Emilie Musch : de psychologue à kiné, parcours d’une passionnée
Cette année, Emilie Musch espère obtenir son diplôme de kinésithérapeute après 4 ans d’études. Passionnée de sport et rugbywomen émérite, Emilie n’est cependant pas une étudiante en kiné comme les autres. C’est à 30 ans qu’elle a décidé de tout lâcher pour retrouver les auditoires, les blocus et autres joies du campus, poussée par une passion qui ne l’a jamais lâchée.
Le Guide Social : Emilie, peux-tu nous raconter ton parcours ?
Emilie Musch : Je m’appelle Emilie, j’ai bientôt 34 ans et après avoir obtenu un diplôme en psychologie du travail et des organisations, après avoir travaillé 4 ans dans ce domaine, j’ai quitté mon emploi pour reprendre des études de kinésithérapeute. J’ai également, en parallèle de ce parcours professionnel, mené une carrière de sportive de haut niveau, puisque je pratique le rugby depuis 16 ans, dont 11 au sein de l’équipe nationale belge de rugby à 7. Aujourd’hui, je fais partie des 5 premières femmes de Belgique reconnues comme rugbywomen professionnelles et j’ai un contrat Adeps mi-temps à ce titre.
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Le Guide Social : Psychologue du travail et kiné, c’est loin d’être la même chose ! Comment expliques-tu ce parcours ?
Emilie Musch : Il faut vraiment revenir en arrière pour comprendre. Au départ, j’étais déjà intéressée par le corps humain. Je voulais faire médecine et j’ai donc commencé une première année de médecine à 17 ans. Mais j’étais jeune, je profitais de la vie et clairement, je n’étais pas prête à la rigueur que demande ce type d’études. En cours d’année, après une première session d’examens qui ne s’était pas bien passée, j’ai lâché. J’ai travaillé durant le reste de l’année et je me suis réinscrite ensuite en septembre. Là, j’avais le choix. La médecine était toujours dans un coin de ma tête, j’avais également envie de faire des études de kiné, ou même d’éducation physique.
Mais je connaissais mal le domaine des études sportives. Sincèrement, en faisant éducation physique, je ne me voyais pas devenir autre chose que prof de sport dans une école.
J’ai aussi parlé de mon envie de faire des études de kinésithérapie, notamment à mon beau-père, qui est kiné et ostéopathe. Il m’a dissuadée de faire ce choix. À l’époque, les kinés peinaient à faire reconnaître leur métier, la conjoncture ne leur était clairement pas favorable.
Alors, j’ai choisi psycho : ces études me permettaient de toucher à plein de domaines différents.
Les études se sont bien passées, je réussissais, tout roulait. Dans la dernière année de mon master, j’ai encore eu des doutes, mais puisque tout allait bien je ne voyais pas de raison d’arrêter. J’ai directement été engagée par l’entreprise dans laquelle j’avais fait mon stage. Le matin, je défendais mon mémoire, l’après-midi, je commençais à travailler !
« Le sport se présentait déjà comme quelque chose d’important dans ma vie ! »
Le Guide Social : Et tu as donc travaillé dans le domaine de la psychologie du travail pendant 4 ans…
Emilie Musch : Un bon 3 ans et demi ! J’ai eu la chance de travailler dans une entreprise vraiment très humaine, avec un super management. J’ai très vite pu évoluer pour passer de gestionnaire de dossier à un poste de chargée de recrutement ; c’est un peu le job idéal pour une personne qui sort d’études en psychologie du travail.
Le Guide Social : Qu’est-ce qui s’est passé pour questionner ce choix de vie finalement ?
Emilie Musch : Plein de petites choses en fait. Des événements cumulés qui m’ont poussée à l’introspection. Je vivais avec quelqu’un et cette relation s’est terminée après 11 ans. Une rupture est toujours l’occasion de remettre les choses à plat. Et puis, mon job était très sécurisant, très confortable, mais il devenait répétitif, après 3 ans… Il y avait quelque chose qui me manquait.
Bien sûr, il y avait un côté social, humain. Mais je n’aimais pas être dans l’analyse, dans l’évaluation constante des candidats. À force d’avoir devant moi des gens pleins d’espoirs, parfois après des années de galère, et de devoir leur dire “non”, pas forcément parce qu’ils ne correspondaient pas au profil recherché, mais parce que quelqu’un d’autre était “meilleur”... Je trouvais ça usant.
J’ai donc commencé à explorer mes options. J’en ai parlé avec ma manager, nous avons examiné les possibilités de mobilité en interne. Finalement, nous avons conclu qu’il serait peut-être plus intéressant que j’aille travailler dans une autre entreprise.
Coïncidence - ou pas - c’est à cette période que je me suis blessée au rugby. J’ai été en arrêt de travail pendant quelque temps. J’avais tout ce temps libre devant moi, pas d’entrainement, pas de boulot… Vraiment du temps pour penser. Ça a été une période clé pour moi, c’est ça qui a été le vrai déclencheur.
Je me suis dit : “Emilie, tu as 30 ans, tu n’as aucune obligation familiale ou financière… Si tu ne saisis pas cette opportunité maintenant, tu ne le feras jamais”.
Cette idée d’être kiné me trottait dans la tête depuis toutes ces années, des années où le sport, le rugby, a aussi pris de plus en plus de place dans ma vie.
Alors, je me suis lancée. J’ai annoncé ma décision à ma manager, j’ai été accompagnée par mon entreprise, j’ai pu prendre le temps de clore mes projets en cours, de former mon successeur et je suis partie. J’ai démissionné. À la rentrée, j’étais à nouveau sur les bancs de l’école.
« Mais moi, je ne considère pas mon parcours comme du temps perdu »
Le Guide Social : Dit comme ça, ça a l’air presque facile ! Mais comment as-tu réussi à joindre les deux bouts, en tant qu’étudiante à temps plein ?
Emilie Musch : C’était la grande interrogation. J’ai dû faire des choix. Clairement, ça n’a pas été simple. Il faut savoir qu’en tant que détentrice d’un master, je n’avais pas droit aux aides proposées par les régions wallonne et bruxelloise. J’avais un peu d’économies de côté.
Je me suis dit : “tant pis, je tente le coup. Au pire, si ça ne marche pas, je retourne travailler dans mon ancien boulot.”
J’ai donc monté un dossier auprès du CPAS. J’ai eu beaucoup, beaucoup de chance, car le dossier a été accepté. J’avais droit à 650 euros par mois au début. Ce n’est pas énorme pour payer un loyer, le transport, les frais de scolarité… Chaque année, j’ai aussi rentré un dossier auprès de mon école pour ne pas avoir à payer mon minerval.
J’ai aussi eu la chance d’être bien entourée. Ma famille m’a beaucoup soutenue dans mes choix. Quand j’avais de gros achats à faire, mes parents m’ont aidée. J’ai bien sûr envie d’être indépendante, de ne rien devoir à personne, en tous cas, le moins possible. Mais je dois reconnaître que j’ai été vraiment chanceuse de recevoir autant de soutien pendant tout mon parcours.
Le Guide Social : Et puisqu’on parle de l’entourage… Comment tes proches ont-ils réagi lorsque tu leur as annoncé ta reconversion ?
Emilie Musch : Dans l’ensemble, plutôt bien. Ma maman, m’a dit que ça ne l’étonnait pas, qu’elle savait que ce jour arriverait. Elle ne savait juste pas quand.
Mon papa était beaucoup plus inquiet ; il ne comprenait pas pourquoi je quittais un boulot qui gagnait bien, une situation stable et sécurisante…
Quant à mon beau-père, qui m’avait dissuadée d’avoir fait des études de kiné quand j’étais plus jeune, il s’est excusé de m’avoir découragée. Il me disait : “Si je ne t’avais pas découragée, tu serais déjà kiné aujourd’hui.”
Mais moi, je ne considère pas mon parcours comme du temps perdu. C’est un chemin qui a été plus sinueux, plus long, mais qui m’a aussi permis d’avoir plein d’autres expériences, de porter un autre regard sur plein de situations. Au final, je suis encore plus sûre de mon choix.
« C’est dur, quand tous mes amis du même âge font la fête au nouvel an, de devoir rentrer après un verre parce que le lendemain, je dois étudier. »
Le Guide Social : Comment c’est, de se retrouver sur les bancs de l’école après tant d’années ?
Emilie Musch : Je me souviendrai toujours de mon tout premier cours. J’étais assise dans l’auditoire avec les étudiants. C’était un cours de chimie… Je n’avais pas eu de chimie depuis ma première année de médecine ! Le lendemain, j’avais physique…
Au bout de la première semaine, j’ai dit à ma soeur : “C’est pas possible, je ne vais pas y arriver”.
Et puis, au fil des semaines, on regarde des tutos, on cherche des infos… Mes cousins et cousines, en humanité, me prêtaient leurs cours de math. Petit à petit, je me suis remise dans le bain.
C’est pendant les blocus que c’était le plus dur. Les études de kinésithérapie sont assez intenses, j’enchaine parfois 12 heures d’études. C’est dur, quand tous mes amis du même âge font la fête au nouvel an, de devoir rentrer après un verre parce que le lendemain, je dois étudier.
Après, on ne reprend pas tout à zéro. J’avais par exemple déjà pas mal de compétences sociales, probablement une maturité un peu différente aussi.
Le Guide Social : Tu es bientôt diplômée. Qu’est-ce que tu retires de tout ça, comment vois-tu ton avenir et le métier de kiné ?
Emilie Musch : Je ne regrette pas mon choix. Contrairement à mon ancien boulot, où j’étais tout le temps dans l’analyse et l’évaluation, ici, j’ai vraiment l’occasion de créer une relation avec mon patient. Je l’aide à atteindre ses objectifs, on construit un projet à deux… C’est vraiment cet aspect-là qui me plait.
Et puis bien sûr, étant spécialisée en kinésithérapie sportive, je peux allier deux passions. C’est aussi ça que j’attends de mon métier.
Concernant l’avenir, c’est encore un peu flou. Je me vois me lancer comme indépendante, ce qui me permettra d’allier plus facilement les entraînements de rugby et le travail. Mais les qualifications pour les Jeux Olympiques ont lieu au début de l’été et mon équipe y participe. Si nous arrivons à nous qualifier, je devrai développer mon activité plus lentement, car le focus sera sur les entraînements et la préparation en vue des JO.
Le Guide Social : Si tu étais en face de quelqu’un qui hésite à reprendre des études ou à changer de voie, tu lui dirais quoi ?
Emilie Musch : Si une personne y pense, c’est que cette idée lui trotte dans la tête depuis un moment. Il faut prendre le temps de se poser la question et être certain de son choix mais dans le même temps, il faut aussi se laisser le droit à l’erreur. On peut se planter et repartir.
J’ai plusieurs personnes qui viennent me trouver et me disent qu’elles aimeraient se lancer, mais n’osent pas. Je leur réponds : le seul frein que tu rencontres à l’heure actuelle c’est toi, parce que pour tout le reste, il y a toujours des solutions. Je pense qu’il faut juste s’écouter et oser au final. il n’y a pas de meilleur conseil que celui-là.
Mathilde Majois
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