Infirmiers et infirmières : 13 témoignages pour comprendre les réalités du métier

Bloc opératoire, soins intensifs, rue, prison, maison médicale… Les infirmiers et infirmières exercent dans des contextes multiples, auprès de publics très variés. À travers 13 témoignages de terrain, ils décrivent la diversité des lieux d’exercice, la technicité des gestes, les contraintes du métier et les multiples satisfactions. De l’urgence vitale à l’accompagnement de fin de vie, du soin à domicile à l’appui social, ces récits dressent un portrait pluriel et concret de la profession.
Dans un couloir d’hôpital, une infirmière se dirige vers le bloc opératoire tandis qu’un patient est transféré vers un service. À quelques kilomètres de là, dans un appartement bruxellois, une tournée de soins à domicile se termine autour d’un échange avec la famille. Plus loin, derrière les murs d’une prison, les gestes techniques s’accompagnent d’une vigilance permanente. Les lieux varient, les publics également, mais un point commun subsiste : répondre, chaque jour, à des besoins de santé concrets et diversifiés.
Ces 13 témoignages offrent un aperçu de la pluralité des pratiques infirmières en Belgique. Ils illustrent la variété des environnements – hôpital, domicile, structures communautaires ou espace public – et la complémentarité avec d’autres professionnels de santé et du social. Entre technicité, organisation, travail en équipe et relation humaine, ces récits dessinent un portrait aux multiples visages d’une profession ancrée dans la réalité du terrain.
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1. Métier d’infirmier à l’hôpital : diversité des services et des spécialités
Bloc opératoire : le quotidien de Seila, une infirmière instrumentiste

Au bloc opératoire du CHU Saint-Pierre, Seila vit des journées intenses où chaque geste compte. Instrumentiste en chirurgie cardiaque, elle prépare le matériel, assiste les chirurgiens et garde son sang-froid dans les situations d’urgence. Les horaires sont longs, la concentration constante et certaines interventions confrontent à "des gens qui vivent l’un des pires moments de leur vie". La pénurie infirmière pèse aussi sur les équipes. Mais malgré ces contraintes, elle trouve un équilibre grâce à la solidarité entre collègues et à la conviction d’exercer un métier qui a du sens : "Il y a un avant et un après l’opération, et savoir que j’y contribue directement, c’est très gratifiant."
Pour Seila, chaque patient est unique. Certains veulent tout savoir, d’autres préfèrent ne pas connaître les détails ; dans les deux cas, elle prend le temps de rassurer, d’établir une relation de confiance. Elle aime l’imprévu du bloc, la diversité des spécialités et la possibilité d’apprendre en continu. Les moments difficiles existent, mais sont contrebalancés par une satisfaction profonde : "Souvent, en fin de journée, je suis épuisée… mais il y a quelque chose qui compense vraiment cette fatigue : la certitude d’avoir tout fait pour aider." Entre technicité, esprit d’équipe et passion du soin, son métier est exigeant, mais infiniment humain.
Denis, infirmier en chirurgie : engagement et solidarité
Infirmier hospitalier en chirurgie cardiaque, Denis ne pratique pas la langue de bois. À 36 ans, il parle sans détour des études exigeantes, des premiers stages parfois violents, du sous-financement et de la pénurie de personnel. Mais il insiste aussi sur ce qui donne sens à son métier : "Les petites victoires, le prendre soin, les rencontres empruntes d’humanité contrebalancent la dureté du quotidien." Après plus de dix ans d’expérience, il continue à se lever chaque matin avec l’envie d’aller travailler, porté par les liens forts avec ses patients et la solidarité puissante entre collègues.
Lucide sur la réalité du terrain, Denis a choisi de rester dans le secteur hospitalier et de s’engager pour améliorer les conditions de travail. Pour lui, aimer ce métier, c’est aussi le défendre. "Je ne me verrais pas faire autre chose."
Margaux, infirmière urgentiste : la réalité des urgences hospitalières
Aux urgences, aucune journée ne se ressemble, et c’est ce qui plaît à Margaux. Infirmière urgentiste depuis quatre ans, elle aime le travail d’équipe, la proximité avec les patients et l’efficacité immédiate des soins prodigués : "Aux urgences, le résultat par rapport à mes actions est beaucoup plus concret et rapide… J’ai sauvé une vie, aidé une famille, soulagé une douleur intense." Mais le métier est exigeant : horaires de douze heures, pression constante, pénurie de personnel et manque de lits compliquent le quotidien. Les tensions s’accentuent encore avec l’engorgement du service, lié à une première ligne médicale saturée. "Parfois, c’est le chaos, il faut prendre des décisions rapides, mais justes", confie-t-elle.
Face à la fatigue accumulée et à la frustration, Margaux a choisi de prendre une pause d’un an, en Martinique, pour éviter de perdre le goût de son métier. Ce recul lui a permis de revenir plus apaisée, prête à affronter les défis du service avec un regard neuf. Pour elle, rester heureuse dans ce métier passe par la connaissance de ses limites, le soutien de l’équipe et la passion du soin. Et malgré les contraintes, certaines gratifications n’ont pas d’équivalent : "Le meilleur retour que je puisse avoir, c’est quand une petite mamy me dit ‘merci beaucoup’ après l’avoir réinstallée dans son lit… On sent qu’on a aidé quelqu’un dans un moment de faiblesse. Il faut avoir envie de ça."
Marion, infirmière en soins intensifs : entre stabilisation et urgence vitale
De son côté, Marion travaille depuis plusieurs années dans un service de soins intensifs. Elle décrit un environnement sous tension permanente, où chaque jour peut basculer entre stabilisation et urgence vitale. "Ce sont des montagnes russes : certains jours on sauve une vie, d’autres on accompagne une fin."
Malgré l’intensité, Marion ne se verrait pas ailleurs. Elle apprécie la richesse des situations, le travail en binôme avec les médecins, et le sentiment de faire une différence. Mais elle alerte aussi sur l’après-Covid : "Beaucoup sont partis. Nous, on reste, mais on fatigue."
2. Des services au plus près de l’humain
Christine, infirmière en soins palliatifs : accompagner la fin de vie à l’hôpital
Au service du Lotus, unité de soins palliatifs de l’hôpital Molière, Christine Lapage et son équipe accompagnent chaque jour des patients en fin de vie, mais aussi leurs proches. Ici, le rythme n’est pas dicté par un protocole rigide mais par les besoins du patient : dormir, être lavé, discuter, ou simplement ne rien faire. "On a de l’humain entre nos mains", rappelle-t-elle, consciente de la responsabilité et de l’émotion que représente ce travail. Ce quotidien exige patience, écoute et une grande capacité d’adaptation. Les soins peuvent être physiquement exigeants certaines semaines, émotionnellement lourds d’autres, mais la dimension relationnelle reste au cœur : il faut offrir bien-être et réconfort, même dans les moments les plus difficiles.
Forte de plus de 30 ans de carrière, Christine sait que cette mission demande une grande maturité et un solide travail d’équipe pour partager les émotions et éviter de "ramener le service à la maison". Le soutien de la hiérarchie, les supervisions mensuelles et la formation continue sont essentiels pour préserver l’équilibre. Si elle parle volontiers de vocation, elle nuance : l’amour du métier ne suffit pas sans reconnaissance concrète. Et pour ceux qui envisagent ce chemin, son message est clair : "Il faut que ce soit vraiment un choix… On ne peut pas rater une fin de vie, c’est trop précieux."
Magalie, infirmière en onco-pédiatrie : soigner l’enfant et sa famille

Après deux ans en gériatrie, Magalie a trouvé sa voie en oncologie et hématologie pédiatriques, un service où la technique, l’humain et la psychologie se mêlent au quotidien. Ici, chaque enfant est accompagné dans sa globalité, tout comme sa famille. "80 % du temps, on ne gère pas les émotions de l’enfant, mais des parents", témoigne-t-elle. La maladie confronte parfois à l’incertitude du lendemain, mais les enfants, portés par une "résilience infantile" impressionnante, rappellent sans cesse l’importance de vivre l’instant présent. Dans ce contexte, Magalie cherche à offrir bien plus qu’un soin : un regard qui ne réduit pas l’enfant à sa maladie, mais qui lui permet de rester avant tout… un enfant.
Ce travail intense sur le plan émotionnel demande de bien se connaître et de savoir poser ses limites. Magalie n’hésite pas à confier un patient à un collègue si la charge affective est trop lourde : "On est tous humains… il faut savoir observer ce qui se passe en nous, s’écouter, et parfois passer la main." Loin d’être uniquement synonyme de tristesse, son service offre aussi des instants de joie et de partage. Pour elle, ce métier est une leçon permanente d’humilité et de connaissance de soi, avec une conviction forte : "Il y a mille et une visions du soin. À toi de trouver la tienne."
Anne-Cécile, infirmière au planning familial : un accueil inconditionnel et sans jugement
Après avoir exercé pendant de longues années aux soins intensifs du CHU Saint-Pierre, puis en salle de réveil et comme infirmière volante, Anne-Cécile a trouvé un nouveau souffle au sein du planning familial de l’hôpital. Infirmière en santé communautaire, elle y assure un accueil inconditionnel, souvent auprès de femmes confrontées à des situations difficiles. “Mon rôle, c’est d’offrir soutien, écoute et information, sans jugement”, explique-t-elle. Si la technicité de ses débuts a laissé place à une pratique plus relationnelle, l’intensité est toujours là — mais elle se joue désormais dans la profondeur des échanges et l’accompagnement personnalisé.
Ce changement d’horizon illustre une conviction qu’Anne-Cécile porte haut : la carrière d’une infirmière n’a rien de figé. D’un service à l’autre, d’une mission à une autre, le métier peut se réinventer sans perdre son sens premier : prendre soin.
3. La dimension sociale du métier d’infirmier
Louise et Eva, infirmières de rue : lien social et accès aux soins

Pour Louise et Eva, attachées à l’ASBL bruxelloises Infirmiers de rue, exercer ce métier signifie avant tout créer du lien avec des personnes vivant en grande précarité et les accompagner sur le chemin du logement et de la réinsertion. Leur rôle dépasse largement les soins techniques : il s’agit d’être un relais entre la rue et les services de santé, de restaurer l’hygiène et la dignité, et de soutenir les démarches administratives souvent prioritaires pour leurs bénéficiaires. "On fixe notre action sur l’hygiène pour que les personnes retrouvent la sensation de propreté et d’odeur", explique Eva. Les journées se déroulent entre maraudes en binôme, rendez-vous médicaux, suivi social et travail de réseau, avec un objectif clair : rendre les personnes actrices de leur propre parcours.
Ce quotidien n’est pas sans défis. Le lien de confiance met parfois longtemps à se construire, et les rechutes ou retours en rue peuvent être difficiles à encaisser. Pourtant, la force de l’équipe et la liberté de prendre le temps avec chaque personne leur permettent de rester engagées. "Pour bien prendre soin, il faut se sentir soutenu", souligne Louise. Ce qu’elles recherchaient dans leur métier, elles l’ont trouvé : un équilibre entre le soin et le prendre soin, avec la conviction que, même à petite échelle, chaque geste peut changer une trajectoire de vie.
Véronique, infirmière sociale : soigner les personnes sans-abri
Depuis trente ans, Véronique exerce comme infirmière à domicile, un métier exigeant physiquement et émotionnellement, mais qui reste pour elle profondément humain. En parallèle, elle consacre du temps aux plus vulnérables, tenant une permanence pour l’ASBL Comme chez Nous afin de soigner les personnes sans-abri. "Les SDF viennent parce qu’ils présentent des plaies, des blessures, des ampoules aux pieds… Certains ont besoin d’un simple anti-douleur, d’autres d’un suivi médical plus complet", livre-t-elle. Cette mission demande autant de compétences techniques que de patience et de respect, dans un contexte où la confiance se construit pas à pas.
Malgré la pénibilité du métier et l’usure qu’il peut engendrer, elle reste passionnée : "Il faut d’abord être solide moralement… garder toute sa sensibilité et son empathie, mais ne pas se perdre." Entre les tournées par tous les temps, la gestion de soins toujours plus techniques et la volonté de préserver le lien humain, elle incarne une profession qui se réinvente pour rester au plus près des besoins des patients, avec une conviction intacte : continuer à soigner, mais aussi à prendre soin.
Infirmiers sur le terrain : soins à domicile, en prison et en maison médicale
Charlyne, infirmière à domicile : replacer l’humain au centre du soin
Après quelques années en maison de repos et un passage à l’hôpital, Charlyne a trouvé sa place dans les soins à domicile, un choix motivé par l’envie de replacer l’humain au même niveau que le soin. "Sans passion, difficile de tenir sur la longueur", révèle-t-elle, consciente des exigences physiques et mentales de ce métier. Chez les patients, elle entre dans leur intimité avec respect, crée du lien, et répond à des besoins qui vont bien au-delà du médical. Elle se souvient par exemple d’avoir organisé la sortie à la piscine d’un patient qui n’avait plus nagé depuis des années. Ces moments, dit-elle, donnent du sens et compensent largement les difficultés du quotidien.
Elise, infirmière en milieu carcéral : soigner derrière les barreaux

Depuis plus de quinze ans, Elise exerce un métier hors du commun : infirmière en milieu carcéral à la prison d’Andenne. Ses débuts ont été marqués par la peur des grilles, des barreaux, et des détenus qu’elle ne connaissait pas encore. Aujourd’hui, elle a trouvé sa juste place : "Je soigne, je ne juge pas." Dans ce microcosme où les liens se tissent sur le long terme, elle suit parfois les mêmes patients pendant vingt ans. Les soins vont des blessures auto-infligées aux urgences vitales, avec un défi constant : offrir une qualité de prise en charge équivalente à celle de l’extérieur, malgré un accès limité aux médecins et spécialistes. Les décisions à prendre, souvent dans l’urgence, dépassent parfois le cadre strict du rôle infirmier, ajoutant une pression supplémentaire à un quotidien déjà complexe.
Si la prison impose ses contraintes et ses manques, Elise s’appuie sur la solidarité d’une équipe soudée pour tenir le cap : "Au moindre doute, on envoie. Je préfère cela plutôt que de me retrouver au tribunal parce que quelqu’un est mort et que je n’ai rien fait." Pour préserver son équilibre, elle s’évade dès qu’elle le peut dans la nature, auprès des chevaux et des chiens. Après toutes ces années, une conviction reste intacte : derrière les portes et les barreaux, elle travaille avant tout avec des êtres humains, et il est vital de ne jamais l’oublier.
Camille, infirmière en maison médicale : un travail d’équipe pluridisciplinaire
Ancienne professeure d’histoire-géo, Camille a trouvé sa voie en devenant infirmière enmaison médicale, un environnement où elle alterne soins à domicile, consultations en dispensaire et travail en équipe pluridisciplinaire. Si au fil de ses stages hospitaliers, elle a pu observer quelques limites d’un système hiérarchisé et parfois peu reconnaissant envers les infirmières, elle a découvert dans la maison médicale un fonctionnement égalitaire où "les secrétaires sont aussi importantes que les médecins” et où le lien de confiance avec les patients se construit dans la durée."
Consciente de l’impact émotionnel que peut avoir le métier, Camille veille à préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle : "Notre métier peut être une vocation, mais il ne doit pas représenter toute notre vie." Pour elle, la richesse de la profession réside dans sa diversité : école, santé communautaire, domicile, structures spécialisées… autant de terrains où l’on peut exercer avec un même diplôme. Trouver le cadre qui correspond à ses valeurs est essentiel, tout comme garder à l’esprit que le soin est un travail qui mérite reconnaissance et conditions dignes.
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