Kiné et entrepreneur : comment se lancer en tant que kinésithérapeute indépendant ?
Le métier de kinésithérapeute est très versatile. On peut ainsi pratiquer son métier dans de nombreuses structures différentes, en Belgique ou à l’étranger, faire du domicile, travailler en structure hospitalière, ouvrir son propre cabinet... Il n’est donc pas rare, au cours de sa carrière, de jongler entre plusieurs statuts ! Cependant, pratiquer son métier de kinésithérapeute en tant que salarié, ou en ayant le statut d’indépendant, comporte de nombreuses différences.
Nous avons interviewé deux kinésithérapeutes, Virgile Vandewalle et Vincent Safa, pour nous éclairer sur les spécificités d’un début de carrière en tant qu’indépendant.
Lire aussi : Devenir indépendant complémentaire : les étapes clés
Kiné indépendant ou salarié ?
Au sortir de l’école, le kiné débutant se trouve face à une myriade de possibilités d’emploi. Travailler en tant qu’employé offre bien entendu une certaine sécurité financière, la possibilité d’avoir une patientèle régulière dès le début et l’assurance d’une certaine légèreté administrative.
Cependant, les offres d’emploi à temps plein pour les kinésithérapeutes ne sont pas légion ; un kiné débutant devra bien souvent "faire ses armes" et, comme de nombreuses professions médicales, commencer sa carrière par des contrats précaires, à durée déterminée, des remplacements, des temps partiels…
En outre, de plus en plus de structures médicales réduisent le nombre de contrats salariés et font le choix de collaborer avec une majorité d’indépendants, comme nous l’explique Virgile, kinésithérapeute spécialisé en préparation physique et trail.
"Trouver un poste salarié en Belgique c’est dur. Souvent les grosses structures emploient un seul kinésithérapeute en tant que salarié et c’est à lui de gérer une équipe de kinés indépendants. Ces derniers donnent une rétrocession à l’hôpital. L’exception, c’est peut-être les maisons de repos, qui proposent plus souvent la possibilité d’un contrat en tant que salarié", pointe-t-il.
La question du statut indépendant se pose donc pour de nombreux kinés au cours de leur carrière. Mais quelles sont les démarches à réaliser pour se lancer et quelles sont les réalités du métier ?
Lire aussi : Le témoignage de François, kiné indépendant en Wallonie
Les démarches administratives
Au sortir de l’école, tout kiné reçoit un numéro Inami, qui lui permet d’exercer. Cependant, ceci n’est pas suffisant pour pratiquer en tant qu’indépendant. Pour obtenir ce statut, il vous faut avant toute chose ouvrir un compte bancaire professionnel. Adressez-vous à votre banque pour réaliser ce processus ; il est en général simple et peu coûteux.
Ensuite, adressez-vous à la Banque du Carrefour des entreprises, afin d’obtenir un numéro d’entreprise. Cette démarche se fait obligatoirement en passant par une caisse d’assurance sociale et coûte 90€. Sachez également que toute modification future de votre numéro d’entreprise (comme sa radiation par exemple) vous coûtera 90 euros supplémentaires.
Vous affilier à une caisse d’assurance sociale vous procure d’autres avantages : vous préservez certains de vos droits, comme l’accès à la pension, à une assurance maladie, des allocations en cas d’arrêt de travail ou de congé maternité. Renseignez-vous auprès de votre caisse d’assurances sociales pour en savoir plus sur votre couverture.
Les assurances
N’oubliez pas de vous assurer. La loi vous oblige à souscrire à une assurance responsabilité professionnelle, qui couvrira vos frais en cas de faute professionnelle. Vous devez également être couvert par une assurance responsabilité civile.
Sachez qu’il existe une intervention financière pour qui souscrit à une assurance pension ou une assurance invalidité. Il s’agit de l’avantage social, qui consiste en une cotisation annuelle, de la part de l’Inami, auprès de votre assurance. Cet avantage ne concerne que les kinésithérapeutes conventionnés.
Le numéro INAMI : différent pour l’indépendant et l’employé !
Vous avez reçu un numéro INAMI automatique à la sortie de l’école. Si vous souhaitez pratiquer en tant qu’indépendant, vous devrez également réaliser une démarche auprès de l’INAMI afin d’actualiser votre numéro d’identification en fonction de votre nouveau statut.
Un numéro INAMI se terminant par 527 vous permet de travailler en tant que kiné indépendant à domicile. Par contre, un numéro qui se termine par 517 permet de travailler au sein d’un cabinet (en tant qu’indépendant) mais aussi en tant que salarié.
Conventionné, non-conventionné ? Un seul statut possible !
Contrairement aux médecins, qui peuvent jongler entre les statuts, les kinésithérapeutes sont tenus de choisir entre le statut de kiné conventionné ou non-conventionné.
Si vous travaillez en tant qu’indépendant dans une structure médicale, comme un hôpital, il vous sera souvent demandé d’être conventionné. Dans ce cas, vos tarifs seront plafonnés aux limites légales en fonction du type de prestations. Un tarif minimal qui fait débat face à l’inflation actuelle. Par contre, un kiné non-conventionné fixe ses propres tarifs, souvent supérieurs. En contrepartie, le remboursement de la prestation par la sécurité sociale est en outre 25% moins élevé que pour le tarif conventionné. Autrement dit, le patient paie la différence de sa poche et est moins remboursé.
Kiné débutant : conventionné ou non ?
Il n’y a pas de bonne réponse ! Virgile Vandewalle et Vincent Safa s’expriment sur le sujet.
"En tant que kiné du sport, je souhaitais avant tout valoriser ma spécialisation et proposer mes services à une patientèle précise. En me déconventionnant, je valorise cette expertise. Par contre, c’est vrai que ça constituait une difficulté quand je me suis lancé en Belgique. Les médecins hésitaient à envoyer leurs patients chez moi, parce que je coûtais plus cher et qu’ils ne me connaissaient pas", confie Virgile Vandewalle.
Vincent Safa rajoute : "Quand on débute, je conseille de rester conventionné. Si on est non-conventionné, les patients vont payer plus. Or quand on se lance, on doit d’abord constituer sa patientèle, se faire connaître, inspirer confiance… C’est plus facile si on est conventionné. Par contre, au bout d’un moment, si on veut faire valoir ses formations, son expérience… on peut se déconventionner."
Proposer des prestations accessibles à tous, risquer une patientèle plus réduite mais réaliser des suivis plus spécifiques… Le conventionnement ou non d’un kiné constitue un choix très personnel. À vous de choisir votre stratégie.
La comptabilité du kiné indépendant
Si vous vous êtes inscrit auprès de la BCE en tant que personne physique - un choix fait par la plupart des kinés indépendants - vous devrez payer des impôts et des cotisations sociales, comme tous les citoyens belges. En tant qu’indépendant, c’est à vous de calculer et de payer vos propres cotisations.
Un kinésithérapeute ayant le statut d’indépendant complet paie entre 700,00€ et 840,00€ (Source : Note aux caisses d’assurances sociales pour travailleurs indépendants du 2 janvier 2023) par trimestre. Il s’agit du montant minimal légal. Ce montant devra être payé durant les 3 premières années de votre activité. Ensuite, le montant réel de vos cotisations sera recalculé en fonction de vos revenus annuels (sur base des revenus touchés 2 ans plus tôt). Si vous avez "trop" payé, vous retoucherez de l’argent. Au contraire, si l’administration fiscale estime que vous avez payé trop peu de cotisations par rapport à vos revenus, la différence vous sera réclamée. Ce montant, qui peut être important, doit souvent être payé en une fois. Il vaut donc mieux surestimer ses cotisations sociales, plutôt que de les sous-estimer, au risque d’avoir une très mauvaise surprise.
Si vous débutez, sachez cependant que vous pouvez obtenir une réduction provisoire de vos cotisations. Appelée "réduction starter", elle doit être demandée auprès de votre secrétariat social via votre assurance sociale.
Sachez également que vous devrez payer des impôts - et encore une fois, en tant qu’indépendant, il vous revient d’estimer leur montant et d’être en mesure de les payer le moment venu. Un kiné qui se lance en indépendant ne peut pas savoir à l’avance quel sera le montant de ses impôts. Vous pouvez cependant mettre de côté, au minimum, de 30 à 35% de vos revenus en prévision de ce paiement.
L’outil en ligne Taxl-Calc vous permet, chaque année, d’estimer le montant qui vous sera imposé.
Virgile et Vincent le conseillent : engagez un comptable ! La fiscalité belge est complexe et sa législation change constamment. De plus, les frais liés aux prestations d’un comptable sont considérés comme des frais professionnels, donc déductibles.
Les frais du kiné indépendant
"Fais des frais !" Voici un conseil répété maintes et maintes fois aux indépendants en Belgique et qui concerne bien entendu les kinésithérapeutes. Mais en quoi cela consiste-t-il ?
Sachez qu’en tant qu’indépendant, vous êtes taxé sur vos bénéfices et non sur vos frais professionnels. Vous pouvez donc déduire vos frais professionnels de votre chiffre d’affaires annuel dans votre déclaration d’impôts. Ce montant échappe aux taxes !
Qu’est-ce qui peut être considéré comme "frais professionnel" ?
Peuvent être considérés comme frais (liste non-exhaustive) :
- Les cotisations sociales.
- Le salaire payé à un comptable.
- Les achats directement liés à l’activité professionnelle (ex : banc de massage, produits de soin, tape, matériel de rééducation…).
- Les vêtements de travail.
- Les frais inhérents à la location et l’entretien d’un local à usage professionnel.
- Les frais de transport (ex : transports en commun) ou l’achat et l’utilisation d’un moyen de transport à des fins professionnelles (voiture, vélo).
- Les frais de téléphonie et d’internet.
- Si vous êtes propriétaire de votre maison et qu’une partie du bâtiment est utilisée à des fins professionnelles : gaz, électricité, etc…
Tous les frais professionnels ne sont pas déductibles à 100%. Ainsi, le montant payé à un comptable, les cotisations sociales, les charges d’un local professionnel vous appartenant, sont déductibles à 100%.
Par contre, les charges d’un bâtiment, d’un téléphone, d’un abonnement internet, d’un moyen de transport, utilisés à des fins à la fois professionnelles et privées, seront déduites proportionnellement à leur utilisation professionnelle et privée.
Exemple : si vous effectuez des visites à domicile et utilisez votre véhicule la moitié du temps à des fins privées et l’autre moitié du temps à des fins professionnelles, la déduction fiscale se rapprochera des 50%.
Suis-je soumis à la TVA ?
Les kinésithérapeutes, en tant que profession paramédicale, ne sont pas soumis à la TVA. Une exception cependant : les activités médicales non-thérapeutiques. Si, par exemple, vous accompagnez des sportifs afin d’optimiser leurs entraînements, les prestations liées à cet exercice sont soumises à une TVA de 21%.
Quelles aides financières pour le kiné indépendant ?
Se lancer en tant que kiné indépendant n’est pas simple et représente parfois une prise de risque financière. Heureusement, certaines primes peuvent soutenir vos investissements.
D’un montant de 800,00€, cette prime est accessible aux kinésithérapeutes ayant le statut d’indépendant à titre principal (et non complémentaire) et utilisant un logiciel homologué e-Health approuvé par la commission des kinésithérapeutes et les organismes assureurs.
- L’avantage social
Décrit plus haut, il s’agit d’une intervention financière de l’Inami auprès des kinésithérapeutes conventionnés et souscripteurs d’une assurance professionnelle ou d’une assurance pension.
Cette prime de 2000,00€, versée par l’Inami, récompense les kinésithérapeutes engagés dans un cycle de promotion de la qualité via des formations ou ou sessions de peer-review.
Les réalités du métier
Bien sûr, en tant que kinésithérapeute salarié ou indépendant, vous mettez en œuvre les mêmes principes de soin. Cependant, chacune des deux voies connaît aussi ses spécificités, comme nous l’explique Vincent Safa :
"En tant qu’employé, on a des horaires fixes, des congés payés, des vacances, la sécurité de l’emploi, des financements pour suivre des formations… En tant qu’indépendant, il y a la possibilité de gagner plus, mais ce n’est pas une vérité absolue. Aujourd’hui, en tant qu’indépendant, je ne pense pas gagner plus qu’en tant qu’employé. Par contre, je me fais beaucoup plus plaisir dans mon travail : je fais ce que je veux, de la manière dont je le veux. Je gère mon emploi du temps selon ma volonté, j’accorde à chaque patient l’attention dont il a besoin, ce qui n’est pas toujours possible dans l’emploi du temps millimétré d’un employé en consultation. Si je veux passer 1h30 avec un patient, je peux le faire. Cette liberté m’a déjà permis de partir sur des pistes de diagnostic que je n’aurai jamais explorées avec la demi-heure habituelle. J’ai aussi beaucoup plus de maîtrise sur mon évolution professionnelle : je choisis les sujets sur lesquels je me forme, qui me semblent les plus pertinents selon mes centres d’intérêt. Il y a aussi toute la gestion à faire, la comptabilité, etc… C’est une dimension supplémentaire qu’un employé n’a pas forcément à gérer."
Les débuts : trouver des patients et s’occuper !
Construire sa patientèle n’est pas toujours une mince affaire lorsqu’on se lance en tant que kinésithérapeute indépendant. Virgile et Vincent nous partagent leur expérience.
"Quand j’ai débuté, je m’étais installé dans un cabinet qui venait tout juste d’ouvrir, nous n’étions donc pas connus. J’ai contacté des médecins de la région pour leur expliquer que je me lançais, mais ça n’a pas donné grand-chose. Je n’avais pas encore leur confiance. Puis il y a eu le bouche-à-oreilles, un collègue du cabinet, podologue, qui m’envoyait ses patients… J’étais référencé sur certains sites : le site du cabinet et le site de la Clinique du Coureur, via laquelle j’avais fait des formations. Grâce à ça on me trouvait sur le net. Mais au début, il ne faut pas se mentir : j’ai eu des périodes d’inactivité. J’ai lu et j’ai beaucoup, beaucoup couru à pied !", raconte Virgile Vandewalle.
De son côté, Vincent Safa note : "Beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux, mais ce n’est pas trop mon truc. Je m’étais inscrit dans un club de sport et ça m’a apporté quelques patients. Comme je travaillais en cabinet, j’étais aussi recommandé par mes collègues, je récupérais leurs patients quand ils avaient un emploi du temps trop chargé… Ça s’est fait petit à petit. J’ai pu gérer cette période aussi parce que j’avais des contrats fixes dans des hôpitaux, donc un revenu minimal assuré chaque mois."
Il existe donc de nombreuses façons de se faire connaître quand on débute : contacter les professionnels de santé de la région, intégrer des groupes sociaux (par exemple, des clubs sportifs) pouvant apporter une patientèle, compter sur le bouche-à-oreilles et les collègues au sein d’un cabinet… Si vous souhaitez "professionnaliser" votre communication, vous pouvez également recourir aux réseaux sociaux, utiliser l’outil gratuit Google My Business, qui vous permet de créer votre fiche professionnelle gratuitement sur Google, élaborer votre site web…
Vous avez envie de recourir à la publicité ? C’est possible, si vous respectez les recommandations de l’Inami en la matière.
Les sites web de référence pour le kiné indépendant
Si vous êtes à la recherche d’informations sur les réglementations relatives à votre métier, les primes, les codes de soin…, sachez qu’en plus du Guide Social, les sites de l’Inami et d’Axxon, l’association des kinés de Belgique, regorgent de ressources fiables.
Se sentir responsable de ses échecs… Et de ses réussites !
Vous l’aurez compris, se lancer en tant que kinésithérapeute indépendant demande un certain investissement, que ce soit en temps, en énergie ou en argent. Pourtant, de nombreux kinésithérapeutes choisissent cette voie…
Un choix qu’explique Vincent Safa : "Il faut avoir beaucoup de volonté, pour s’installer en tant que kiné indépendant. C’est un métier qui est très jeune et qui évolue constamment. On gère soi-même beaucoup d’aspects de son métier, c’est très responsabilisant. Mais c’est aussi ce qui me donne l’impression d’être complètement investi dans mon métier. C’est en travaillant en tant qu’indépendant que j’ai découvert cette envie d’être meilleur, j’ai senti que j’avais les moyens de créer ‘mon’ métier, de l’exercer à ma façon. Ça me faisait plaisir et j’avais envie d’évoluer là-dedans. J’aime cette responsabilité, je me sens entièrement responsable de mes réussites. Je travaille vraiment pour moi."
Mathilde Majois
Et pour aller plus loin :
[Ecoutez]
[Découvrez les fiches métiers dédiées à la profession de kinésithérapeute] :
- Quelle formation pour devenir kinésithérapeute en Belgique ?
- Le métier de kinésithérapeute en Belgique : état des lieux
- Quelle est la retraite d’un kinésithérapeute en Belgique ?
- 5 conseils pour réussir son premier stage en kiné
[Découvrez des témoignages de kiné] :
- "C’est très gratifiant quand le patient ou la patiente se sent vite bien"
- « Il faut enlever cette image : non, le kiné n’est pas un masseur »
- Emilie Musch : de psychologue à kiné, parcours d’une passionnée
[Découvrez les autres professions du secteur psycho-médico-social] :
Commentaires - 1 message
Ajouter un commentaire à l'article