros, qui a servi à l’achat de matériel de protection et médicament pendant la crise, ainsi qu’à l’aide de première ligne des hôpitaux, aux soins psychiatriques et à une unité de vaccins. La Première a précisé qu’une « deuxième avance viendra si c’est nécessaire ». Malheureusement, ce système d’avance ne plaît pas à tout le monde puisque ces fonds pourraient dans un deuxième temps être récupérés par le gouvernement.
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Un milliard d’euros à rembourser
Ce qui aura vraisemblablement un lourd impact sur les travailleurs, à plus où moins long-terme. Benoît Hallet, directeur adjoint de l’UNESSA, fédération de l’accueil, de l’accompagnement, de l’aide et des soins aux personnes, explique : « Ces chiffres de 5 à 7 milliards sont une évaluation qui m’a surpris. Il est trop tôt pour chiffrer la crise financière. C’est sûr que les hôpitaux sont en grosse difficulté. Ce sera encore plus le cas si le gouvernement ne prend pas la mesure de ce qu’il se passe. La crise est de deux ordres. Pendant le pic lié au coronavirus, les dépenses ont augmenté du fait des achats réalisés et des précautions prises [matériels de protection, médicaments etc…] D’autre part, les centres hospitaliers ont dû supprimer toutes leurs opérations programmables, ce qui représente une part majeure de leurs activités. Les patients non-covid ne venaient plus dans les hôpitaux. Les rentrées financières ont donc chuté. Les honoraires qui permettent de payer l’activité et le personnel venant en aide aux médecins n’existaient plus pendant le pic Covid. » La crise a donc à la fois engendré des surcoûts et une réduction des activités. Les charges elles, sont restées semblablement les mêmes.
Une confusion existe. Elle réside dans le fait que le gouvernement fédéral a rapidement débloqué 1 milliard d’euros pour aider les hôpitaux. Or, comme nous l’avons expliqué, ces fonds ne sont qu’une avance. Ils ont servi à payer les fournisseurs et les travailleurs. Ce milliard d’euros, les centres hospitaliers devront le rendre. Benoît Hallet l’affirme : « Cette somme est enregistrée comme une dette dans notre comptabilité. Nous devons rembourser les prêts. Mais il n’y a rien pour compenser les surcoûts que nous avons subis. Les gens pensent que l’activité va reprendre directement dans les hôpitaux, mais ça n’est pas le cas ».
La question de la reprise de l’activité dans les hôpitaux
Et c’est là le cœur du problème. Le retour à une activité complète ne se fera que sur le temps long. « La crise est seulement partiellement derrière nous. Les précautions que nous devons prendre sont telles que le retour à la normale sera difficile. Nous ne commençons à réorganiser que maintenant ce qui est programmable. Il nous faudra plusieurs mois pour revenir à la normale. Si on arrive à récupérer notre niveau d’activité normale en octobre, ce sera déjà très bien », se désole le directeur adjoint de l’UNESSA.
Evidemment, il sera impossible de récupérer les pertes économiques de l’année sur trois mois d’activité. D’autant plus que la menace d’une seconde vague de Covid-19 plane sur ces institutions. La priorité sera de maintenir la qualité des services pour accueillir les patients.
Car la réalité est là, les freins sont nombreux pour une reprise rapide de l’activité complète dans les centres hospitaliers. « Aujourd’hui même, sans patients Covid, on bloque 25% des lits en soins intensifs, juste au cas où. C’est nécessaire, mais cela représente un manque à gagner handicapant. Cela empêche également la mise en place de certaines interventions. On bloque donc de l’activité classique. C’est logique mais gênant. Par ailleurs, il faut aussi admettre que le personnel a énormément travaillé durant la crise. Tout le monde doit se reposer. Ils ne seront pas en état de reprendre le travail comme si de rien n’était. C’est une crise dont nous ne sommes pas encore sortis », pointe Benoît Hallet.
Les conséquences de la crise
En clair, le constat est simple. Le manque à gagner ne sera jamais entièrement compensé, les activités, jamais vraiment rattrapées. Ce qui peut déclencher les inquiétudes quand on sait comment le secteur est financé. C’est ce qu’exprime le directeur adjoint de l’UNESSA : « Nous sommes inquiets pour nos hôpitaux. Tous sont soit des ASBL, soit des structures publiques. Aucun d’entre eux ne font de bénéfices. » Leur seul objectif reste d’être à l’équilibre financièrement. Le bémol ? Environ un tiers d’entre eux perdaient déjà de l’argent avant la crise. Alors après… les chiffres risquent de ne pas être encourageants.
Le pessimisme gagne Benoît Hallet : « Ce seront 98% des hôpitaux qui seront en perte si on ne fait rien. Sur le moyen terme cela aura des conséquences. La majorité des dépenses, 60%, représentent des dépenses de personnel pour les hôpitaux. La majorité du reste, ce sont les médicaments. Et un hôpital ne peut pas s’arrêter d’acheter des médicaments. » C’est donc, encore une fois, le personnel qui risque de trinquer. Ce scénario engendrerait des coupes dans les budgets dédiés au personnel. Paradoxal quand on sait combien la crise sanitaire a illustré leur importance au sein de la société.
Surtout, la Belgique est déjà en dessous de la moyenne européenne, en ce qui concerne le nombre de patients a géré par infirmiers. Ils sont neuf en Belgique, contre seulement huit en Europe. Ces hypothétiques licenciements viendraient donc creuser un fossé qui mériterait plutôt d’être comblé. Benoît Hallet s’alarme donc : « Cela va créer un problème de qualité dans les soins. On ne peut pas continuer à traiter le personnel de la sorte. Surtout quand ils viennent de démontrer leurs utilités. On devrait augmenter ce personnel, pas le diminuer. Ce serait extrêmement dangereux. » Les décisions prises aujourd’hui par le gouvernement Wilmès affecteront donc demain avec force.
C.D.
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