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Le travail social en CPAS sacrifié sur l’autel du management ? La tentation de la déqualification

03/09/25
Le travail social en CPAS sacrifié sur l'autel du management ? La tentation de la déqualification

La ministre de l’Intégration sociale envisage de permettre à des professionnels qui n’auraient pas la formation d’assistant social de gérer des dossiers du public qui fréquente ces institutions, ceci, afin d’alléger la charge de travail que subissent aujourd’hui les travailleuses et les travailleurs dans ces institutions. Une fausse bonne idée, évidemment.

Il y a une certaine logique de la part des pouvoirs fédéraux et régionaux à vouloir trouver des solutions face à une surcharge de travail qui s’accentue dans les Centre Publics d’Action Sociale (CPAS) et qui va continuer à augmenter par l’arrivée massive prochaine des exclus du chômage. Il serait sans doute opportun de d’abord questionner cette politique particulière davantage excluante qu’émancipatrice et dont les bénéfices financiers publics essentiels vont se réaliser par le fait qu’une série de ces personnes exclues du chômage vont désormais passer sous les radars institutionnels, n’activant pas leurs droits aux aides des CPAS. À l’heure actuelle, l’autre bénéfice profite au fédéral qui reporte une partie importante des dépenses assurantielles qui lui reviennent vers les dépenses assistancielles des CPAS et donc des communes. Les compensations annoncées ne seront sans doute pas suffisantes.

Tel ne sera cependant pas l’objet de ce texte. La principale solution imaginée par Anneleen Van Bossuyt, la ministre de l’Intégration sociale pour absorber cette surcharge de travail dans les CPAS, serait d’ouvrir la possibilité à des personnes n’ayant pas les diplômes habituellement requis, à exercer dans les CPAS.

Les CPAS et leurs fédérations connaissent bien le problème de ce manque de moyens humains, mais sont loin d’être convaincus par la proposition de la ministre. Pour expliquer ce problème, la Fédération wallonne, suivie dans son analyse par la Fédération bruxelloise, pointe d’abord le manque de moyens financiers, puis le turn over important au sein du personnel et la difficulté de plus en plus importante à recruter. On pourrait croire que l’assouplissement des conditions de diplômes serait peut-être une solution. La Fédération wallonne a interrogé ses membres qui indiquent dans leurs réponses que s’il manque d’assistants sociaux parmi leur personnel, il manque aussi d’autres fonctions (des éducateurs, des psychologues, des juristes, des administratifs, …), preuve potentielle qu’ouvrir les possibilités d’exercer des fonctions sociales ne sera pas nécessairement la solution.

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Une déconnexion aux réalités du terrain et au sens du métier

À quoi sert une assistante sociale ou un assistant social en CPAS ? C’est une question que ne se posent pas ou se posent trop peu une série de responsables politiques et administratifs. En 2024, la ministre de l’Intégration sociale (la précédente) indiquait que l’assistant social est le lien privilégié entre le demandeur d’aide et l’institution, qu’il doit aider les personnes et les familles à surmonter leurs difficultés, que ses missions sont multiples et variées et sont au cœur de la loi Organique des CPAS du 8 juillet 1976. Elle rappelait les tâches qui devaient être accomplies exclusivement par un assistant social ou une assistante sociale et par exemple, l’entretien social, la récolte des informations nécessaires au diagnostic et l’évaluation de l’aide à apporter, l’analyse des conditions d’octroi, l’enquête à domicile et le rapport qui suit, le diagnostic et les propositions dans le rapport social,…

Ce sont des tâches qui nécessitent des compétences techniques, d’accord, mais également et fondamentalement des capacités d’écoute, d’empathie, une éthique et une déontologie
. Il n’est pas question d’estimer que celles et ceux qui n’ont pas le diplôme d’AS ne pourront avoir ses compétences. Par contre il est important de dire et de redire que ces compétences fondamentales s’acquièrent et se travaillent en permanence, dans la rencontre des publics, dans le dialogue constant avec les collègues, dans les remises en question personnelles, dans le regard critique sur les pratiques institutionnelles.

Il n’est pas certain qu’en haut lieu, le métier d’assistant.e social.e soit toujours considéré de cette même façon. En haut lieu, c’est dans les cabinets ministériels, dans les administrations fédérales et régionales, aux présidences et aux directions des institutions elles-mêmes ainsi que les pouvoirs communaux. Et il n’est pas question de généraliser. En ces lieux, les compétences et les compréhensions peuvent aussi exister.

Entre new public management et missions

Les situations financières des CPAS sont complexes. Les moyens disponibles sont notoirement insuffisants. Tant pour apporter les aides nécessaires aux publics que pour assurer l’encadrement professionnel adéquat et suffisant. Comme par ailleurs, le new public management fait particulièrement son œuvre, dans nombre de ces institutions, la question de la gestion des ressources devient le phare premier qui guide le travail des agents quels qu’ils soient.

Il n’est évidemment pas question de déconsidérer la nécessité de gérer sérieusement les moyens alloués. Il est cependant question d’interroger ces moyens au regard des missions qui reviennent aux CPAS et à l’ambition de ses missions. Il faut systématiquement rappeler que l’article 1 de la loi organique des CPAS indique que toute personne a droit à l’aide sociale qui a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. Les CPAS ont pour mission d’assurer cette aide. Il peut être subsidiairement évoqué également la constitution belge et par exemple son article 23 qui rappelle cette notion de dignité humaine et la traduit au travers d’un logement décent, d’un environnement sain, de l’épanouissement culturel et social, comme il peut être fait référence à la déclaration universelle des droits de l’homme et à son article 22 qui redit aussi les droits économiques, sociaux et culturels, une déclaration qui insiste, elle aussi, sur la dignité.

"Dans cette logique d’abord managériale et financière qui oublie les missions fondamentales, ce qui prédomine, c’est la gestion des coûts d’une personne ou d’une famille."

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Ces ambitions fondamentales d’aide et de dignité sont-elles l’ambition d’un CPAS où le new public management prend toute la place ? Pas sûr. L’ambition dans ce cadre devient bien que le CPAS soit géré de telle façon à ne pas dépenser plus que ce qui est à sa disposition, voire à faire des économies. Et s’il faut faire ses économies en considérant les demandes des publics comme un flux qu’il faut gérer sur base de ces critères d’abord financiers, c’est la direction qui sera prise. Tant pis pour les missions et tant pis pour les publics qui ne seront pas estimés en tenant compte de leurs réalités sociales précaires.

Dans cette logique d’abord managériale et financière qui oublie les missions fondamentales, l’éthique et la déontologie de l’assistant social, sa capacité d’analyse, de diagnostic ou propositionnelle ne sont plus véritablement essentielles, puisque ce qui prédomine, c’est la gestion des coûts d’une personne ou d’une famille. Comme l’objectif n’est plus d’apporter une aide, un soutien ou une guidance pour permettre à ces personnes en difficultés de sortir la tête de l’eau, la nécessité d’engager des AS formés et compétents pour se faire, n’est plus. Engager des personnes adéquates pour gérer les dossiers et les flux devient l’axe à suivre. Puisque ce qui constitue le fondement des CPAS doit être gommé, il vaut, dès lors, peut-être même mieux, ne plus engager ces professionnels et professionnelles qui, de par leur formation, ont le discernement éthique et déontologique particulièrement utile au respect des missions de base d’un CPAS. Ces AS qui sont capables de poser un regard critique sur le fonctionnement institutionnel. Qui sont capables, par des actions légitimes (légales ou clandestines) qui tiennent d’abord compte des missions, d’obliger d’une certaine façon, l’institution à agir au bénéfice du public.

Il faut être clair. Cette logique managériale dans les CPAS ne s’attaque pas à la précarité et à la pauvreté. Elle gère. Et cette gestion maintient les gens dans ce no man’s land entre la misère et la vie décente à défaut d’être vraiment digne. Ou, de plus en plus, malgré les aides insuffisantes apportées, elle les conserve, pire, les amène à cette misère dont il est si difficile de sortir. Cette logique managériale normalise la pauvreté, la stigmatise, l’encadre et l’enferme à la marge de la société. Ce n’est effectivement pas la mission pour laquelle sont formés les assistantes sociales et les assistants sociaux.

Rendre le travail en CPAS attractif

Ils existent encore ces CPAS qui croient en leurs missions premières et fondamentales. Ils existent aussi ces présidents et présidentes de CPAS, ces directrices et directeurs qui envisagent que leur travail c’est de sauvegarder ou de redonner la dignité au public qui franchit la porte de leurs services. Ils existent aussi ces dirigeantes et dirigeants qui se rendent compte qu’il faut gérer les finances d’une telle institution, mais que les valeurs qui la portent comptent aussi, que le public qui doit la fréquenter mérite l’attention, une attention véritable.

Les fédérations de CPAS savent que, pour que ces missions puissent rester au cœur de la réalité institutionnelle de ses membres, les assistant sociaux, leur déontologie, leur regard critique, leur capacité d’analyse davantage macro doivent y occuper une place centrale. Elles indiquent que pour que cela reste le cas, il faudra améliorer les conditions de travail et améliorer la situation financière des CPAS pour leur permettre de recruter des professionnels qui s’engageront sur du long terme. Les fédérations et quelques-uns de leurs membres savent aussi qu’il va falloir améliorer l’image des CPAS pour que les jeunes professionnels aient envie d’y travailler.

Si des conditions financières améliorées ainsi que des possibilités de formations continues sont, sans doute, parmi ce que ces organisations pourront offrir pour attirer ces assistants sociaux qui arrivent sur le marché, donner et redonner du sens au travail social en CPAS est une autre exigence, sans doute la plus fondamentale, sur laquelle il faudra travailler pour mobiliser les candidatures. Le travail en CPAS est un travail difficile. Le public précarisé n’est pas toujours facile à rencontrer ou à accompagner, et c’est parfois tellement légitime qu’il soit dans une telle colère. La diversité des problématiques auquel ce public se heurte demande tellement de compétences diverses à mobiliser, pour lesquelles il est nécessaire de se former en permanence.

Les exigences des réseaux institutionnels et associatifs dans lesquels s’inscrivent les CPAS et avec lesquels ils collaborent (autour du logement, de la santé, de la jeunesse, de l’emploi et de la formation, …) sont fortes et légitimes, et demandent aussi que les professionnels reçoivent des formations solides. Et puis, bien souvent, l’institution CPAS reste une grosse boîte, lourde, politisée, avec un conseil de l’action sociale parfois compétent et dynamique, parfois humble et attentif, … et parfois pas ou beaucoup moins. Et les AS doivent fonctionner dans cette grosse boîte à l’écoute ou pas, sûre de ses décisions ou ouverte aux débats.

"Mais pour qu’ils et elles acceptent d’aller au front, il faut donner du sens à leur travail"

Beaucoup d’assistants sociaux et d’assistantes sociales sont prêts à affronter de telles difficultés. D’abord parce que les CPAS n’ont pas l’apanage des difficultés. Ensuite, parce que la lutte contre la précarité et la pauvreté est un enjeu qui mobilise de nombreux AS. Mais pour qu’ils et elles acceptent d’aller au front, il faut donner du sens à leur travail. Leur permettre de porter les valeurs pour lesquelles ils et elles ont été formés et qui sont symboliquement inscrites au fronton des CPAS. Leur permettre de prendre le temps quand il est nécessaire. La réalité du travail social dans beaucoup de CPAS aujourd’hui, c’est le manque de temps. C’est l’impossibilité d’écouter le rythme de la personne en face. Alors que c’est un besoin essentiel dans le métier. Leur permettre aussi d’être créatifs, d’oser des pistes parfois surprenantes plutôt que de les encadrer dans des normes purement administratives qui font perdre le sens du métier… et qui apportent finalement tellement peu à l’institution elle-même.

Les AS sont aussi capables de participer à la vie de l’institution CPAS. À la complexité de sa vie. De comprendre qu’il y a des enjeux financiers qui complexifient encore le travail. Le comprendre, cela ne signifie pas qu’ils vont accepter sans broncher. Parce qu’il faudra se rappeler des exigences des missions. Mais la capacité des professionnels du social, ce n’est pas qu’instruire des situations individuelles. C’est aussi la capacité à analyser et à rendre compte de cette analyse dans la complexité des réalités plus globales. Un travail certainement très utile à l’institution elle-même, dont elle pourrait se servir.

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L’heure des choix

Le contenu des discours politiques actuels n’incite pas aujourd’hui à l’optimisme. L’heure est à la stigmatisation des populations précaires ou précarisées. Les hommes et les femmes politiques qui prennent le temps de comprendre la réalité des populations et parmi ces femmes et ses hommes politiques celles et ceux qui se retrouvent les mains dans le cambouis du travail des CPAS doivent faire leurs choix.

Le choix d’un management d’entreprise qui ne tient pas compte de ce que vivement réellement les populations qui fréquentent les CPAS, ou le choix des missions institutionnelles au service des populations avec l’ambition de sortir le maximum de gens des situations difficiles dans lesquelles ils se trouvent. Faire le choix du management n’oblige plus vraiment à mobiliser les AS qui ne seront que d’une faible utilité. Faire le choix des missions exige probablement l’engagement de ces professionnels et professionnelles dans un travail qui resterait plein de sens.

Ce n’est pas l’objet de ce texte non plus, mais il serait bon pour les managers de se questionner sur les conséquences sociétales, mais aussi économiques d’une partie de la société laissée ainsi, volontairement sur le bord du chemin. Quelles seraient les conséquences sur la santé publique, sur les violences dans les quartiers et donc sur la sécurité, sur le vivre ensemble et sur la cohésion sociale ? Des conséquences qui seront et sont palpables au quotidien. Qui sont aussi comptables économiquement.

Marc Chambeau (Cardijn-HELHa)
pour le Comité de Vigilance en Travail Social



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