UNE VIE DE PSY - Épisode XIV : les idées noires...
En théorie, on ne peut contrôler ses pensées, mais bien ses actes. En pratique, c’est moins limpide… Ce nouvel épisode de la vie étonnante de T. Persons vous en montre un magistral exemple.
- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -
Résumons. Mon smartphone vibre sur la table du salon. Marion, mon épouse, le voit. Elle remarque que je l’ai vu et que je reconnais ce numéro de téléphone. Un moment de gêne s’installe. J’ai toutes les raisons du monde d’éviter de prendre cet appel devant mon épouse, ce que, bien évidemment, je fais. Marion me regarde, circonspecte. Elle sait que je suis le genre de professionnel à décrocher son téléphone. Comme un gamin des années ‘90 qui vient de se faire gauler à zieuter vers le rayon pornographique dans le magasin de location de VHS, je rougis. J’ai honte. Elle m’interroge sur mon comportement particulier. J’ai deux options : soit je lui avoue toute la vérité et j’ai l’occasion de faire table rase de toutes ces angoisses tout en affrontant les difficultés dans mon couple, soit je lui mens effrontément. Étais-je vraiment devenu ce genre de personne ? Malheureusement, oui. J’invente donc une histoire quelconque où je suis la victime de mes patients malintentionnés qui n’ont aucune limite jusqu’à ce qu’elle se calme.
Le hasard peut bien faire les choses, mais parfois, l’Univers vous envoie un coup de pied latéral en plein dans la figure. Mon téléphone vibre à nouveau. C’est l’occasion de corroborer mon histoire de patient envahissant. Sauf que cette fois, c’est moi qui panique. Marthe n’est pas du genre à appeler à plusieurs reprises. Vu le contexte, je m’inquiète, je me rue sur mon téléphone et valide l’appel, sous les yeux médusés de mon épouse qui doit certainement penser qu’au pays des girouettes, j’alimente entièrement les besoins en électricité de la nation. En entendant sa voix, il se passe quelque chose en moi, qui est inconcevable pour un professionnel dans l’exercice de ses fonctions : le désir. Je tente donc de mettre un maximum de distance entre Marion et moi afin d’éviter qu’elle puisse entendre ce que j’avais à dire pour m’enfermer dans la salle de bain, où je fais couler l’eau en m’imaginant que, si un tel procédé fonctionnait pour les fictions américaines pour éviter d’être entendu, il n’y avait pas de raisons que je m’en prive. Clairement, ce n’est pas efficace, surtout lorsque votre épouse colle son oreille à la porte des cabinets.
« Elle ne s’imagine plus vivre »
Marthe est désemparée, elle sait qu’elle ne devrait pas prendre contact avec moi, que j’avais bousillé notre travail thérapeutique en agissant de la sorte, mais malgré tout, elle ne peut se fier qu’à moi. S’ensuivent trois minutes assez pénibles. Elle me confie ses pensées. Elles sont sombres. Elle ne s’imagine plus vivre. Elle a envie de tout oublier, de s’anesthésier, de ne plus penser à rien. Pour elle, la seule manière de trouver un peu de repos, c’est de débrancher la prise. J’ai beau lui dire qu’elle a le droit de penser ces horreurs-là, que je la comprends, mais que le plus important, c’est de dissocier les pensées des actes. J’essaye de gagner du temps, imaginant bêtement qu’en mettant des mots sur son désespoir, elle ne passera pas à l’acte. Puis, je me sens coupable. Ce sentiment d’abandon, c’est en partie moi qui l’ai réactivé. Je m’en veux terriblement et généralement, quand la culpabilité me traverse, j’agis, mais n’importe comment. Je l’implore de m’en parler de vive voix. Je lui fixe un rendez-vous pour le lendemain matin à la première heure. Je raccroche et comme un con, seul enfermé dans mes toilettes, à gaspiller les ressources en eau potable alors que 30 % de la planète n’y a pas accès, je pleure.
Comme si la situation n’était pas suffisamment pathétique, Marion ouvre la porte, me voit désemparé et se met à l’unisson de mes émotions en faisant couler ses propres larmes. Elle pense à l’épuisement professionnel. Elle se montre compatissante, voire empathique. À ce moment précis, je me déteste profondément. N’étant pas à un mensonge près, je vais dans le sens de Marion, je lui explique que je frôle le burnout, ce qui est assez ironique pour un psychologue clinicien. Je lui promets de me ménager, avant de me rappeler que l’on est vendredi soir et que j’ai donc fixé un rendez-vous à Marthe un samedi matin. Marion ne comprend pas, elle s’interroge sur le fait que je puisse être aussi changeant. Je suis au bord de l’implosion alors, comme tout bon névrosé qui ne s’assume pas trop, je cherche un prétexte pour me disputer. Ce soir-là, on fera trembler les murs à coups de cris et de colère. Pourtant, à aucun moment, nous n’abordons le vrai sujet qui fâche… J’ai beau imaginer lui dire toute la vérité, il n’y a rien à faire, aucun mot ne sort… Finalement, à l’heure d’aller me coucher, j’avais le sourire. Le lendemain, je revoyais Marthe et j’étais reparti pour un tour qui, cette fois-ci, allait réellement me porter préjudice.
T. Persons
[Du même auteur]
– Épisode I : la nouvelle demande
– Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
– Épisode III : de l’art de la supervision
– Épisode IV : un heureux hasard
– Épisode V : le nouveau venu
– Épisode VI : une coïncidence douteuse…
– Épisode VII : une question de choix
– Épisode VIII : le poids des secrets
– Épisode IX : la ligne rouge
– Épisode X : autour d’un verre
– Épisode XI : savoir dire non (partie I)
– Épisode XII : savoir dire non (partie II)
– Épisode XIII : un métier dangereux
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