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Violences gynécologiques et obstétricales : analyse de Michèle Warnimont, sage-femme engagée

06/01/25
Violences gynécologiques et obstétricales : analyse de Michèle Warnimont, sage-femme engagée

Le débat autour des violences obstétricales et gynécologiques est présent en Belgique comme ailleurs, alimenté par les témoignages de patient.e.s et de soignant.e.s. Pour Michèle Warnimont, sage-femme depuis 30 ans, l’évolution du métier témoigne d’un changement de paradigme face à des pratiques autrefois considérées comme normales. Dans cet article, elle nous partage ses observations sur l’évolution de son métier, la réconciliation à construire entre les patientes et les établissements hospitaliers, et la place primordiale du dialogue pour restaurer la confiance.

Une carrière marquée par l’humanisation des soins

Diplômée en 1981, Michèle Warnimont commence sa carrière au cœur de l’essor des techniques médicales et d’un modèle obstétrique invasif. "À l’époque, l’échographie venait de faire son apparition", explique-t-elle. Les pratiques étaient axées sur un contrôle total de l’accouchement, séparant souvent les bébés de leur mère dès la naissance pour des raisons dites "médicales".

"Nous enveloppions les bébés tout juste nés et nous les amenions dans une salle chauffée, loin des mères. À l’époque, il y avait cette idée que seuls les soignants étaient légitimes."

"Les parents et en particulier les mères, étaient vus comme incompétents."

Michèle s’engage rapidement dans une réflexion plus humaniste de la naissance, inspirée par des figures comme Frédérick Leboyer et Michel Odent. "Dès mes débuts, je militais pour qu’on change les pratiques. J’ai même fait mon mémoire sur l’accouchement à domicile", se souvient-elle.

Après un passage dans des services de soins intensifs, elle revient à l’obstétrique avec un regard différent. Pour se mettre à niveau, elle suit une formation sur l’accouchement physiologique, au sein de laquelle elle est la seule sage-femme issue du milieu hospitalier entourée de professionnelles libérales. Elle se pose alors une question essentielle : "Faut-il vraiment accoucher à la maison pour avoir une naissance respectée ?"

Son parcours la mène à initier un projet de maison de naissance intra-hospitalière, la première du genre en Belgique. Il s’agit du "Cocon" à l’hôpital Erasme, où les naissances sont suivies dans le respect de la physiologie, au sein même d’une structure qui permet une prise en charge plus médicalisée si nécessaire. "La salle d’accouchement est au deuxième étage, le cocon est au quatrième étage, puis il y a la maternité au sixième. C’est un peu le combo gagnant", résume-t-elle.

Ce nouvel espace de travail l’oblige à réapprendre son métier. "On nous apprenait beaucoup à intervenir, peu à laisser faire", confie-t-elle.

La libération de la parole : un tournant pour le métier

Depuis la libération de la parole sur les violences gynécologiques et obstétricales, le métier de sage-femme connaît une transformation lente. "Pour les sages-femmes, c’était une libération de voir enfin les abus que nous constations dénoncés au grand jour", confie Michèle. Elle rappelle que de nombreux gestes autrefois pratiqués sans consentement explicite sont aujourd’hui reconnus comme violents, comme l’épisiotomie systématique ou l’utilisation de la ventouse sans explications. "Aucun geste n’est anodin", rappelle-t-elle, insistant sur l’importance d’une communication claire et éclairée avec les patientes. Pour Michèle, ce tournant est une invitation à replacer le consentement et le dialogue au centre de chaque intervention, mais aussi à remettre en question la surmédicalisation des naissances.

"Aujourd’hui, la cascade d’interventions est un fait reconnu et étudié. On commence à comprendre qu’intervenir sur un système, quel qu’il soit, engendre des répercussions en aval que l’on ne maîtrise pas toujours."

La violence de l’accouchement : entre perception et réalité

Face à l’idée qu’un accouchement est considéré par certains médecins comme intrinsèquement violent, Michèle Warnimont nuance : "Ce n’est pas l’acte de l’accouchement qui est violent, c’est souvent la façon dont il est réalisé qui le rend ainsi." Elle observe que certains gestes, perçus comme banals par les soignants, peuvent être vécus comme traumatisants par les patientes. "C’est l’intentionnalité qui pose problème : les soignants estiment que leur geste n’est pas violent s’ils n’ont pas eu l’intention de faire mal. Mais la seule personne légitime pour dire si c’est violent ou non, c’est la patiente elle-même", insiste Michèle. Elle invite les soignants à écouter activement les ressentis des patientes, pour éviter des traumatismes souvent créés par l’absence de reconnaissance de leurs émotions.

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  • Qu’est-ce qui fait la différence entre un suivi traumatique et un suivi bien vécu ?

Pour Michèle, la différence entre un suivi bien vécu et une expérience traumatique réside souvent dans la communication et la considération des besoins individuels de la patiente. Elle raconte l’expérience d’une patiente qui, bien qu’ayant subi une série d’interventions médicales, a ressenti son accouchement positivement : "À chaque étape, nous expliquions la situation et lui laissions le temps de se préparer, ce qui lui a permis de se sentir reconnue et respectée". En revanche, même des interventions mineures peuvent devenir traumatisantes si le soignant néglige le lien humain, ne regarde pas la patiente ou ne prend pas le temps d’expliquer les gestes effectués.

Renforcer le lien patiente-soignant pour prévenir les violences

Pour Michèle, le lien patiente-soignant est primordial pour prévenir les violences obstétriques et gynécologiques. "Quand une patiente se sent reconnue, elle vit mieux les interventions, même en cas de complications." Le consentement éclairé joue ici un rôle central : "Prendre le temps d’expliquer chaque geste, de permettre à la patiente de poser des questions, même si cela ralentit la procédure, est essentiel." Cet accompagnement personnalisé permet de construire un climat de confiance dans lequel la patiente peut se sentir actrice de son propre accouchement.

  • La violence systémique et la pression du cadre hospitalier

Les violences obstétriques ne sont pas uniquement dues aux pratiques individuelles, mais aussi aux pressions du système hospitalier, estime Michèle. "Quand une sage-femme est responsable de plusieurs patientes en même temps et qu’elle doit jongler avec le manque de personnel, elle est sous pression et peut perdre patience. Moins on a de temps, plus la violence a tendance à se glisser dans les pratiques." Michèle insiste sur le fait que les violences arrivent souvent "quand on est déconnecté de la patiente et qu’on se focalise davantage sur le protocole que sur l’humain."

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Acte médical : qui prend la responsabilité ?

Si le métier évolue vers une plus grande place et un plus grand pouvoir donnés aux parents, la question de la responsabilité des actes se pose. En effet, la loi telle qu’elle existe aujourd’hui met toujours cette responsabilité sur les épaules du soignant. Dans ce cas, comment éviter, dans certains cas extrêmes, de faire preuve de coercition auprès du patient ?

"Aujourd’hui, la loi sur les droits du patient ne reconnaît pas la responsabilité partagée entre la personne qui fait l’acte, le lien de causalité entre l’acte en lui-même et des dommages encourus par le patient. Autrement dit, on enlève la responsabilité du patient et, s’il refuse un acte médical et que le soignant respecte cela, ce dernier risque d’en subir les conséquences. C’est une loi complètement patriarcale, en ce sens qu’encore une fois, elle infantilise le patient par rapport à la responsabilité qu’il a sur sa propre santé."

Pour Michèle Warnimont, il faut que la loi évolue, afin qu’un patient informé et sachant à quoi il s’engage puisse dire ’non’. "Cela protégerait également le praticien qui choisit d’aller à l’encontre des bonnes pratiques dans le respect du patient."

Cette question de la responsabilité se retrouve aussi dans les postures adoptées par certaines sages-femmes aujourd’hui.

"Historiquement, le métier tel qu’il était pratiqué dans les dernières décennies, surtout à l’hôpital, fait de la sage-femme une exécutante, assistante du médecin", explique Michèle. "C’est à la fois frustrant, car cela donne peu de marges de manœuvres pour faire évoluer le métier vers des naissances plus physiologiques, mais aussi, pour certaines, sécurisant. Car devenir plus autonome dans ses actes peut être inconfortable. Ce n’est pas forcément quelque chose auquel les sage-femmes sont formées aujourd’hui ; on les prépare encore à être des exécutantes et c’est lors des stages, si elles choisissent de travailler en maison de naissance, qu’elles vont parfois découvrir un aspect différent du métier, où elles ont plus de responsabilité et une posture différente."

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La souffrance des étudiantes : un parcours semé d’embûches

Les étudiantes en maïeutique sont confrontées à des situations complexes dès leur formation. Michèle Warnimont évoque un phénomène d’abandon important parmi les étudiantes : "Il y a 2, 3 ans, elles avaient commencé à 100, et à la fin, seules 20 ont obtenu leur diplôme. Cette année elles sont 260 !" Elle explique que l’institution, en imposant des protocoles stricts et en encourageant peu l’autonomie des sages-femmes, laisse peu d’espace aux étudiantes pour se construire dans leur futur rôle de soignantes.

Pour Michèle, cette situation reflète une carence dans l’accompagnement des jeunes sages-femmes qui souhaitent travailler en autonomie et devraient pouvoir compter sur des mentors et un réseau de soutien solide.

Elle conseille aux étudiantes de "repérer des sages-femmes qu’elles considèrent comme des mentors ou des personnes de confiance, de créer un lien avec elles et, en cas de difficulté, d’aller chercher du soutien auprès de ces figures de référence." Ce compagnonnage est essentiel pour que les jeunes sages-femmes puissent surmonter les défis rencontrés en milieu hospitalier, où elles se sentent parfois impuissantes, débordées ou témoins passives de pratiques qu’elles désapprouvent.

Quels conseils pour les soignants confrontés aux accusations de violence ?

Face aux accusations de violence, Michèle Warnimont conseille aux soignants de ne pas se justifier ou minimiser les ressentis des patientes. "La patiente a besoin d’être entendue, même si l’intention n’était pas de lui faire du mal. Une simple reconnaissance de son ressenti suffit souvent pour désamorcer une situation tendue", affirme-t-elle. Elle suggère également de développer des compétences en communication, avec des ressources comme ’La communication, ça soigne et ça se soigne’ de Laure Watelet, pour apprendre à mieux gérer ces échanges parfois délicats.

  • Savoir sortir de sa posture de soignant

Michèle Warnimont souligne l’importance pour les soignants de sortir de leur posture professionnelle habituelle, notamment pour éviter de se retrouver dans ce qu’elle appelle le ’triangle de Karpman’, où les rôles de victime, de sauveur et de bourreau s’alternent entre soignant et patient. Elle décrit ce triangle comme un piège émotionnel : "Il faut descendre de son piédestal et éviter de se poser en sauveur de l’humanité. Même si c’est difficile, le soignant doit parfois simplement reconnaître le vécu du patient sans chercher à justifier son geste". Pour elle, cette posture de ’sauveur’ peut créer des incompréhensions et des tensions, d’autant que le patient, par son vécu, peut avoir besoin d’un autre type de soutien. Il est donc essentiel d’adopter une attitude d’ouverture et d’écoute sans entrer dans la justification.

  • Reconnaître un vécu traumatique passé

Comment reconnaître un épisode traumatique lié à l’accouchement dans le vécu d’une patiente ? Pour Michèle Warnimont, il faut laisser la place à la narration.

"Il faut leur faire raconter leur vécu. Quand on demande à une patiente comment s’est passé son accouchement, elle va souvent nous répondre que ça s’est bien passé. Parce qu’on a cette impression, souvent quand on accouche, de passer comme un test de compétence ; si l’accouchement s’est bien passé, s’il n’y a pas eu de complication, alors l’épreuve est passée avec succès, ’je suis une bonne mère’. Mais quand on demande de raconter comment ça s’est passé.. Alors, on entre dans le récit, l’émotion peut s’inviter tandis que la personne réactive sa mémoire de l’événement (qui n’est pas forcément traumatique). Inviter une personne à raconter son vécu peut aider à expliquer des freins et des peurs parfois difficiles à expliquer autrement dans un suivi."

Le système hospitalier actuel laisse-t-il la latitude aux soignants pour établir ce lien avec les patientes ?

Pour Michèle Warnimont, le cadre hospitalier actuel rend difficile la création d’un lien authentique avec les patientes, en raison des contraintes de personnel et des exigences administratives. Elle remarque que "la part de soin réel que l’on peut offrir se réduit de plus en plus face à des tâches administratives et logistiques", une situation qui, selon elle, pousse nombre de soignants au burnout.

"Dans ce contexte, les patients deviennent le miroir des conditions de travail des soignants. Leurs postures défensives, le manque de confiance, le retour aux accouchements à domicile, où ils sont sûrs d’avoir le contrôle… Reflètent nos propres capacités à les prendre en charge aujourd’hui."

Est-il possible de réconcilier les femmes avec l’accouchement en milieu hospitalier ?

Le ’Cocon’ est né de cette volonté : offrir un espace où les patientes peuvent vivre un accouchement plus naturel sans renoncer à la sécurité d’un établissement hospitalier. "À l’hôpital, on dispose de l’appui d’une équipe médicale, tout en étant séparé de l’interventionnisme systématique." Cependant, pour que cette approche prenne racine, Michèle rappelle que le personnel doit apprendre à ’laisser faire’ plutôt qu’à constamment intervenir. Une approche qui entre parfois en contradiction avec les protocoles très systématiques de l’hôpital, ce qui peut amener des malentendus.

"Par exemple, nous ne pratiquons pas les touchers vaginaux systématiques à horaires réguliers lors d’un accouchement physiologique. Ce n’est pas forcément nécessaire : nous avons le temps d’observer le comportement des femmes, ce qui nous renseigne aussi sur leur évolution. Seulement, si la situation nécessite soudain une intervention médicale et que nous descendons dans l’hôpital, le fait de ne pas avoir fait ces touchers vaginaux peut être considéré comme un manquement au suivi !"

Lire aussi : Un meilleur suivi des mères vulnérables pendant et après la grossesse

Un espoir de changement porté par les jeunes générations

Les jeunes générations semblent de moins en moins prêtes à accepter le statu quo. Michèle voit dans cette posture un moteur de changement : "Avant, on faisait les choses par devoir, on acceptait l’autorité sans la remettre en question et au final, nous étions corvéables à merci. Alors oui, nous étions dévouées à notre métier, mais peut-être aussi que sans le vouloir, nous avons contribué à maintenir un système qui était problématique. Aujourd’hui, les jeunes générations questionnent tout, et elles refusent de marcher dans un système où elles ne se reconnaissent pas."

Pour Michèle, ce ’non’ des nouvelles générations pourrait bien être la clé pour faire évoluer un système encore largement figé dans des pratiques parfois dépassées.

"C’est problématique quand toutes les sage-femmes disent non alors qu’on a besoin d’elles pour une naissance. D’un autre côté, il faut malheureusement souvent que le système soit sous tension pour que les choses changent."

Mathilde Majois

Des ressources pour aller plus loin :

  • "La communication ça soigne et ça se soigne", de Laure Wattelet et Pauline Antoine
  • "Mieux communiquer pour mieux soigner : Concepts et outils à l’usage des professionnels de la santé", de Jean-Pierre Gaume
Savoir plus :

Sources :
"Haro sur les violences gynécologiques et obstétricale", Calepin.be, publié le 6 octobre 2020.
"Le nombre croissant d’étudiants sages-femmes, un ’risque’ pour la qualité de la formation", RTL Info, publié le 8 décembre 2023
"La sage-femme : particularités d’un métier vieux comme le monde", centre d’expertise et de ressource pour l’enfance, 2013




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