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Chronique d'un psy : sous la loupe des médias

05/04/17
Chronique d'un psy : sous la loupe des médias

Une réflexion portant sur l’impact qu’auraient les médias sur ce qui se trame dans et en dehors de nos cabinets avec, à la clé, une question : le journalisme peut-il mettre en péril le travail psychologique ?

Cette semaine, il y a comme un goût désagréable dans le fond de ma cavité buccale, une impression nauséabonde saupoudrée d’un parfum fétide, voire d’une odeur pestilentielle. Vous l’aurez compris, j’ai fait le choix de placer cette chronique sous le signe du dégoût et du mépris.

« Qu’est-ce qui te dégoûte à ce point ? », m’a susurré à l’oreille mon irremplaçable collègue, qui a très bien compris que derrière mon air coléreux grandiloquent se cache un petit psychologue qui pleure de désespoir. Je lui ai donc dépeint l’histoire de ma patiente, qui allait vraiment mal jusqu’à aller un petit peu mieux. Pour elle, c’était une victoire. Pour moi, d’une manière égocentrée, c’était le signe que je n’étais pas forcément complètement inutile. Elle allait donc mieux jusqu’à ce que tout d’un coup se soit le désastre, la tempête. « Et quel est l’origine de ce changement ? », m’a demandé ma Renée, interloquée. Je vous le donne en mille : elle a fait la connaissance des médias.

Avant de me faire lyncher par certains membres sclérosés d’une noble profession qui trouveront certainement dans cette chronique de quoi ventiler leurs affects, je tiens à le préciser : j’ai un infini respect pour le journalisme. La liberté de la presse est pour moi un gage fondamental de démocratie. Après, comme le disait un illustre philosophe, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Bref, le journaliste est libre de ne pas faire n’importe quoi. Or c’est précisément ce que j’ai à lui reprocher.

C’est quoi le rapport avec les psychologues ? C’est que les médias ne nous facilitent pas forcément la tache. J’ai déjà du mal à travailler le fait que certains de mes patients ne peuvent pas s’autoriser à aller mal, mais si en plus on y va de reportages chocs sur la manière héroïque dont certaines personnes se sortent d’un drame terroriste avec deux jambes en moins, une volonté à toute épreuve et une belle histoire à raconter à heure de grande écoute, de mon côté, certains de mes patients n’habitent pas Bruxelles, n’étaient pas dans le métro ou à l’aéroport, et n’arrivent que difficilement à sortir de chez eux. Je vous laisse imaginer leur état après ce magnifique reportage… Soit. Passons. C’est malheureux, mais ce genre de mésaventure me semble malheureusement inévitable.

Si l’on en revient à ma patiente, ce qui m’énerve, c’est tout ce qui a gravité autour d’elle. Un an après… L’effervescence. Pendant une semaine, elle était devenue une icône : la survivante. On se disputait pour lui parler, elle était de tous les plateaux télé, on l’invitait au restaurant. On la flattait, on lui donnait une identité dans laquelle il était à peu près acceptable de plonger les deux pieds joints, et puis : le néant. On est une semaine après les attentats et les médias vous délaissent. On ne vous rappelle pas. On vous ignore platement. Vous n’êtes plus rien. C’est violent de se dire que la seule personne qui veut encore vous écouter, c’est votre psy alors qu’il y a une semaine, vous étiez une rockstar.

J’irai encore un cran plus loin : que l’on vienne saboter notre travail thérapeutique à distance, c’est vraiment frustrant, mais l’on peut se dire que la plupart des médias n’en ont vraiment pas conscience. Par contre, lorsque l’on peut constater qu’une certaine presse vous empêche de travailler en qualité d’intervenant psycho-social, que vous êtes sur le terrain et qu’il faut absolument tout faire pour contenir une meute prête à tout pour obtenir un plan, un scoop, un cri ou une larme au détriment de vraies personnes qui souffrent, qui sont en état de choc et qui n’ont pas forcément la liberté de choisir. Là, pour l’avoir vécu, ça me répugne…

Bref, je m’interroge sur comment faire avec la presse en tant que psychologue, mais également en tant qu’être humain. Je refuse de faire partie des gens qui clament haut et fort que l’on nous ment, que les médias de masse réinventent les informations. Non, je pense que toute information ne peut être que traitée et renvoyée à l’autre avec le moins de déformation possible. Que l’on s’entende bien, par déformation, je ne parle pas forcément de ma silhouette en arrière plan sur une chaine d’information quelconque qui soulignerait avec un peu trop d’insistance mes courbes disgracieuses que le miroir de ma salle de bain a la courtoisie de gommer ; mais plutôt la déformation des propos, lorsque cette fichue neutralité bienveillante passe à la trappe et que l’image et le son pourraient heurter la sensibilité de beaucoup de monde. Bref, ceci est une perche vers tous les médias : et si on se permettait de prendre le temps de penser ensemble ? Peut-on être libre et éviter de donner une information qui pourrait choquer l’autre ?

En conclusion, cette semaine, j’arrive à faire avec mon dégoût. La créativité prend le pas sur les affects et je commence petit à petit à surmonter ma frustration. Si les médias n’en ont cure, je me dis qu’il faudra beaucoup d’énergie à tous les intervenants pour être suffisamment contenant ou réactif en attendant le vrai drame : le jour où notre présentateur vedette annoncera avec un accent bruxellois à peine dissimulé que Charles Aznavour n’est plus, distillant des angoisses de mort dans toutes les maisons de retraite de Belgique et de France…

T. Persons

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