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Vers un nouveau modèle d’accueil de la petite enfance

10/04/25
Vers un nouveau modèle d'accueil de la petite enfance

Notre société est en constante mutation et le temps où les petits restaient en famille jusqu’à leur entrée tardive à l’école n’est plus la norme. Plus grande mobilité de la population, augmentation de l’âge moyen de venue du premier enfant, évolution de la proximité et de la disponibilité des grands-parents, éclatement des familles, activité professionnelle des deux parents, volonté des femmes de s’épanouir en-dehors du cadre familial … Les modalités d’organisation de l’accueil de la petite enfance sont-elles toujours en adéquation avec les besoins des différents acteurs ?

[Dossier] :

Pour rédiger cette série de chroniques sur les crèches, je me suis entretenue avec deux professionnelles de l’accueil de la petite enfance, ayant deux profils bien différents. Chloé est forte de 25 ans d’expérience en milieu urbain et Noémie de 2 ans d’expérience en milieu rural. L’une est mère et l’autre non. Tout au long de ces entretiens, je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec mon expérience de jeune maman ayant été récemment aux prises avec toutes les difficultés liées à l’accueil de la petite enfance. J’ai fait part de ces interrogations à mes interlocutrices et je dois vous avouer qu’elles les partagent.

L’accueil de la petite enfance continue à être considéré comme un « extra »

Avant, les mères étaient souvent au foyer, les gens déménageaient peu et les grands-mères, tantes, marraines étaient disponibles pour aider à l’éducation et aux soins à prodiguer aux jeunes enfants. L’accueil de la petite enfance n’était même pas un sujet. Mais … c’était il y a longtemps !

Aujourd’hui, notre société n’est plus du tout organisée de la même manière, et pourtant, l’accueil de la petite enfance continue à être considéré comme un « extra », un service rendu à la population, comme en témoignent aussi bien la question des places que celle du financement. Or, tant les familles que les professionnelles du secteur aspirent à plus, à autre chose.

Un secteur en évolution et qui a besoin d’être revalorisé

Chloé constate : « Au fil du temps, on est passée du statut de gardiennes à un statut de partenaire éducatif aux yeux des parents. C’est réellement comme ça que je me conçois : il y a un triangle ’professionnel - enfant - parent’, nous sommes des partenaires éducatifs. Notre métier a besoin d’être revalorisé, pas forcément aux yeux des parents, qui le valorisent déjà et sont demandeurs de nos conseils. »

Pour elle comme pour Noémie, le problème n’est pas tant celui du manque de places disponibles en crèches que celui du manque de personnel, à l’origine de toutes les tensions. « Nous sommes trop peu. Dès qu’une collègue est malade, tout le service est en tension. On trouve difficilement des remplaçantes et nous sommes tout le temps au maximum de la capacité d’accueil. »

Un secteur qui coûte cher

Demande de la population, il y a, c’est indéniable. Pourtant, l’offre continue à être insuffisante. Certes, on crée des places, mais de nombreuses structures ferment. « Les crèches coûtent cher aux communes », pointe Noémie. « Même les crèches privées ont des difficultés à fonctionner », évoque Chloé. Toutes les deux mettent en avant la difficulté financière liée aux normes d’accueil, de plus en plus strictes : « Ce qui est une bonne chose, car cela signifie qu’on se préoccupe plus du bien-être des bébés et qu’on accorde plus d’importance au secteur qu’avant. En tout cas, c’est ce que je constate. »

L’accueil de la petite enfance : un paradoxe et une période de débrouille

Ma propre expérience m’a laissée pleine d’interrogations sur une situation que je trouve paradoxale. D’un côté, on se préoccupe beaucoup du bien-être et du développement des tout petits et on met en avant l’importance pour eux de fréquenter un milieu d’accueil, que ce soit en termes physiques : immunité, etc. ou en termes de développement, d’acquisition de compétences sociales etc. On met également en avant l’importance de disposer de milieux d’accueil, de préférence de structures différentes afin de répondre au mieux aux besoins de la population, de permettre l’accès à ces structures à toutes les familles, qu’elles soient ou non en activité professionnelle.

D’un autre côté, l’accès à ces structures est loin d’être garanti, faute de places, le choix de la structure est généralement conditionné par la disponibilité ou même l’existence desdites structures et le tout est payant pour les familles. Paradoxe, quand tu nous tiens. Finalement, la période précédant l’entrée à l’école reste auréolée d’un flou pas forcément artistique, où la débrouille prédomine. Avec des conséquences certaines : « Je connais des couples qui ont renoncé à avoir des enfants à cause du coût que cela représente », confie Chloé.

Vers un nécessaire changement de paradigme ?

Et si la reconnaissance du secteur et des familles passait par un changement de paradigme, considérant que l’accueil au sein d’une structure dédiée n’est pas une option réservée aux plus chanceux, mais bien un droit accordé à tous les enfants, au même titre que l’école ? Donc des milieux d’accueil pour tous et gratuits, avec des professionnelles considérées comme de réelles partenaires éducatifs…

Selon Chloé, « cela résoudrait tout ! Il n’y aurait plus ces tensions permanentes liées au manque de personnel, aux pressions pour avoir plus de places, et tous ces ragots sur les parents qui ont une place alors qu’ils ne travaillent pas … Sans parler du frein financier. » Noémie, quant à elle, pense que « cela ne se fera jamais. Les milieux d’accueil coûtent beaucoup trop cher aux communes, à l’Etat … ils ne feront jamais ça. Je pense que la solution, ce serait plutôt la création d’un vrai statut de parent au foyer, avec un vrai revenu et des années qui comptent pour la pension. Quelque chose qui soit réellement valorisable sur un CV, parce qu’on développe des compétences transposables en milieu professionnel. Il ne faut pas un statut de chômeur qui n’incite pas, ni un congé parental qui est mal payé, un vrai statut au foyer, une profession reconnue. Je connais beaucoup de mamans qui n’ont plus envie de travailler lorsqu’elles ont des enfants et qui le font parce qu’elles n’ont pas le choix. »

Lire aussi : Les coulisses des métiers de la petite enfance : regards croisés entre une accueillante d’enfants et une puéricultrice

Pointer les limites du système actuel

Ces deux propositions, toutes imaginaires qu’elles soient, formulées spontanément et loin des bureaux d’études, ont le mérite de pointer les limites du système actuel. Certes, il serait peut-être beaucoup trop onéreux de créer autant de places d’accueil que d’enfants, tout comme un statut de parent au foyer ne conviendrait pas à tous les parents, mais il ne s’agit ici que des deux extrémités d’un spectre qui est bien plus large et nuancé qu’on ne le pense.

Notre société est en mutation constante, les besoins des individus, des familles, des professionnels le sont aussi et y répondre au plus près nécessite plus d’agilité, d’écoute de la population et des acteurs concernés. Il n’y a sans doute pas de solution parfaite, mais une piste à considérer serait d’offrir plus de reconnaissance aux professionnels du secteur et de choix aux familles.

MF - travailleuse sociale



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