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"Je plains les infirmières qui débutent aujourd'hui leur carrière !"

26/11/19

Depuis des mois, les professionnels de la santé expriment leur profond mal-être. Derrière cette vague de contestation se cachent des hommes et des femmes qui travaillent dans des conditions déplorables, qui sacrifient leur santé mentale et physique pour nous soigner. Après une aide-soignante dans une maison de repos privée, le Guide Social a donné la parole à Delphine Boembeke, technologue de radiologie au CHU Tivoli. Elle revient sur son quotidien à flux tendu mais aussi sur l’insécurité grandissante qui frappe son service.

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Diplômée en soins infirmiers en 1998, Delphine Boembeke (à gauche sur la photo) est attachée à un service technique et n’est donc pas confrontée aux mêmes difficultés que ses collègues qui effectuent des soins hospitaliers aux patients. Mais, le quotidien de cette technologue de radiologie au CHU Tivoli comporte tout autant son lot d’obstacles… « Le service de radiologie fonctionne avec des activités programmées évidemment mais doit aussi accueillir les urgences ou les suppléments d’examens de base. Nous ne sommes donc jamais certains de finir à l’heure prévue », explique-t-elle. La professionnelle est ainsi soumise à une course permanente pour pallier les imprévus… « Notre service est fortement sollicité. C’est l’usine. Les machines sont de plus en plus performantes et donc les examens sont réalisés en un temps restreint. On doit donc mobiliser un nombre de patients inconsidéré. » Pas le temps de souffler !

Outre ce travail en flux tendu pour le moins intense, Delphine Boembeke doit également faire face à une patientèle de plus en plus agressive. « Nous sommes confrontés à des personnes agressives quotidiennement. Parfois, certaines sont même en possession d’une arme blanche. Nous devons composer avec des personnes sous influence de l’alcool, de drogue, coupables de méfaits et amenées menottées par la police. Ce genre de situations est légion. Cela représente un gros facteur de stress. On risque des coups, certains ont déjà été blessés. C’est vraiment insécurisant. », avoue-t-elle. Face à cette situation tendue, la direction a dû mettre en place un système de sécurité afin de limiter l’accès au service de radiologie via empreintes ou cartes.

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Un manque de reconnaissance de la part des employeurs

Delphine Boembeke est également déléguée syndicale CNE. Grâce à cette mission, elle a une vision globale de la situation pour le moins alarmante qui frappe le secteur hospitalier. « Il y a eu un accroissement de la charge administrative ce qui a alourdit le travail. Les hôpitaux doivent aussi faire face à la réduction des séjours. Cela impacte la charge de travail car le personnel doit faire face à un important turnover de patients. Ces derniers sont aussi davantage dépendants comme ils restent peu de temps à l’hôpital », dénonce-t-elle. « Nous constatons aussi un taux d’absentéisme conséquent, liés à des soucis physiques mais également psychologiques. Et les absents ne sont pas remplacés. Sans compter les professionnels qui partent travailler dans un autre hôpital ou carrément dans un autre secteur. Vu la conjoncture, il y a une forte demande qui favorise la mobilité chez le personnel. »

Delphine Boembeke s’insurge également face à l’attitude des employeurs qui, selon elle, n’expriment pas de reconnaissance à l’égard de leur personnel. « Ils ne sont réceptifs à nos demandes, refusent de signer les conventions qui peuvent améliorer nos conditions… Souvent ils se retranchent vers les normes imposées, vers les subsides octroyés. Ils mettent donc tout sur le dos des politiques mais ils ont aussi leur part de responsabilités. Ce sont notamment eux qui bloquent certaines avancées. Pourtant, ils auraient tout intérêt à se mettre avec nous pour revendiquer. La révision de la norme d’encadrement leur serait par exemple profitable. Elle serait un plus pour les hôpitaux car elle augmenterait la qualité des soins et donc la réputation des différents établissements. »

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Focus sur la nouvelle génération

Face à ces conditions de travail déplorables dont sont victimes l’ensemble du personnel hospitalier, la déléguée syndicale estime qu’il est urgent de revoir les normes d’encadrement. « Les équivalents temps-plein prévus actuellement ? Les règles en vigueur sont totalement obsolètes par rapport à l’évolution du métier. Elles n’ont pas été revues depuis près de 30 ans ! Beaucoup de tâches sont aujourd’hui déléguées aux infirmières par les médecins. Ce qui a alourdit leur charge de travail. Il faut donc revoir la dotation en personnel afin de pouvoir faire diminuer la charge de travail. »

Pour la professionnelle, il est aussi essentiel de se pencher sur l’avenir des étudiants et des futurs étudiants qui voudraient se lancer dans ce métier. Pour ce faire, elle préconise une valorisation du métier au moins au niveau salarial. « Moi je travaille depuis 20 ans, donc j’ai un salaire confortable mais je plains les nouveaux. Ils sont soumis à un inconfort au niveau des horaires, à une difficulté à jongler entre la sphère professionnelle et la sphère privée et tout cela sans être payés à la hauteur de l’inconfort et des responsabilités. Dans la plupart des services, une seule personne gère la nuit, sauf dans le cas de services spécifiques comme les urgences par exemple. » Elle rajoute : « L’allongement de la durée d’études de 3 à 4 ans n’a pas fait du bien non plus à la profession. Cela n’a pas été valorisé au niveau salarial. Conséquence alarmante : la chute des inscriptions. Le gouvernement doit réagir car on va droit dans le mur. Les étudiants ne se lancent plus dans cette carrière comme avant ou alors le font mais vont vers d’autres horizons. Il est plus que temps de réagir. »

Elle conclut : « La situation est très critique dans le milieu hospitalier ! Je plains vraiment celles et ceux qui viennent de débuter leur carrière professionnelle ou qui vont finir la formation en soins infirmiers. Quand je fais la comparaison entre mes débuts et maintenant, je ne peux que constater la forte dégradation des conditions de travail. »

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E.V.



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