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Sans-abrisme : le réceptacle des échecs de nos politiques migratoires

22/03/19
Sans-abrisme: le réceptacle des échecs de nos politiques migratoires

Voici la deuxième partie de notre interview bilan de Céline Frémault, ministre bruxelloise en charge de l’Action sociale et de la Lutte contre la pauvreté. La mandataire se penche ce vendredi sur les actions entreprises pour combattre le sans-abrisme dans la capitale. Un phénomène qui, malgré le lancement d’une série de politiques innovantes, reste très préoccupant dans la métropole…

[DOSSIER]

 La première partie de l’interview de la ministre sur la réforme des CPAS
 La troisième partie de l’interview de la ministre sur ses actions en matière de handicap

Plus de 4.000 SDF dans les rues de la capitale. Un secteur du sans-abrisme clivé entre le Samusocial, acteur hégémonique et une série d’associations, en mal de reconnaissance et de stabilité financière. Un manque cruel de places dans les maisons d’accueil, prises d’assaut. Une coordination défaillante entre les acteurs de terrain. En devenant ministre de la Lutte contre la pauvreté, c’est un doux euphémisme de dire que Céline Frémault avait du pain sur la planche…

« Notre volonté, dès 2015 et bien avant le scandale du Samusocial, a été de réformer en profondeur les secteurs de la lutte contre la grande précarité et de l’aide aux sans-abri. Il y avait urgence », pointe la ministre. « Nous avons bougé les lignes en lançant des projets novateurs comme housing first et en redéfinissant les missions des associations qui travaillent sur le terrain. On a voulu étendre le principe d’agrément des acteurs bruxellois du sans-abrisme. Cela n’allait pas sans une stabilité financière garantie voire renforcée. Notons aussi la création de trois maisons d’accueil. »

 [A lire] : Les bons résultats du Housing First en Wallonie et à Bruxelles

Retrouver un toit de manière durable

La patte de Frémault durant cette législature ? Ne pas centrer son action uniquement sur l’accueil d’urgence mais lutter en profondeur contre la précarité extrême d’une partie de la population… « Pour moi, l’urgence est indispensable. Il y a des situations qui requièrent d’aller très vite. Mais, je refuse qu’on considère un individu uniquement dans une séquence de sa vie », note-t-elle. « Avec ces personnes, il faut tracer la voie pour la suite. Des perspectives d’avenir doivent se créer. Offrir des approches sociales innovantes : c’est que nous avons voulu faire notamment en lançant le projet pilote housing first, qui vise à reloger des sans-abri sur le long terme. »

Les résultats de ce nouveau programme sont bons. Pourquoi n’est-il donc pas davantage développé afin de répondre à la forte demande du terrain ? « On a commencé l’expérience en 2015. A l’époque, nous avions un budget de 400.000 euros. Aujourd’hui, il s’élève à 1.5 million. Le projet pilote nécessitait d’avoir les bons opérateurs et de développer des partenariats avec notamment les AIS et les sociétés de logement public. Et puis, il est toujours important de pouvoir éprouver un dispositif avant d’augmenter les budgets. Cette législature a été au-delà du projet pilote. Je pense vraiment que lors de la prochaine, le programme va prendre bien plus d’ampleur. Il devrait être multiplié par trois ou quatre. »

Une chose est certaine : le public qui vit en rue a besoin d’une prise en charge spécifique. Le sans-abrisme à de multiples visages. Un SDF qui a un problème de santé mentale aigue ne peut pas être accompagné de la même manière qu’un migrant en transit. Une femme qui est à la rue depuis 10 ans et qui souffre de dépendance nécessite une aide différente de celle qui est sans toit depuis quelques semaines car elle a fui des problèmes de violences conjugales. « C’est pour cela que la réforme est indispensable. Envoyer tout le monde au Samu n’est pas du tout la solution. Nous devons diriger correctement les personnes pour qu’elles se retrouvent dans des endroits plus spécialisés afin qu’elles puissent sortir le plus rapidement possible de la rue. » Avant qu’il ne soit trop tard…

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Les chiffres augmentent encore et toujours

Ces dernières années, Céline Frémault a lancé des nouveaux projets et développé des alternatives. Pourtant, le phénomène du sans-abrisme est toujours très présent à Bruxelles. La Strada, le centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri, vient de recenser 4.175 SDF. Un chiffre en constante augmentation. Difficile de ne pas remettre en cause l’efficacité des politiques de lutte contre le sans-abrisme… Un coup dur pour la ministre ? « Non, pas du tout », répond-t-elle.

Elle développe : « La situation à Bruxelles est particulière. On a beaucoup de migrants en transit et donc toute une partie des politiques de sans-abrisme est absorbée par cette question. Et je trouve normal d’y faire face. Je n’ai jamais voulu tomber dans le piège des bons SDF et des mauvais. Qu’ils soient migrants, en transit ou pas, il faut pouvoir les accompagner. Vous savez, on n’évalue pas les politiques de sans-abrisme avec les chiffres de dénombrement. Si une guerre éclate en Syrie, vous pouvez avoir les meilleurs projets housing first du monde, vous serez d’office confrontés à une augmentation. »

Le sans-abrisme, c’est 70% de migrants

Le sans-abrisme est incontestablement le réceptacle d’une série d’échecs de politiques en matière de migration notamment. Et c’est la région qui paye les pots cassés de décisions politiques prises par le Fédéral… « Aujourd’hui, la question du sans-abrisme à Bruxelles, c’est 70% de migrants. J’aurais pu pratiquer une politique bête et méchante et décider de ne pas financer l’accueil des migrants... Ce que j’ai évidemment refusé de faire. Vous savez, j’ai saisi 15 fois le comité de concertation par rapport à la question des Roms, des migrants », s’indigne Céline Frémault. « J’avais face à moi un secrétaire d’état à l’Asile et à la Migration qui me lisait des lettres d’avocats. Il n’a jamais souhaité collaborer avec nous pour trouver une solution. »

Politique de l’autruche… Pourtant, qu’il le veuille ou non, le Fédéral devra tôt au tard développer des solutions concrètes pour répondre à la problématique des migrants qui survivent dans les rues de la métropole. Leur offrir uniquement l’aide d’urgence n’est pas suffisant… Sans compter l’impuissance des acteurs de terrain qui ne peuvent pas assurer un travail de qualité avec ce public. Alors oui, il y a urgence !

E.V.

Retrouvez ce lundi 25 mars la troisième et dernière partie de l’interview de Céline Frémault. Au menu : son bilan en matière de handicap.



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