Les travailleurs sociaux en milieu hospitalier livrent leur quotidien à l'ère du coronavirus

Hospisoc, l’association francophone des travailleurs sociaux en milieu hospitalier, livre trois récits qui n’ont pas pour ambition de refléter la réalité de tous les travailleurs sociaux hospitaliers. Chaque hôpital a été confronté à une expérience différente et chaque travailleur a vécu cette situation au travers de son prisme personnel. Néanmoins, ce partage de ressentis peut s’avérer salutaire et porteur de messages.
Notre quotidien Covid-19
Un contraste très contrasté…
Fin février, je me revois dans le bureau d’une collègue en train de consulter les nombreuses chaines d’infos… « 1 cas covid en Belgique ». La stupeur, la peur au ventre, on se regarde en haussant les sourcils, puis en se rassurant… « C’est rien, c’est sur Bruxelles, c’est loin de chez nous »…
Début mai, on est à bout, on tire sur la corde, on essaie de rire pour ne pas pleurer. Ces 2 mois ont été inédits. Notre travail a été bousculé, nos habitudes de vie ont été impactées, nos relations personnelles et professionnelles ont changé, le sens de la vie et le sens de notre profession se sont précisés.
Début de l’épidémie…
On commence par applaudir tous les soirs à 20h sur notre balcon. Je me sens concernée, je veux me montrer présente pour les médecins, les infirmiers, les aides-soignants et tout le personnel hospitalier avec qui je travaille au quotidien. Je sensibilise mes enfants, de l’importance de montrer son soutien.
Cette pandémie nous a demandé énormément d’adaptations. « Le télétravail est recommandé » nous dit-on. Je suis assistante sociale, mais aussi épouse et maman de 2 enfants de 4 ans et demi et 8 mois. Je jongle entre le changement de couche, les panades, les siestes et l’encodage, les courriers et les coups de fils. Je m’excuse auprès de tous les interlocuteurs du brouhaha permanent. Les gens sont compréhensifs. L’humanité se ressent de plus en plus.
Jamais je ne me serais imaginée pouvoir faire du travail social en télétravail, à distance, sans voir les patients, sans rencontrer les familles, simplement en se basant sur des coups de fils et des mails, en travaillant en pluridisciplinarité sans les réunions de staff. Sans compter le non-verbal si riche habituellement, passé à la trappe…
Suite de l’épidémie… ou plutôt pandémie…
Et puis, c’est difficile de travailler dans ces conditions. On a choisi ces études pour le contact humain. Alors, on revoit nos positions et on retourne à l’hôpital. Les cas covid sont de plus en plus nombreux. On ouvre des unités spécifiques dans l’hôpital. On ne compte plus les cas chaque matin sur le site des infos comme il y a quelques semaines. J’évite parfois d’allumer la radio ou la télé pour éviter de rester en contact avec une ambiance stressante permanente. Notre quotidien est déjà très lourd… On voit les patients souffrir et mourir seuls…
J’essaie de couper entre le boulot et la maison. Ça ne sert à rien de ramener l’angoisse de l’hôpital dans mon foyer. Mais c’est tellement difficile de jongler entre la vision pessimiste du monde médical, et la vision de l’extérieur. J’essaie de ne pas pleurer pour ne pas inquiéter mes proches mais les larmes parfois forcent le passage.
Notre travail change. Le personnel soignant tourne dans les différents services, on s’adapte en permanence aux nouvelles voix… On jongle entre l’intérieur et l’extérieur de l’hôpital. On travaille dans l’ombre, on fait des démarches qui souvent n’aboutissent pas. Je me sens parfois comme un funambule en stage dans un cirque en début de tournée.
On permet le contact virtuel
On travaille comme on peut. On continue notre travail social habituel, on organise les sorties d’hospitalisation des patients. Tout est émotionnellement plus compliqué. Les gens ont peur, les gens nous posent des questions, les gens sont parfois en pleurs, parfois agressifs, parfois passifs ou revendicateurs. On arrondit les angles, on transmet les informations importantes, on soutient malgré nos doutes et nos incertitudes.
En plus de notre travail habituel, on s’adapte à cette crise sanitaire, cette crise qui a créé un profond isolement… On crée de nouveaux projets. On fait le lien entre les patients et les familles grâce à des rencontres virtuelles par tablette, on transmet des colis d’effets personnels qui adoucissent la dure réalité des hospitalisations. Sans parler de la dure réalité vécue par les patients confus, patients âgés, patients qui souffrent de pathologies psychiatriques…
On permet le contact virtuel, parfois tellement touchant qu’on ne peut s’empêcher de laisser une larme couler dans une chambre d’une personne âgée. Tellement difficile d’apporter de la tendresse grâce à notre sourire caché derrière notre masque. Cette personne pourrait tellement être mon grand-père…
On essaie de faire au mieux entre les décisions gouvernementales, les décisions institutionnelles, le travail en équipe et notre travail personnel. L’importance d’une équipe soudée prend tout son sens. Finalement, c’est un peu comme si on était confinée entre collègues. Comme si on avait une 2e famille malgré les hauts et les bas, on est là chacune l’une pour l’autre. Quand l’une baisse les bras, une autre est là pour rebooster le moral… chacune à sa façon malgré les tempéraments différents et les nerfs à cran.
La boule au ventre, la peur permanente
Les journées sont longues, les nuits sont courtes, mouvementées et toujours remplies de cauchemars... Chaque matin, c’est pareil... , les jambes qui tremblent, le cœur qui saigne, les larmes qui coulent...
Non, on ne soigne pas. Non, on ne réanime pas. Et encore MERCI à tous les soignants de 1ere ligne qui se posent beaucoup moins de questions que nous pour sauver ces vies ! MERCI à ces personnes qui ont fait le choix de carrière pour soigner… indépendamment de ce virus, car déjà bien avant, elles étaient là présentes à toujours prendre des risques.
En tant que travailleur social, on essaie, tant bien que mal, comme on peut, d’être présents, d’apporter du soutien, de l’humanité dans la solitude et l’isolement... Alors que de l’autre côté de la barrière, nous non plus on ne voit plus notre famille...
J’essaie de ne pas penser, ou plutôt de mieux penser, pour continuer à donner du sens à mon boulot. J’essaie de ne pas penser aux risques que je peux prendre pour mes enfants, mes parents, mes grands-parents, ma famille...
Ce virus ne nous aura pas et donnera un sens à notre vie… Ne baissons pas les bras…
Une assistante sociale ne sauve pas des vies. Elle essaie d’apporter un peu de chaleur humaine dans la dureté de la vie actuelle où tout contact physique est interdit.
« Fin de la pandémie, début d’une nouvelle vie… »
Vivement que ce chapitre puisse être écrit…
Laura, mai 2020
Regard sur la crise sanitaire du printemps 2020
14 mars 2020, le Plan d’Urgence Hospitalier est déclenché dans tout le pays.
16 mars 2020… au service social d’un hôpital universitaire bruxellois, nous nous organisons et mettons en place le fonctionnement théorique que nous avons défini en 2016 après les attentats de Bruxelles…
Très vite nous comprenons que notre travail se redéfinira de jour en jour et, surtout, que cela durera longtemps.
Nous savons qu’il y aura un « avant » et un « après » Covid 19 car la société dans laquelle nous évoluons n’en sortira pas indemne.
Mais d’abord et avant tout, il faut essayer de s’assurer de travailler dans des conditions de sécurité suffisantes : quels moyens de protection pour l’équipe qui travaillera avec les patients atteints du Covid ? Quels moyens pour le reste de l’équipe qui continuera avec les autres patients ? Comment organiser notre travail ?
Et les premières difficultés apparaissent... Trop peu de matériel de protection disponible pour les soignants… Comment est-ce possible dans un pays tel que le nôtre ??
Ensuite les messages et les informations contradictoires… Qui croire ?? Que croire ??
Alors, vaille que vaille, on met en place une organisation souple : nous interviendrons dans les unités Covid auprès de nos autres collègues soignants mais nous interagirons avec les patients par téléphone. Drôle de façon de travailler pour des travailleurs sociaux habitués au travail direct avec les patients mais cette pandémie nous force à casser les codes pour nous protéger, protéger nos collègues et nos proches…
Et nous adapterons notre fonctionnement de semaine en semaine, parfois de jour en jour, au gré de l’ouverture des unités dédiées Covid qui se multiplient pour pouvoir hospitaliser ces patients dont le nombre ne cesse d’augmenter. Nous avons la chance de travailler dans une grosse structure qui a été capable d’absorber l’afflux des patients.
Tout est plus lent, plus compliqué à organiser qu’ « avant »
Et puis, très vite, nous serons sollicitées pour organiser la sortie des patients stables, pour faire de la place pour les suivants.
Et là, des problèmes surgissent : tous les services infirmiers du domicile n’ont pas le matériel de protection, l’oxygène dont certains patients ont encore besoin manque certains jours obligeant à postposer les sorties, certains services d’aide à domicile ne fonctionnent plus….
Et puis, les centres de revalidation et les maisons de repos, très impactés également par le virus tant au niveau des patients que du personnel doivent repenser et redéfinir leur fonctionnement…
Tout est plus lent, plus compliqué à organiser qu’ « avant ». La négociation a pris une place de plus en plus grande dans notre travail.
Et toujours ces questions lancinantes : pourquoi ce manque de moyens de protection, pourquoi ces messages flous, pourquoi un tel cafouillage ??
Le secteur médico-social déjà fortement impacté par les restrictions budgétaires récurrentes depuis des années paie un lourd tribut et les populations fragilisées auront du mal à se relever de cette crise socio-sanitaire.
Le secteur des soins de santé a, de nouveau, montré de façon spectaculaire sa capacité à se mobiliser, sa solidarité, son implication professionnelle malgré les entraves. Tous ces travailleurs du non-marchand mais à « haute valeur ajoutée humaine » ont démontré de la plus belle des façons leur engagement au service des autres malgré des conditions de travail parfois limites.
Rien ne sera plus comme avant
Le nombre de patients hospitalisés a maintenant diminué, un lent retour à un fonctionnement plus « normal » s’amorce…mais rien ne sera plus comme avant car le Plan d’Urgence Hospitalier est toujours actif, qu’un rebond est craint, que nous ne savons pas de quoi demain sera fait…
Notre travail se réadapte à nouveau…c’est vrai que les travailleurs sociaux sont des champions de l’adaptation !
Que la totalité de mon équipe trouve ici ma reconnaissance et ma fierté de les avoir vues travailler dans des conditions compliquées mais avec un engagement sans faille et en ayant toujours en point de mire le bien-être du patient.
Comment les hôpitaux se remettront de cette crise ?
Comment les exclus ou les oubliés de cette crise se relèveront ?
Comment la société en général supportera la crise économique qui y est liée ?
Il faudra repenser et redéfinir les valeurs qui sous-tendent le fonctionnement de la société et le fonctionnement de chaque individu au sein de celle-ci.
Ce sera pour après-demain car demain nous obligera encore à prendre en charge des patients atteints par ce virus.
Martine, mai 2020
Nos ressentis, nos difficultés liées à ce 1er confinement
Tout d’abord, nous avons été confrontées à un certain manque d’information..., informations à donner aux familles, procédures lors d’un retour d’une personne covid à son domicile etc. En effet, les sources d’informations sont multiples et engendrent parfois une certaine difficulté à y voir clair…
Effectuer un travail social où le contact humain n’est pas possible est particulièrement complexe.
Lors d’une sortie annoncée aux familles, celles-ci étaient à la fois soulagées que le patient aille mieux et en proie à un grand stress. Beaucoup de questions surviennent sur l’organisation :
– où ? Domicile, MRS…
– Comment ? Difficulté à trouver des soignants au domicile, pénurie de matériels ou retard de livraison, aménagement d’un domicile exigu, la peur de la contamination…
Il arrive aussi que le stress et l’inquiétude des familles se transforment en agressivité. Que faire devant la grande détresse des familles ne pouvant accompagner un proche en fin de vie ? Qui pourra venir dire au revoir une dernière fois, un choix impossible… ?
Notre rôle de médiateur a été mis à rude épreuve lorsqu’il a fallu jongler avec la pression hospitalière pour un patient sortant et les difficultés organisationnelles des institutions devant accueillir ce résident. Certaines maisons de repos étant mêmes parfois dans le refus catégorique d’admettre un résident covid asymptomatique mais toujours positif.
En un mot, nous nous sommes senties parfois seules. Nous avons entendu et vu la détresse des patients, des familles, des services extérieurs, des institutions,… Mais qui a entendu nos difficultés en tant que travailleur social ?
En conclusion, Il a nous manqué principalement des informations claires, des services tampons et des aides adaptées pour les retours à domicile.
Dominique, juin 2020
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