"Pourquoi j’ai participé à la manif' du Non-Marchand !"
Pourquoi il fallait être présent ce jeudi 7 novembre à la manifestation du non-marchand. D’autant plus que ce 7 novembre, c’est le lendemain du 6 novembre. Ce qui amène à tirer davantage de leçons encore. | Une carte blanche de Marc Chambeau.
Purin… Me v’là dans le train, direction Bruxelles, pour aller manifester avec les camarades du non-marchand. Alors que j’aurais tranquillement pu télétravailler à côté des bûches crépitantes du feu de bois, avec les voix rocailleuses de Marianne Faithfull ou d’Arno qui m’auraient caressé les oreilles. Alors que j’arrive en fin de carrière et que j’ai toutes les cartes en main pour qu’elle soit peinarde cette fin de carrière. J’ai les outils et les compétences pour passer à travers les gouttes acides. J’ai observé les postures tranquilles à appliquer pour obtenir la sérénité en retour.
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Alors, pourquoi ? Pourquoi ?
D’abord parce qu’il y a la nécessité de dire. Aujourd’hui, plus que jamais. Dire sa solidarité à des « collègues » du non-marchand dont on dit l’essentialité du travail dans les discours sans que cela ne se traduise dans les concrets de leurs quotidiens. Ou alors si peu. Leur dire combien nous voulons les comprendre quand ils expliquent que, s’ils attendent une rémunération correcte, le fondement de leur travail reste le sens qu’ils peuvent y trouver, un sens que par ailleurs on cherche à minimiser au nom d’une technicité et d’une volonté de rentabilité.
Dire que les publics avec lesquels ces collègues du non-marchand travaillent ont un droit élémentaire et fondamental à être traité avec décence, avec dignité, avec respect. Et que pour que ce traitement soit possible, il sera nécessaire que ces travailleurs obtiennent ou conservent un statut professionnel juste.
Pourquoi ?
Parce que hier, un facho a été choisi comme président de l’autre côté de l’Atlantique. Un facho qui a fait campagne en étant, le plus souvent, indigne dans ses discours. Indigne et stigmatisant. Et irrespectueux. Et intolérant. Un facho qui a reçu les félicitations de la quasi-totalité des dirigeants européens dont aucun n’a, à ce moment-là, relevé les attaques frontales de ce nouveau président contre la démocratie.
Le journal suisse « le Temps » (1) rappelle qu’en tant que démocrates nous devons reconnaître le résultat d’une élection, même s’il ne nous convient pas. C’est vrai. Comme démocrates, nous devons aussi rappeler à des dirigeants qui auraient tendance à l’oublier, que la démocratie, c’est tout autant la tolérance, l’altruisme, une véritable attention et un vrai intérêt pour les plus faibles, et ce, au-delà d’un résultat électoral. Bien au-delà d’un tel résultat. Un facho démocratiquement élu reste un antidémocrate et donc infréquentable et incompatible avec des valeurs qu’on voudrait continuer à prétendre démocratiques.
Mais quel rapport entre l’élection du facho et la manif’ du Non-Marchand ?
Cette vague brune qui stigmatise, rejette et insulte, elle existe aussi en Europe, chez nos voisins comme chez nous. Parfois dans des partis qui les revendiquent. Parfois dans d’autres partis qui, malgré la multiplication des déclarations plus que borderline arrivent cosmétiquement à se parer de valeurs qui, croient-ils, leur garantissent une place vertueuse.
Sous couvert de logiques de management et de références à la vertu discutable de la rentabilité, des politiques qui évitent soigneusement un vocabulaire qui les déshonoreraient, prennent, malgré tout, des orientions marquées par l’absence d’empathie, par la stigmatisation, par l’intolérance, tant vis-à-vis des professionnels du non-marchand que de leurs publics. Aujourd’hui, il leur arrive même parfois de s’exprimer de façon déshonorante, d’agir de telle façon que la démocratie s’en trouve gravement affaiblie.
"Je voudrais rappeler à ces politiques..."
Je voudrais rappeler à ces politiques, que mon père, sa mère, ou sa grand-mère, ces personnes âgées qui vivraient une dépendance, ont droit à une toilette décente et que les professionnels ont besoin d’un espace-temps suffisant que pour garantir cette dignité.
Je voudrais rappeler à ces politiques que ces parents en difficulté d’élever leurs enfants sont pourtant de bonne volonté et qu’un accompagnement familial qui prendrait suffisamment son temps permettrait à ces enfants de rester dans leurs familles. Ce qui est sans doute ce que l’enfant imagine de plus fondamentalement utile à son bien-être et au fait de pouvoir grandir harmonieusement.
Je voudrais dire aux politiques qu’une infirmière qui prend (un peu) de temps pour une visite à domicile soignera autant le diabète de son patient que sa solitude. Et qu’une solitude prise en compte, permet à la personne seule d’aller mieux et d’éviter à la société de devoir réfléchir à d’autres types de prise en charge, plus invasives, plus lourdes… et plus onéreuses.
Je voudrais rappeler aux politiques qu’un gamin qui vit des difficultés dans une classe de taille raisonnable, pourra être pris en charge par son instit’. Et que si la taille de la classe devient déraisonnable, il faudra faire intervenir d’autres services qui ne pourront, la plupart du temps, qu’être des pansements maladroits. Parce que la qualité d’une scolarité c’est d’abord à l’école qu’elle se construit.
Le choix d’investir ne sera pas plus coûteux que le refus d’investir
Il faudra que les politiques se rendent compte qu’investir dans le social, dans la santé, dans l’éducatif coûtera. Mais que des résultats suivront. Il faudra que les politiques se rendent compte que ne pas investir dans ces domaines coûtera aussi. Peut-être un peu moins ? Peut-être autant ? Et peut-être même plus. Avec des conséquences parfois dramatiques pour les publics. Et ce sont ces conséquences qui coûteront chers.
Le prix à payer ce ne sera pas pour permettre aux gens d’aller mieux. Ce ne sera pas non plus pour permettre à une société de prendre la direction ou de favoriser l’apaisement dans les familles, les quartiers, les villes et les villages. Mais parce que les publics en difficultés seront amenés à aller encore moins bien et que la solution qui restera sera de produire davantage de stigmatisation, davantage d’exclusion. C’est cela qui sera de toute façon très coûteux. Financièrement. Démocratiquement. Et en dignités bafouées.
Marc Chambeau, enseignant à Cardijn (Helha), membre du bureau du Comité de vigilance en Travail social (CVTS) et du collectif des formatrices et formateurs en travail social (CFTS).
1 : Le Temps du 6 novembre 2024 : Donald Trump président des Etats-Unis, tant de rêves à la poubelle - Le Temps (Madeleine von Holzen).
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