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Les infirmiers de rue racontent leur quotidien sur le terrain

23/12/19
Les infirmiers de rue racontent leur quotidien sur le terrain

Comment nouer des liens avec ces citoyens qui survivent à la rue ? Comment gagner la confiance de ces sans-abris particulièrement vulnérables ? Comment les aider à reprendre pied, à retrouver un logement stable ? Via six tranches de vie, les travailleurs de l’asbl Infirmiers de rue dévoilent leur quotidien sur le terrain. Entre patience, dynamisme et espoir.

Il s’était rendu seul chez le coiffeur

Monsieur C., la cinquantaine, vit sous tente dans les bois depuis plusieurs années.

Jusque-là, il ne voulait jamais nous suivre pour une démarche ou recevoir un soin de notre part. Nous arrivions tout juste à l’emmener boire un café pour discuter.

La semaine passée, il a accepté de prendre une douche. Nous l’avons emmené aux bains publics dans les Marolles, à 45 minutes en tram de son lieu de (sur)vie !

Monsieur y a été hyper bien accueilli et installé dans la douche du fond pour être à l’aise. Il a bien pris son temps, et a accepté qu’on lui prodigue un soin de pied. Il était ravi !

"Ca m’a vraiment fait du bien la douche !", nous a-t-il dit. On lui a proposé de lui couper les cheveux et la barbe mais il a refusé.

Hier nous l’avons croisé, la tête rasée ! Il s’était rendu seul chez le coiffeur !!
Le déclic au niveau de son hygiène s’est donc produit et les choses évoluent très vite à présent.

Il a accepté de nous suivre pour une démarche sociale et a évoqué l’idée de retourner vivre dans un logement…

Tisser un lien et avancer à son rythme

Monsieur V. vivait en rue depuis de nombreuses années quand nous avons commencé à le suivre il y a 5 mois. Son hygiène était négligée et il avait des problèmes d’incontinence. L’emmener prendre une douche et nettoyer ses vêtements était vite devenu une priorité.

Mais dès le début, il nous avait prévenus : il nous faudra faire preuve de patience avec lui et surtout ne pas le brusquer.

Au fil des mois, nous sommes retournés le voir régulièrement pour tisser un lien et avancer à son rythme, en gardant en vue notre objectif de lui donner une douche.

Un jour, après un bref passage aux urgences de l’hôpital Saint-Pierre, nous sommes allés le chercher pour discuter de sa situation autour d’un repas chaud. Au moment de le quitter, nous remarquons qu’il porte toujours son bracelet d’hospitalisation et lui proposons de le couper pour le jeter à la poubelle la plus proche qui, par hasard, se trouve devant La Fontaine (centre d’hygiène pour personnes sans-abri Ordre de Malte Belgique), à deux pas de l’hôpital. En voyant le centre, Monsieur V. nous dit alors qu’une douche ne serait finalement pas une mauvaise idée. Nous l’avons accompagné, et cela lui a fait un bien fou de se retrouver tout propre !

Depuis, Monsieur se rend régulièrement seul à La Fontaine. Notre patience aura payé : le déclic au niveau de son hygiène a fini par se produire !

Elle crie, fait des allers-retours

Nous rencontrons Madame M. dans une station. Elle parle seule et fait de grands gestes. Nous nous présentons. Elle s’énerve et part dans des délires incompréhensibles. Elle crie, fait des allers-retours, mais reste près de nous.

Nous abordons l’une ou l’autre chose tout en laissant cette colère s’exprimer. Petit à petit, Madame se calme et revient au moment présent. Elle accepte alors que l’on fasse ensemble un petit pas : nettoyer et couper 1 ongle, celui qu’elle souhaite. Prise dans la discussion avec ma collègue, elle ne dit rien lorsque je prends soin de ses autres ongles.

Malgré ses problèmes de santé mentale, nous aurons réussi à entendre sa colère et à prendre soin d’une partie de son hygiène.

Petit pas après petit pas, c’est comme ça qu’on avance !

Elle se remet à croire à une vie meilleure

Cela fait 15 ans que Madame G. vit en rue quand nous la rencontrons pendant une maraude. Elle semble prendre soin d’elle et de ses vêtements, tant bien que mal, mais nous remarquons des blessures sur ses bras. Nous lui prodiguons quelques soins pour la soulager.

Madame a besoin de parler et nous raconte son parcours : battue étant enfant, elle a quitté le domicile familial et a changé plusieurs fois de home. Elle boit depuis l’adolescence mais voudrait arrêter. Pour le moment, c’est compliqué car elle doit dormir à même le sol et est très isolée. Elle a déjà perdu 3 amis dans la même situation. Cela lui laisse peu d’espoir. Nous lui promettons de venir la voir régulièrement et d’entamer un suivi pour la sortir de la rue.

Quand nous revenons la fois suivante, Madame G. nous demande une lingette pour nettoyer ses mains. Cela lui fait beaucoup de bien. Au fur et à mesure des rencontres, elle se remet à croire à une vie meilleure. Elle demande qu’on l’accompagne dans ses démarches pour se remettre en ordre au niveau social. Pour le reste, elle se débrouille plutôt bien. Malgré qu’elle mange peu, elle boit de l’eau et nous reparle de son envie d’aller en cure pour se défaire de son addiction à l’alcool, qui a des répercussions sur sa santé mentale.

Après quelques mois, sa situation administrative est réglée et la cure se met en place. Il faut parfois attendre longtemps qu’une place se libère, mais nous sommes en contact avec un centre et suivons cela de près. Parfois, Madame nous déverse ses états d’âme et s’en excuse, elle sait que nous sommes infirmières et non psychologues, mais elle a besoin de parler et c’est grâce à nous qu’elle tient le coup, nous dit-elle.

Pour la première fois, elle nous dit vouloir un logement. Elle n’en peut plus d’être en rue. Parfois, elle se réveille à cause du froid à 3h du matin, parfois elle se fait chasser. Cela la décourage et elle ne parvient plus à effectuer seule ses démarches.

 [A lire]  : Infirmiers de rue : l’antenne liégeoise lance un crowdfunding

Un matin d’octobre, nous allons annoncer à Madame, photos à l’appui, qu’un logement s’est libéré et quelle pourrait l’intégrer assez rapidement. Au début, elle ne comprend pas. Mais très vite, la joie se lit sur son visage et elle demande à le visiter. Nous fixons un rendez-vous pour la semaine suivante. Elle a hâte et décompte déjà les jours.

Le jour de la visite, Madame nous attend de pied ferme. Elle nous dit qu’elle a besoin de stabilité, d’une vie sociale digne. Elle veut déjà cuisiner des petits plats (elle adore les légumes frais) tout en écoutant de la musique. Elle a hâte de dormir sereinement dans un bon lit et d’enfin se poser. Le logement lui plaît, tout comme le quartier !! Elle nous remercie chaleureusement et nous dit qu’elle a hâte de se préparer des champignons à la crème et des haricots princesse.

En novembre 2018, Madame G., très émue, emménage enfin dans son petit appartement. Les bénévoles d’Infirmiers de rue ont apporté des meubles, qu’ils montent directement. Pour le reste, sa vie tient dans deux gros sacs. Nous lui remettons un roman en guise de cadeau de bienvenue, car elle adore la lecture. Elle a beaucoup de projets qu’elle compte démarrer rapidement : trouver un job valorisant, refaire ses dents qui ont été très abîmées par la vie en rue.

Nous lui rendons visite régulièrement pour nous assurer que tout va bien : l’appartement est nickel, le frigo bien rempli, le lit est fait. Elle cuisine du gâteau pour nous recevoir. Madame nous dit avoir fortement diminué sa consommation bien qu’elle tient toujours à être encadrée pour arrêter totalement. Elle lit beaucoup et sa sœur lui a rendu visite. Elle a sympathisé avec sa voisine de palier. Elle nous reparle de la chance qu’elle a, elle pense que c’était la dernière.

Ensemble, nous programmons une balade dans la nature et une visite de musée pour nous ressourcer.

Nous continuerons à lui rendre visite

C’est en 2015 que nous remarquons la présence de Monsieur L. pour la première fois dans une station de métro. Il erre seul, semble perdu et présente une blessure à la main. Nous tentons d’entamer une discussion mais il tient des propos incohérents. Nous reviendrons un autre jour.

Une association avec laquelle nous sommes en contact régulier nous confirme que l’hygiène et la santé de Monsieur se dégradent fortement ces dernières semaines. Il faut agir. Nous allons rapidement le revoir. Ce jour-là, il est ouvert à la discussion. Il nous explique s’être récemment fait frapper par deux hommes qui lui ont pris ses affaires.

Concernant sa vie en général, il n’ose plus rien entreprendre de concret, il a besoin de soutien dans la réalisation de projets et les étapes lui semblent vite insurmontables. Il accepte de nous suivre dans un centre d’hygiène afin de prendre une douche et soigner sa plaie à la main. Sur le chemin, il nous raconte qu’il a souvent été seul et ne sait pas si sa maman vit encore.

Parfois, il perd le fil de la conversation. Les années en rue et les consommations ont abîmé sa mémoire. D’ailleurs, il a déjà été hospitalisé pour cette raison.

Nous découvrons que Monsieur est plein de ressources : il adore jardiner, cuisiner et surtout, il adore dessiner des portraits. Nous en prenons note pour le valoriser par rapport à cela lors d’une prochaine rencontre.

La remise en ordre administrative prend du temps car Monsieur oublie souvent ses rendez-vous. Nous lui apporterons un agenda. Parfois, il retombe dans l’alcool, mais, malgré tout, il nous évoque l’envie d’habiter seul et d’avoir une occupation pour l’aider à garder le cap.

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Il est conscient qu’un logement supervisé est inévitable car il a besoin d’être encadré. Nous commençons à chercher, via nos « capteurs logements », un appartement de ce type pour qu’il puisse définitivement quitter la rue.

Au niveau médical, Monsieur est à présent suivi par un médecin qui lui donne un traitement adéquat. L’état de Monsieur s’améliore rapidement.

Un matin de septembre, nous annonçons à Monsieur qu’un logement a été trouvé via une agence immobilière sociale, dans un quartier qu’il aime particulièrement. Il est stressé et ravi en même temps ! Il se voit déjà installé devant la TV avec un petit plat cuisiné par ses soins. Il est tout de même inquiet : « Est-ce vraiment pour moi cet appartement ? » Nous le rassurons. Nous continuerons à lui rendre visite une fois par semaine.

La visite du studio s’organise. Monsieur aime beaucoup. C’est beau et calme, c’est tout ce qu’il lui faut. Il s’éclipse aux toilettes et, en sortant, on dirait qu’il a pleuré, mais il n’en parle pas. Il est très ému. Il aimerait aller aux Petits Riens pour acheter un colis de meubles.

Il emménage la semaine suivante. Cela signifie pour lui la fin d’une longue période de vie en rue.

Nous continuons à aller le voir. Nous devons rester attentifs à son hygiène et le stimuler pour qu’il prenne soin de lui. Ses chaussures sont trouées, nous lui proposons de l’accompagner au magasin pour en acheter de nouvelles.

Il s’est remis à dessiner des portraits.

Aujourd’hui, nous veillons à ce qu’il se maintienne dans son logement. Un ‘bénévole visiteur’ est mis en place pour lui rendre visite régulièrement et le sortir de son isolement en lui proposant des activités de détente. Par son biais, nous aurons des nouvelles de Monsieur et serons prêts à intervenir si la situation le nécessite.

Au fil des semaines, la confiance s’installe

Fanny et Camille rencontrent Monsieur Y. au cours d’une maraude, il y a quelques mois. Cette personne vit de manière très isolée et refuse tout contact avec le réseau d’aide liégeois, même après 20 ans de vie en rue. Les deux infirmières font preuve de beaucoup de patience pour établir une relation, passant d’un "bonjour" sans obtenir de réponse, à un "comment allez-vous", etc. Monsieur est sur la défensive.

Au fil des semaines, la confiance s’installe. Elles parviennent progressivement à dialoguer d’une manière constructive.

Récemment, profitant d’une demande de Monsieur d’obtenir des vêtements propres, Fanny et Camille sautent sur l’occasion pour lui proposer de l’accompagner à La Fontaine (centre de soins et d’hygiène). Il ne refuse pas mais veut encore y réfléchir.

La semaine suivante, Monsieur reparle lui-même de la Fontaine aux infirmières ! Ils ne font ni une ni deux et s’y rendent ensemble.

Après lui avoir présenté le service et les travailleurs, elles lui montrent la salle d’eau et lui donnent de nouveaux habits.

Au bout de quelques minutes, il sort de la douche, rempli d’émotions.

Il se livre et raconte son parcours dans les détails.

Quelque chose s’est passé ce jour-là, un déclic pour Monsieur Y.?



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