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Les grandes lignes du rapport d'enquête sur les violences dans le secteur de l'aide aux sans-abris

04/12/24
Les grandes lignes du rapport d'enquête sur les violences dans le secteur de l'aide aux sans-abris

L’AMA, la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri, a mené une enquête sur la violence dans les services du secteur de l’aide aux personnes sans-abri et sans chez-soi. Un phénomène qui semble s’être intensifié en raison de différents facteurs. Rencontre avec Louise Paquot, chercheuse qui a mené l’étude-action sur les violences en Région bruxelloise.

L’enquête menée par l’AMA a été développée simultanément à Bruxelles et en Wallonie. L’étude wallonne a porté sur une enquête sectorielle, à laquelle ont répondu des éducateurs, des assistants sociaux et des membres du pôle direction/coordination. L’étude bruxelloise, elle, a apporté un regard plus global en forme d’état des lieux. Les répondants se sont exprimés sur les violences verbales, physiques, psychologiques, physiques et sexuelles, qu’elles soient rencontrées par les travailleurs sociaux ou entre les usagers (et dont les travailleurs ont été témoins).

Dans les deux cas, environ 1/3 des répondants estiment que les différents types de violences ont augmenté. De ces quatre types de violences, les violences verbales sont les plus souvent constatées (83 % des répondants disent en avoir été l’objet, 92 % disent en avoir été témoins entre usagers).

Parallèlement, le questionnaire portait également sur les violences institutionnelles. Concernant celles produites à l’encontre des usagers, près de 2/3 (63 %) des répondants estiment que ces violences-là ont augmenté et sont liées, entre autres, au manque de places, au manque de moyens et de financements structurels, ainsi qu’au cadre institutionnel. Ils sont également 53 % à estimer que les violences institutionnelles à l’égard des travailleurs sociaux ont augmenté : conditions de travail dégradées, sous-effectifs...

Les statistiques complètes sont disponibles dans le rapport de l’AMA, via ce lien.

Afin d’approfondir l’analyse, le Guide Social s’est entretenu avec Louise Paquot, chargée de mission à l’AMA dans le cadre de la recherche-action bruxelloise des violences au sein du secteur de l’aide aux personnes sans chez-soi.

"Un réel intérêt pour les violences systémiques, structurelles et institutionnelles adressées au public"

Le Guide Social : Quel a été le point de départ de cette enquête ?

Louise Paquot : Le projet a vu le jour à l’été 2023, suite à la médiatisation importante des faits de violence rencontrés par les personnes sans-abri ou sans chez-soi. Face à cette situation, le secteur s’est réuni, en disant constater cette situation de violence qui impacte leurs services et équipes sociales, mais en voulant apporter une réflexion plus globale et comprendre les mécanismes qui font qu’on en arrive à de la violence visible dans les services.

Nous avons commencé par leur demander quelle était leur perception de la violence dans leur secteur. Il était intéressant de constater que la question des violences telles quelles sont visibles ne constituait pas le point d’attention prioritaire dans les deux groupes. Ce qui en est ressorti, c’est l’intérêt concernant les violences systémiques, structurelles et institutionnelles adressées au public avec lequel nous travaillons de manière continue et cumulée, et comment on en arrive à ce que ces mécanismes-là fragilisent tellement les gens et les équipes sociales qu’ils entraînent des situations de tension extrême dans les services.

Lire aussi : Aide à la jeunesse : quand les violences politiques succèdent aux violences familiales

Le Guide Social : Hormis l’étude sectorielle, en quoi a consisté l’étude plus globale en Région bruxelloise ?

Louise Paquot : Nous voulions redonner la parole aux premières personnes concernées en s’approchant de leur réalité quotidienne. Nous avons mis en place des groupes de recherche séparés, composés d’une part, de travailleurs sociaux et d’autre part, d’experts du vécu, avec pour objectif de développer le projet avec les personnes directement concernées. Entre fin mars et fin juillet, nous avons mené 4 groupes de recherche avec des travailleurs sociaux et 10 groupes avec des experts du vécu, ces derniers étant en fait des personnes qui, au moment de la tenue de ces groupes, soit vivaient une situation d’absence de chez-soi (voire de sans-abrisme), soit en avaient vécu une au cours de leur parcours.

"La tâche des travailleurs sociaux consiste de plus en plus à se battre avec ces institutions"

Le Guide Social : Ces groupes vous ont-ils donné un aperçu représentatif ?

Louise Paquot : Les personnes avec lesquelles nous avons travaillé étaient à ce moment-là de leur vie en mesure de travailler dans une salle pendant plusieurs heures. La réalité mise en évidence dans ces groupes ne représente donc pas forcément la réalité de toutes les personnes, mais ces groupes nous ont permis de comprendre l’intérêt de porter un regard intersectionnel, car une femme ne va pas vivre les mêmes violences qu’un homme, de même que des personnes avec des troubles liés à la drogue ou à la santé mentale ne vivront pas la même réalité que des personnes qui n’en ont pas. D’où notre volonté, dans la rédaction de ce rapport, de nuancer nos propos et de mettre en évidence ces différentes réalités.

Le Guide Social : Néanmoins, certains constats ressortent clairement de votre démarche...

Louise Paquot : Les personnes ont de plus en plus de difficultés à accéder à leurs droits fondamentaux et ce, pour des raisons de lourdeur administrative, de difficultés de prise de contact avec leurs assistants sociaux, d’obstacles purement fonctionnels de personnes qui comprennent mal ce qu’on leur demande... Certaines de ces personnes finissent donc par abandonner, elles perdent confiance en elles dans leurs démarches, se trouvent fortement stigmatisées dans ces institutions. Parallèlement, la tâche des travailleurs sociaux consiste de plus en plus à se battre avec ces institutions et donc à prendre un temps considérable à accompagner ces personnes qui, dès lors, deviennent de plus en plus dépendantes de nos services pour des démarches qu’elles étaient capables de faire par elles-mêmes dans le passé.

"Il est nécessaire que les politiques s’emparent de la question"

Le Guide Social : Quelles recommandations pouvez-vous dégager de cette enquête ?

Louise Paquot : De nombreuses recommandations peuvent être faites, mais un élément transparaît à tous les niveaux : la nécessité à ce que les politiques s’emparent de la question pour fournir plus de moyens, pour s’intéresser à la question, pour comprendre le public avec lequel nous travaillons, et pour apporter une vision plus humaine de l’accompagnement des personnes.

On peut faire toutes les recommandations qu’on veut, mais si les travailleurs sociaux n’ont pas les moyens pour accompagner les personnes vers leurs droits, le logement, etc., les personnes vont devenir de plus en plus vulnérabilisées et fragilisées, et tout cela risque de faire d’autant plus porter la responsabilité sur les travailleurs sociaux et les usagers. D’où l’importance de reporter cette responsabilité sur le monde politique et tout ce qui peut être réalisé bien en amont de ce qui se fait dans les institutions.

À noter que le rapport sera présenté à la Cocof le 19 décembre et avant cela, en priorité à l’ensemble du secteur, le 9 décembre à La Tricoterie, à Saint-Gilles.

Propos recueillis par O.C.



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