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Interview exclusive - Les grands chantiers du ministre Coppieters pour la Santé et le Social

13/11/24
Interview exclusive - Les grands chantiers du ministre Coppieters pour la Santé et le Social

Le Guide Social est parti à la rencontre d’Yves Coppieters, nouveau ministre de la Santé en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Celui qui est également en charge des Solidarités, au sud du pays, dévoile ses priorités pour les prochaines années : renforcement de la prévention et de la promotion de la Santé, réévaluation de la stratégie contre la pauvreté ou encore reconnaissance et valorisation sociale des métiers du Non-Marchand. Ces grands chantiers, il les veut pragmatiques, transversaux et construits en concertation avec les acteurs de terrain. Rencontre sans langue de bois.

Yves Coppieters, figure emblématique de la crise Covid-19 sur les plateaux télé, passe de la médecine à la scène politique. En effet, l’épidémiologiste a ajouté une nouvelle corde à son arc, en se lançant en politique sous la bannière des Engagés. Il figure, aujourd’hui, au casting des nouveaux Gouvernements de Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il va en avoir, du pain sur la planche : Santé, Environnement, Solidarités, Economie sociale, Egalité des Chances et Droits des Femmes, du côté wallon et Santé, Egalité des Chances et Droits des Femmes, du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Quand il évoque les grands défis qui touchent aux secteurs de la Santé et du Social, le nouveau venu en politique mise sur une approche transparente et directe, sans détour ni promesses vaines. L’esbroufe ? Pas le genre de la maison !

« Il faut aller plus loin dans l’intégration de la dimension "santé" dans toutes les politiques publiques »

Le Guide Social : Yves Coppieters, vous êtes le nouveau ministre wallon de la Santé. Vous occupez également ce poste au sein du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. S’il ne fallait retenir qu’une seule priorité pour cette mandature, quelle serait-elle ?

Yves Coppieters : Un des grands enjeux est de changer de paradigme, en intégrant la dimension "santé" dans toutes les politiques publiques. Certes, le concept n’est pas neuf. En revanche, son opérationnalisation reste superficielle car complexe. En effet, évaluer l’impact sur la santé de politiques variées, touchant au logement, à la mobilité ou encore à l’emploi, est un défi.

Face à ce constat, je voudrais vraiment convaincre mes collègues des deux Gouvernements de ne pas simplement mettre en place une checklist d’indicateurs à cocher au regard de chaque nouveau décret ou proposition de modification. Non, il faut aller plus loin ! Comment ? En introduisant des organes de concertation qui nous assurent que la dimension santé, dans sa vision globale, est bien prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

On pourrait faire le parallèle avec le fonctionnement du système Handistreaming, qui a pour objectif d’intégrer une dimension handicap dans tous les domaines de la politique d’une manière transversale et préventive. Je souhaite faire de même dans la Santé !

Un plan Santé Mentale en Wallonie en 2026

Le Guide Social : Vous avez obtenu le doublement du budget alloué à la prévention et à la promotion de la Santé, en Wallonie. Soit une hausse de 40 millions d’euros. Où ces moyens seront-ils principalement investis ? Comment les acteurs du secteur médico-social peuvent participer à la mise en œuvre de ces initiatives ?

Yves Coppieters : D’abord, c’est une sacrée victoire, je vous l’assure ! Cette mesure a été prise dans le cadre d’un conclave budgétaire très compliqué, où 268 millions d’euros d’économies ont été réalisés pour 2025 par le Gouvernement wallon. Que va-t-on faire avec une budget supplémentaire ? Tout d’abord, il y a le plan wallon de prévention / promotion de la Santé qui se termine et qui doit être réévalué en 2025, et pour lequel un nouveau cycle de planification avec les acteurs doit se faire. Je voudrais revoir son fonctionnement. En effet, je trouve que les résultats ne sont pas correctement documentés. Il est pourtant essentiel de récolter des preuves scientifiques, qualitatives et quantitatives de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Une culture de l’évaluation doit être développée.

Ensuite, dans le futur plan dédié à la prévention et à la promotion, j’aimerais renforcer la place des aînés et le bien-être du personnel d’accompagnement et de soins. Il s’agira aussi de mettre un accent sur l’impact des réseaux sociaux et des écrans sur les jeunes, sur la santé mentale et notamment sur la prévention des suicides chez les jeunes, sur la menace des dépendances aux opioïdes ou bien encore sur la lutte contre le surpoids et l’obésité. J’ambitionne aussi, en collaboration avec l’administration et les acteurs clés, la mise en place d’un plan Santé Mentale en Wallonie dont les travaux d’élaboration seront, encore, lancés cette année. Ce premier plan stratégique doit être adopté par le Gouvernement au plus tard le 31 décembre 2026.

J’ai aussi la volonté d’aller beaucoup plus loin dans la thématique de la santé environnementale, afin de relier ces deux thématiques essentielles : la santé et l’environnement. Ce que nous a appris la pandémie de la Covid-19 ? Si on ne traite pas la santé animale, la santé humaine et celle des écosystèmes de façon conjointe, on ne va pas y arriver. Je voudrais vraiment que les acteurs de la prévention de la santé s’approprient ce concept et qu’on intègre dans la réflexion de nouveaux acteurs, actifs dans la santé animale et dans la santé environnementale.

Le Guide Social : Des réflexions sur les modes de financement dans le secteur du handicap sont annoncées en Wallonie. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Yves Coppieters : Un constat tout d’abord : l’accueil et l’hébergement de qualité restent insuffisants au regard des besoins en Wallonie. Le Gouvernement s’engage donc à réaliser, d’ici au premier semestre 2026, une étude d’analyse des besoins, de l’évolution croissante du nombre de cas prioritaires et du développement de l’offre de services diversifiés. Le but est clair : résorber le manque de places y compris dans une équité territoriale. Une autre mission est l’adaptation du nombre de places agréées dans les différents types de structures. Cela permettra la création de nouvelles places subventionnées.

Pour y parvenir, la Région lancera un nouveau Plan ERICh de 100 millions en vue de réhabiliter les structures d’accueil et d’hébergement pour personnes en situation de handicap. Il y aura un focus particulier sur l’autisme.

Notons aussi que des dispositifs diversifiés de répit seront renforcés, pour garantir la qualité de vie tant de la personne en situation de handicap que de son entourage.

« Cette stratégie de lutte contre la pauvreté ne pourra se faire qu’en étant coconstruite avec les acteurs et les experts du vécu »

Le Guide Social : En tant que ministre des Solidarités en Wallonie, vous évoquez l’importance d’une vision transversale entre différents déterminants de sortie de la pauvreté comme le logement, la santé et l’emploi. Pouvez-vous nous en dire plus sur la note méthodologique que vous avez présentée au Gouvernement wallon ?

Yves Coppieters : Une de mes grandes priorités est d’avoir une vraie vision à long terme de la lutte contre la pauvreté. Mais, soyons clair, c’est la responsabilité de tous et toutes : les politiques ne peuvent être que transversales. Voilà pourquoi je souhaite centrer les nouvelles mesures en la matière sur trois axes prioritaires : le logement, l’emploi et la formation. J’ai donc présenté une note méthodologique au Gouvernement wallon et au secteur.

Le renforcement du recours aux droits est également un levier prioritaire identifié : il s’agit de faciliter et renforcer l’accès aux droits fondamentaux pour les populations les plus vulnérables.

Ensuite, cette stratégie de lutte contre la pauvreté ne pourra se faire qu’en étant coconstruite avec les acteurs et les experts du vécu. Concrètement, nous avons un an pour mettre en place un comité de pilotage qui accueillera des acteurs de terrain et qui ne sera pas dirigé par le politique. La mission centrale de ce groupe ? Définir les stratégies, tout en tenant compte des contraintes budgétaires…

Le Guide Social : Ce sujet fait déjà débat. Chez les acteurs de terrain, il y a, en effet, une réelle inquiétude quant aux financements des structures œuvrant dans le domaine du sans-abrisme. Pour faire entendre leur voix, le secteur des maisons d’accueil pour sans-abris a notamment réalisé une action devant le parlement wallon, le 10 octobre dernier.

Yves Coppieters : Nous avons rencontré, au cabinet, les deux fédérations concernées, début de semaine (NDLR : le 21 octobre). Nous avons eu une conversation sans langue de bois. Notre message : nous voulons des politiques ambitieuses, et les budgets pour 2024 ont été confirmés.

« Soyons honnêtes : il ne sera pas simple de pérenniser ces dispositifs dans le temps... »

Le Guide Social : 2024, les budgets sont donc pérennisés. Qu’en est-il pour 2025 et 2026 ?

Yves Coppieters : Suite au conclave budgétaire, on se rend compte que c’est compliqué pour toute une série de financements… Il s’agit de ceux qui soutiennent des missions complémentaires à l’hébergement de nuit. Ces projets représentent deux fois 4 millions d’euros. Et, soyons honnêtes : il ne sera pas simple de pérenniser ces dispositifs dans le temps. Mais, pour 2025, on s’est engagé à le faire !

Ensuite, pour 2026, une réflexion sur ces subventions va être menée. Je pense notamment aux overlaps.

Le Guide Social : En gros, les overlaps désignent les situations où plusieurs structures offrent des services similaires, engendrant des confusions pour les bénéficiaires qui ne savent pas où se tourner pour recevoir de l’aide. Ce phénomène peut aussi avoir pour conséquences des inefficacités dans l’allocation des ressources. Ce concept est rejeté par le secteur, qui affirme qu’il n’y a pas un abri de nuit qui ne soit complet…

Yves Coppieters : Effectivement. Mais, je pense qu’il faut quand même réfléchir à une certaine rationalisation. Concrètement, la solution réside-t-elle dans la création de toujours plus de places d’accueil ? Ne faut-il pas plutôt soutenir la création de dispositifs complémentaires ? Ne faudrait-il pas davantage soutenir la prévention ? Pour plus d’efficience, je défends aussi l’idée qu’il est important de développer davantage de coordination entre tous ces acteurs. Pour se regrouper, pour mutualiser.

« Dans les maisons de repos, il faut introduire de nouveaux métiers en compensation »

Le Guide Social : Ce 7 novembre se tiendra une grande manifestation en front commun du secteur du Non-Marchand. Lors d’une interview, une syndicaliste nous a confié : « Les conditions de travail sont de plus en plus précaires, les pénuries s’aggravent, les institutions de soins -tant régionales que fédérales- sont de moins en moins correctement financées. » Que répondez-vous à cela ? Quels sont vos projets prioritaires pour améliorer les conditions de travail mais aussi pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur ?

Yves Coppieters : Premièrement, il convient de faire une évaluation des accords non marchands 21-24, afin de pointer les éléments positifs et ce qui doit être changé. Il est important, sans conteste, d’avoir une réflexion sur la pénurie du personnel. Ensuite, dans un second temps, avançons ! Pour les professionnels de la santé, avançons sur la revalorisation des salaires. Continuons aussi la réforme IFIC, surtout au niveau des maisons de repos. Parmi les lieux dont j’ai la compétence, c’est là que la démotivation pourrait être la plus intense.

Lire aussi : Aides-soignantes, infirmières… : où en est l’implémentation de l’IFIC à Bruxelles ?

Dans ces établissements, il faut aussi aller plus loin dans l’introduction de nouveaux métiers en compensation. L’objectif du Gouvernement est, en gros, de permettre une adaptation des profils de personnel au-delà des catégories classiques, soignant, paramédical, logistique, pour inclure des compétences transversales et mieux répondre aux besoins spécifiques des résidents. Cela pourrait, par exemple, inclure des rôles de soutien psychologique, de coordination de soins ou d’animation comme l’inclusion d’éducateurs A2, qui sont de plus en plus pertinents dans le contexte de vieillissement de la population et de l’augmentation des troubles cognitifs.

Le Guide Social : Et plus globalement, est-ce que dans le secteur non marchand, l’introduction de nouveaux acteurs ne pourraient pas aussi être une solution pour soulager le poids administratif qui pèse sur les épaules de nombreuses et nombreux professionnels ?

Yves Coppieters : Oui tout à fait. Mais, avant tout, notre mission est de faire diminuer la quantité de charge administrative et ensuite de trouver des appuis, des supports. Le hic ? En Belgique, l’introduction de nouveaux métiers et plus globalement la délégation des tâches d’une profession à une autre fait grincer des dents... On observe un corporatisme ou un protectionnisme des métiers. Mais, je suis persuadé que c’est cela, la solution ! Il faut donc faire évoluer nos mentalités : ce n’est pas parce qu’on me décharge d’une tâche que mon travail est moins intéressant ou moins valorisé financièrement.

Et, je vais faire un peu de politique, ce que je peux reprocher à mes prédécesseurs, c’est ce manque de concertation, franchement. Surtout depuis la crise Covid-19, j’ai impression que la concertation a diminué fortement, qu’on impose… Et donc tout le monde est frustré. Pour moi, réinvestir dans la concertation, notamment dans le domaine de la Santé, est fondamental.

« J’ai dû attendre d’être ministre pour me rendre compte de l’ampleur du secteur non-marchand et de sa qualité »

Le Guide Social : Il est aussi question de la reconnaissance et la valorisation sociale des métiers du soin. Comptez-vous agir sur ce point ? Et si oui, que comptez-vous faire pour changer la perception publique de ces professions, souvent dévalorisées, malgré leur importance cruciale ?

Yves Coppieters : La dynamique de valorisation de ces métiers devra être travaillée, en lien avec le Fédéral, mais surtout conjointement par la Fédération Wallonie-Bruxelles et par la Région Wallonne. Dans les compétences que je porte, il est notamment question de l’aide à domicile, un secteur où 95% des métiers sont occupés par des femmes.

La reconnaissance et la valorisation passent par plusieurs dimensions. Je pense notamment à une juste connaissance des métiers du soin pour permettre une valorisation, de meilleures conditions de travail ainsi qu’une rémunération plus juste ou encore la mise en place d’un travail en réseau (entre acteurs des trajets de soins). La réforme de la première ligne d’aide et de soins (PROXISANTE) devrait favoriser les articulations.

Je conclurai avec une confession… Il m’a fallu devenir ministre pour me rendre compte de l’ampleur du secteur non marchand en région wallonne et de sa qualité. C’est comme si ce n’était pas rendu assez visible dans la société. Comme si ses forces vives étaient cantonnées à un rôle parfois caricatural et où on ne mesure pas vraiment l’impact, l’effet de leur contribution. Je vais tout mettre en œuvre pour que leur rôle essentiel soit enfin reconnu !

Propos recueillis par Emilie Vleminckx

Ne ratez pas la suite de notre interview sur le site de MonASBL.be !

Au menu : pérennisation de subsides via des systèmes pluriannuels, suppression de certains subsides facultatifs et évaluations rigoureuses pour assurer la pérennité des projets.

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Commentaires - 3 messages
  • Bonjour, je lis avec intérêt l'interview du Ministre Coppieters mais me demande pourquoi les préoccupations de Monasbl ne s'adressent qu'à un Ministre wallon ? Quelles sont vos questions et attentes pour toutes les ASBL, en particulier dans le domaine de la Santé, qui sont tributaires des subsides de la Communauté française et, en particulier en ce qui nous concerne, de la COCOF ? Notre ASBL perçoit chaque année une subvention dans le cadre des "subventions facultatives en matière de santé" et aimerait aussi savoir à quelle sauce elle sera mangée au cours de la nouvelle législature. Merci déjà de vos commentaires.

    7804 mardi 12 novembre 2024 11:52
  • Bonjour,

    Merci pour votre message !

    MonASBL.be et le Guide Social s'intéressent évidemment aux ASBL francophones dans leur globalité.

    Notons aussi que le ministre Yves Coppieters est aussi en charge de la Santé, de l'Egalité des Chances et des Droits des Femmes, à la Fédération Wallonie-Bruxelles

    Nous avons, notamment, décortiqué la déclaration de politique communautaire de l'alliance MR-Les Engagés. Vous trouverez l'article sur le Guide Social.

    De plus, l'interview du ministre Coppieters est la première d'une série. En effet, d'autres entrevues sont en préparation et nous ne manquerons pas d'interpeller également les nouveaux ministres bruxellois (Cocof), dès que le gouvernement sera formé.

    Bien à vous,

    La rédaction du Guide Social

    Emivleminckx mercredi 13 novembre 2024 15:03
  • Bonjour,

    Merci pour votre message !

    MonASBL.be et le Guide Social s'intéressent évidemment aux ASBL francophones dans leur globalité.

    Notons aussi que le ministre Yves Coppieters est aussi en charge de la Santé, de l'Egalité des Chances et des Droits des Femmes, à la Fédération Wallonie-Bruxelles

    Nous avons, notamment, décortiqué la déclaration de politique communautaire de l'alliance MR-Les Engagés. Vous trouverez l'article sur le Guide Social.

    De plus, l'interview du ministre Coppieters est la première d'une série. En effet, d'autres entrevues sont en préparation et nous ne manquerons pas d'interpeller également les nouveaux ministres bruxellois (Cocof), dès que le gouvernement sera formé.

    Bien à vous,

    La rédaction du Guide Social

    Emivleminckx mercredi 13 novembre 2024 15:09

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