Un site de l'Agence pour le Non-Marchand
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

Coronavirus : les soignants vont le payer cher et c'est insoutenable !

11/04/20
Coronavirus: les soignants vont le payer cher et c'est insoutenable !

Le personnel des hôpitaux, des maisons de repos ou encore du secteur à domicile est envoyé au front pour lutter contre la propagation du Covid-19, sans armes suffisantes. Trois soignantes l’ont déjà payé de leur vie… Aujourd’hui, la pandémie révèle les fondations fragiles de ce secteur, mis à mal par des décisions politiques qui ont fait primer l’économie sur la santé. Et pendant ce temps-là, les travailleuses et les travailleurs trinquent sur le terrain.

[DOSSIER]
 "C’est la première fois que j’ai peur de mourir en allant travailler..."
 "Le coronavirus dévoile la gestion défaillante des hôpitaux"
 Carmen, infirmière à l’hôpital Saint-Luc, est décédée du Covid-19
 Soigner ou se protéger : un dilemme de chaque instant pour le personnel en première ligne
 Coronavirus : Isaura Castermans, infirmière de 30 ans, est décédée
 Coronavirus : "Hier, j’ai tué mon patient", témoigne un infirmier

Il y a des informations qui s’abattent sur vous comme une gifle. Il y a des informations qui vous glacent le sang, qui pèsent sur votre poitrine, qui vous donnent envie de hurler. Il y a des informations qu’on voudrait juste ne jamais devoir écrire. Deux infirmières et une aide-soignante ont été emportées par le coronavirus… Mourir en allant travailler. Ce n’est pas audible ! De la chair à canon, de la chair à virus. Aujourd’hui, les professionnels de la santé sont envoyés au front, en première ligne pour lutter contre la pandémie, sans armes suffisantes.

Mais quelle ironie du sort… Ce secteur qui fait actuellement office de rempart face au danger sanitaire est le même qui alertait depuis longtemps les autorités sur la situation devenue intenable sur le terrain. Depuis de longs mois voire des années, les soignants des structures hospitalières mais aussi des maisons de repos ou encore du travail à domicile dénonçaient à cor et à cri les innombrables difficultés, dysfonctionnements rencontrés dans leur quotidien.

Je pense à Sam, à Jessie, à Léa, à Sophie, à Camille, à Delphine. Je pense à cet infirmier, ces infirmières, cette sage-femme, cette aide-soignante et cette technologue de radiologie qui, de novembre 2019 à mars 2020, confiaient au Guide Social le profond mal-être que suscite leur activité professionnelle. Un mal-être qui n’est pas dû à leur désamour du métier, au contraire. Il tient plutôt de la charge mentale et physique que les restrictions budgétaires, imposées par un gouvernement ultra-libéral en quête de rentabilité, font peser sur leurs épaules. Je me souviens de récits du quotidien émaillés d’angoisses, de frustrations, de ras-le-bol, de combats permanents. Je garde en mémoire leur regard aussi fort et déterminé que las et fragile. Je n’ai pas oublié leurs douleurs, leurs frustrations, leur perte de sens, leur souhait ardent de pouvoir accompagner et soigner avec respect et humanité leurs patients ou encore leur épuisement aussi mental que physique.

Le cauchemar des maisons de repos

Aujourd’hui, mon esprit est hanté par le sort des maisons de repos, particulièrement frappées par le coronavirus. Comment vont les travailleuses et les travailleurs de ces structures ? Comment tient le coup Sophie ? En novembre 2019, cette aide-soignante qui travaille depuis vingt ans au sein d’une maison de repos privée, racontait au Guide Social la perte de sens qui frappe sa profession, pervertie par la recherche de rentabilité. Au fil de sa carrière, cette professionnelle expérimentée a assisté à une détérioration alarmante de ses conditions de travail. Elle nous livrait une description glaçante de son quotidien. Où la course à la rentabilité écrase tout sur son passage. Avoir la possibilité de travailler correctement, avoir le temps de remplir avec humanité leurs nombreuses missions : c’était le seul souhait de Sophie et de ses collègues.

A l’époque, ce n’était malheureusement pas le cas. Alors aujourd’hui… Résidents contaminés, pénurie de matériel, sous-effectif alarmant... Les maisons de retraite sont actuellement confrontées à une série de défis qui se rajoutent à tous les autres. Face à la surmortalité liée au coronavirus dans ces structures, je ne peux qu’imaginer ce qu’elles vivent et ressentent aujourd’hui sur leur lieu de travail. A quel point elles travaillent avec la boule au ventre. A quel point elles souffrent. A quel point elles se sentent impuissantes face à ce satané virus qui écrase tout sur son passage. A quel point la solitude doit peser. Tout comme le sentiment terrible d’abandon. La situation en cours dans les maisons de repos est cauchemardesque.

Épuisés par des années de mauvaises conditions de travail

Aujourd’hui, je ne cesse de penser au personnel hospitalier. « Ces infirmières, ces aides-soignantes, ces médecins qui, hier encore, manifestaient pour dénoncer le manque criant de moyens alloués au secteur de la santé et qui, aujourd’hui, luttent sans relâche face au Covid-19, avec des armes risibles, avec un sous-effectif peu tenable et avec du matériel insuffisant, pourtant si nécessaire », s’indignait une anthropologue dans une carte blanche publiée sur notre site.

Dans ce contexte, le témoignage édifiant livré par Sam, infirmier depuis dix ans en chirurgie cardiaque, n’aura jamais été aussi fort et aussi symbolique de la situation en cours dans nos hôpitaux. Avec une vraie colère, le soignant nous avait raconté la pression constante exercée par le corps managérial, la charge administrative qui ne cessait de s’alourdir et la déshumanisation alarmante de son métier. « Aujourd’hui, l’état d’esprit des infirmiers et des infirmières oscille entre le burn-out et la révolte », avait alerté le soignant, en janvier dernier. Son message était aussi clair que limpide : les professionnels de la santé étaient constamment tiraillés entre leur idéal de soin très fort et des conditions de travail problématiques qui les plongeaient dans une impossibilité d’atteindre une satisfaction de leur travail. Les frustrations étaient légions.

« On rentre chez nous avec l’impression d’avoir mal travaillé. C’est horrible » , s’insurgeait-il. « On se dit : on avait la détresse des gens en main et on l’a mal gérée parce qu’on n’avait pas le temps, parce qu’il y avait trop de demandes. » Un rythme effréné qui mettait indiscutablement les soignants sur les genoux et qui nuisait à leur santé mentale et physique. « La situation est très critique dans le milieu hospitalier ! Je plains vraiment celles et ceux qui viennent de débuter leur carrière professionnelle ou qui vont finir la formation en soins infirmiers. Quand je fais la comparaison entre mes débuts et maintenant, je ne peux que constater la forte dégradation des conditions de travail », avait déploré de son côté Delphine, technologue de radiologie au CHU Tivoli.

Depuis ces rencontres, le coronavirus est passé par là. Tous les obstacles dénoncés, depuis des lustres, par le personnel des hôpitaux sautent aujourd’hui aux yeux. Toutes ces difficultés ne peuvent qu’être exacerbées par la crise sanitaire qui secoue le Belgique. Aujourd’hui, celles et ceux qui combattent en première ligne le virus sont des hommes et des femmes épuisés moralement et physiquement par des conditions de travail qui n’ont cessé de se dégrader ces dernières années. Victimes collatérales de restrictions budgétaires colossales réalisées dans le secteur des soins de santé.

Il ne faudra pas oublier !

Aujourd’hui, mes pensées sont également tournées versLéa, jeune sage-femme qui officie dans un hôpital public. Confrontée à une réalité de terrain violente, elle nous avait raconté qu’elle devait composer avec une charge de travail incommensurable, avec un ballet incessant de chambre en chambre et avec toujours ce satané temps qui file à vive allure et qui l’empêche trop souvent de rester au contact des femmes. Et que dire aussi du sort des infirmières et infirmiers à domicile, de celui du personnel en charge de l’entretien dans les hôpitaux et plus globalement de tous les professionnels qui s’activent en première ligne ?

Pourtant, malgré tout, les soignants ne s’arrêtent pas. Jamais. Car, ce qui prime et ce qui a toujours primé, ce sont les patients. Cette crise sanitaire nous a encore prouvé l’incroyable don de soi dont font constamment preuve ces travailleurs. Leur immense conscience professionnelle aussi. Mais jusqu’à quand vont-ils tenir dans ces conditions ? Combien de morts faudra-t-il ? Combien de pandémies ? Avant que nos leaders politiques prennent leurs responsabilités et financent comme il se doit nos soins de santé ? Combien ?

« Travailler dans la santé, aujourd’hui, c’est culpabiliser d’être malade et d’être à bout, avoir peur de laisser tomber ses collègues et les patients. C’est supporter la pénibilité, par conscience professionnelle, jusqu’à l’épuisement. Ce sont des professions où l’on se plaint très peu par rapport à ce qu’on endure. Si vous nous entendez à présent, autant vous dire que la peine est grande ! La santé en général est mise à mal, de la maternité à la maison de repos, et nous allons le payer cher », martelait Camille, infirmière et formatrice dans une carte blanche publiée en décembre 2019. Jamais ces mots n’auront résonné avec autant de force qu’aujourd’hui.

Dans ce contexte de crise, le coût des économies imposées au
secteur de la santé est élevé. Il se compte en corps usés par la surcharge d’un travail mené en sous-effectif. Il se mesure en santé mentale mise à l’épreuve. Il se paie en vies humaines. Oui, le personnel de santé va le payer cher. Parfois au péril de sa vie. De la chair à canon, de la chair à virus.

Quand tout cela sera terminé, quand le coronavirus aura été terrassé, notre gouvernement aura des comptes à rendre. Il devra enfin accorder toute l’attention que méritent ces femmes et ces hommes qui ont tant donné pour soigner la population et cela dans des conditions intolérables, indignes d’une société démocratique. Il ne pourra plus rester sourd aux revendications de tous les Sam, toutes les Jessie, toutes les Léa, toutes les Sophie, toutes les Camille, toutes les Delphine. Il devra se confronter aussi à l’implication de sa responsabilité dans la mort de ces deux infirmières et de cette aide-soignante, jetées en pâture au coronavirus sans préparation ni armes suffisantes. A l’issue de cette crise, nous ne pourrons qu’exiger un examen de conscience de la part de nos politiques.

Emilie Vleminckx

Rédactrice en chef du Guide Social



Commentaires - 3 messages
  • Ce sera trop tard quand les dirigeants se rendront Í  l évidence qu ils ont chipote pour se prononcer sur le bien fondé d aide dans tous les postes médicaux, trop tard pour les regrets

    4475 samedi 11 avril 2020 19:45
  • Une seule et unique solution (dramatique je vous l' accorde) ARRÍ?TEZ tous de travailler tant que vous n'aurez pas Í  votre disposition (sans aucune restriction) TOUT le matériel et les médicaments dont vous avez besoin !!! Bien sûr pendant ce temps beaucoup mourront ..... mais combien pourrez-vous sauver après, sans stress et en toute bonne conscience ???? REFLECHISSEZ et PRENEZ LA BONNE DECISION !!!!!!!!!!!!!!!!!

    Yetty lundi 13 avril 2020 11:49
  • Oui le manque de prévision est inacceptable et oui les chiffres de décès dans les maisons de repos ont étés surévalués. Comment cela se fait il ??? En France, un collectif de 600 médecins attaquent leur ministre de la santé en justice. Allons nous restez "braves" sans bouger ???

    Arouk jeudi 16 avril 2020 10:31

Ajouter un commentaire à l'article





« Retour