Un site de l'Agence pour le Non-Marchand
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

Nouveau Code de l'Aide à la Jeunesse : quel bilan tirer 4 ans plus tard ?

21/08/23
Nouveau Code de l'Aide à la Jeunesse : quel bilan tirer 4 ans plus tard ?

Le nouveau Code de l’Aide à la Jeunesse est entré en vigueur en 2019. Parmi les changements introduits, cette réforme entendait offrir à la prévention un focus particulier. Quatre ans plus tard, qu’en est-il ? En quoi a-t-il modifié les pratiques, les relations aux jeunes ? Quelles réponses a-t-il apporté ou au contraire quelles difficultés éventuelles engendre-t-il ? Pour répondre à ces questions, nous avons fait appel à l’expertise de l’Inter-Fédérations de l’Aide à la Jeunesse (InterAAJ), représentée par les membres de son Bureau.

Les crises successives mettent à mal la jeunesse belge. La paupérisation de cette tranche de la société ne cesse d’augmenter. Les professionnel.les de première ligne du secteur de l’Aide à la Jeunesse le confirment : elle impacte directement leurs missions d’accompagnement.

En 2019, le nouveau Code de la Jeunesse entrait en vigueur avec son lot de nouveautés dans l’objectif d’apporter un accompagnement plus adéquat. C’est en particulier la prévention qui a fait l’objet d’un renfort avec la création, entre autres, du poste de chargé.e de prévention.

Quatre ans plus tard, nous avons voulu en savoir plus concernant les effets de l’application de ce nouveau Code. Pour nous éclairer, nous avons contacté l’Inter-Fédérations de l’Aide à la Jeunesse (InterAAJ) qui rassemble la plupart des fédérations, des institutions et services de l’Aide à la Jeunesse. En cela, elle représente la majorité des services agréés tant au niveau de la prévention que de l’accompagnement, de l’accueil familial et de l’hébergement.

Lire aussi : Madrane : "Le code est une révolution pour le secteur !" (VIDEO)

Un renforcement de la prévention

Le premier livre du nouveau Code de l’Aide à la Jeunesse, en application depuis 2019, aborde le renforcement de la prévention dans les dispositifs de l’Aide à la Jeunesse. Pour l’InterAAJ : « La prévention représente le troisième pilier d’intervention dans l’Aide à la Jeunesse aux côtés de l’aide consentie et de l’aide contrainte. » Ce pilier se voit renforcer par la création d’un poste spécifique : celui de chargé.e de prévention : « Avant c’était le conseiller à la jeunesse qui gérait la prévention, en plus de ses missions ordinaires. »

Aujourd’hui, six chargé.es de prévention assurent la direction de la prévention auprès de 13 arrondissements. En plus de l’équipe administrative, ils.elles composent le Service général de la Prévention de l’Aide à la Jeunesse dont la mission est « d’assurer l’organisation et la coordination de la politique de prévention à destination des jeunes vulnérables, leurs familles et leurs familiers, telle que prévue par le Livre Ier du Code », selon le site dédié à l’Aide à la jeunesse. Les projets, qu’ils.elles développent, devraient représenter la base des diagnostics sociaux établis par le Conseil de prévention, qui les communique au Collège de prévention et au Gouvernement.

L’InterAAJ souligne un manque de communication entre les Conseils de prévention et le Collège. « En outre, les Conseils sont souvent sous-investis par les autres secteurs, probablement en raison du manque de clarté quant à son rôle en matière de thématiques intersectorielles. Or, nous avons besoin de travailler avec d’autres secteurs en lien avec les jeunes afin de définir les thématiques prioritaires qui posent problèmes dans le parcours des bénéficiaires. Cela pour agir dessus et développer une prévention adéquate. »

Après plus de trois ans d’application des projets de prévention sociale par arrondissement, l’InterAAJ dresse un bilan mitigé : « Les promesses du renfort de la prévention sur le terrain n’ont pas encore d’effets visibles. »

Précédemment l’accompagnement des jeunes au sein des AMO prenait fin à leur majorité. Aujourd’hui, l’accompagnement peut se faire jusqu’à 22 ans (sans octroi de moyens supplémentaires). Pour l’Inter-Fédérations, pas de grande surprise quant à cette mesure puisqu’elle « officialise une pratique déjà bien présente sur le terrain. » Cependant, ils et elles mettent en garde : l’accompagnement des jeunes en AMO ne doit pas aller au-delà de 22 ans au risque de voir leurs missions de base trop impactées et plus particulièrement les missions concernant les plus jeunes.

« Il faut une politique économique et sociale forte »

Le budget alloué à la prévention est de 33.000 euros par an pour l’ensemble des structures de l’Aide à la Jeunesse. Comme les autres secteurs, une partie du financement est distribué au travers d’appels à projets. Pour les membres de l’Inter-Fédérations, le manque de financements structurels est un vrai problème renforcé par une action trop limitée des appels à projets : « En revanche, les budgets sont trop bas pour des périodes trop courtes et concernent des territoires trop restreints. On consacre beaucoup de temps à l’analyse des diagnostics sociaux qui identifient des problématiques sur des territoires élargis. Malheureusement, on voit souvent des appels à projets qui ne concernent qu’une réalité très spécifique. De plus, il y a rarement de possibilités de pérenniser ces initiatives, faute de budget structurel. Or, après évaluation des projets, il faudrait pouvoir rendre les moyens pérennes par l’intermédiaire de financements complémentaires, afin de poursuivre les projets qui fonctionnent. »

L’une des problématiques importantes est celle de la précarité, des jeunes et de leurs familles. « Nous avons besoin de projets qui apportent une réponse à l’échelle de l’arrondissement et qui amènent à travailler en partenariat avec d’autres secteurs. Mais il faut également une politique économique et sociale forte, à la hauteur des situations de précarité que nous observons chaque jour et qui se détériorent depuis quelques années », insistent les membres de l’InterAAJ.

Lire aussi : Aide à la jeunesse : la formation continue est-elle suffisante pour les professionnels ?

Le projet pour l’enfant : « Un fil rouge du suivi du parcours des jeunes »

Le nouveau Code propose un renforcement de l’accompagnement à travers un nouvel outil : le projet pour l’enfant. Il consiste en « un fil rouge du suivi du parcours des jeunes ». Dans ce dossier, que le jeune peut consulter pour observer son évolution, sont annotées les différentes structures par lesquelles il est passé, ce qui a fonctionné ou non. Tout cela permet au mandant de prendre les décisions les plus adaptées : « C’est un outil qui permet de définir des objectifs de travail, à travers le projet éducatif individualisé, sur base d’un historique. Connaître cet historique permet d’inscrire le jeune dans une continuité et ne pas perdre de temps. »

L’InterAAJ était porteuse de cette proposition mais constate son manque d’appropriation par les autorités mandantes. En cause ? La lourdeur administrative qu’il suppose : « Pour l’appliquer correctement, le projet pour l’enfant, dans sa forme actuelle, demande beaucoup de temps et d’énergie. Il est inadapté à la situation dans laquelle le secteur se trouve : manque d’effectifs, services surchargés, etc. »

Sur base de ces observations, il semble important d’améliorer les conditions de mise en œuvre de l’outil, qui est nécessaire selon les membres de l’InterAAJ : « Il remplit trois dimensions essentielles à un accompagnement efficient : il permet de suivre le fil rouge du parcours du jeune, sur lequel nous basons les décisions pour définir des objectifs opérationnels de travail. Il faut donc être vigilant à ce qu’il soit accessible. »

Déjudiciarisation de l’aide consentie ?

Au-delà de la prévention, certaines modifications touchent au secteur de l’aide consentie et plus particulièrement la procédure de l’éloignement familial. C’est à partir de 12 ans, contre 14 ans dans l’ancien Code, que les jeunes devront acter à l’écrit, leur consentement dans le cadre d’une procédure d’éloignement du cadre familial. La réponse des membres de l’InterAAJ est unanime : « Nous y étions opposé.es ! »

Bien qu’ils et elles reconnaissent que le « principe philosophique de permettre aux jeunes d’exprimer leur avis et leur consentement quant à l’aide qui leur est apportée est, bien sûr, louable » dans les faits, l’Inter-Fédérations considère que l’on confronte les enfants à une réalité très violente et que cette situation renforce « le sentiment d’être dans un cadre judiciaire au sein de l’aide consentie, alors que le nouveau code réaffirme le principe de déjudiciarisation prévue depuis 1992. »

Dans la temporalité du processus de l’aide consentie, ce type de procédure apparaît très rapidement. L’accompagnement n’est qu’à ses débuts, le lien de confiance avec l’intervenant social est encore fragile, peu assuré, ne permettant pas aux jeunes de se sentir soutenu.es dans une décision aussi grave que peut être celle de l’éloignement familial.

Lire aussi : Immersion dans les familles défaillantes : « Le but de Ricochet ? Eviter le placement ! »

L’Aide à la Jeunesse en surchauffe

Comme beaucoup de secteurs, celui de l’Aide à la Jeunesse fait face à une pression en lien avec une paupérisation de la jeunesse de plus en plus forte : « Les demandes augmentent sans cesse. Nous n’avons pas les moyens d’y faire face et gérer les problèmes de pauvreté ne relève pas de nos missions. »

Les équipes s’adaptent aux réalités des publics. Par exemple, les AMO se retrouvent parfois à accompagner des jeunes qui devraient être suivis par des services d’accompagnement qui, eux-mêmes jouent le rôle de pompiers dans les familles alors qu’il y a un besoin d’éloignement familial... Sans compter que les services d’hébergement n’ont pas les moyens pour ouvrir de nouvelles places ni pour travailler aux retours en familles des jeunes hébergés. Bref, le secteur de l’Aide à la Jeunesse est en surchauffe et ces travailleur.ses aussi. Se pose alors la question du sens du travail social. Dans un environnement où les moyens manquent cruellement, le bricolage que doivent quotidiennement réaliser les travailleur.ses met à mal les motivations de chacun.es, le sens de leurs missions et accroit leur sentiment d’impuissance.

Les problèmes de fond (précarité, santé mentale...) se renforcent au fil des diverses crises et le nouveau Code ne semble pas apporter de solutions transversales conséquentes, selon nos interlocuteurs : « Le Code a été annoncé comme une réforme fondamentale. Quatre ans plus tard, nous n’avons observé aucun vrai bouleversement. » Mais le Code peut-il à lui tout seul produire ce bouleversement au sein du secteur ? Les membres de l’InterAAJ concluent : « Le Code et l’innovation sociale que promettent les appels à projets ne peuvent pas résoudre nos problématiques de fond. Seule une meilleure politique économique et sociale peut renverser la tendance. »

A.Teyssandier



Ajouter un commentaire à l'article





« Retour