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ASBL Dune : « C’est tout le secteur social qui est en train de se casser la figure »

28/11/23
ASBL Dune : « C'est tout le secteur social qui est en train de se casser la figure »

À Bruxelles, l’association Dune travaille auprès des usagers/ères de drogues en situation de précarité. En octobre, face à une demande trop importante et pour des raisons de sécurité, l’ASBL a dû fermer temporairement ses portes et réduire ses activités. Un épisode qui jette la lumière sur les difficultés rencontrées par tout un secteur asphyxié par la précarisation galopante de la population.

Depuis 25 ans, l’ASBL Dune propose des services d’aide et de soins aux usagers/ères de drogues en situation de précarité, à Saint-Gilles (Bruxelles). Et parmi eux, il y a le CLIP : un espace d’accueil ouvert de 19h à 22h30, proposant un travail social de proximité. Le seul service de ce type en soirée, à Bruxelles.

« Notre public est en situation de grande précarité et d’exclusion sociale, il est passé entre toutes les mailles du filet de la sécurité sociale. Nous sommes leur dernier recours », raconte Charlotte Bonbled, chargée de projet au sein de l’association.

Mais depuis quelques années, garantir les services est de plus en plus un jeu d’équilibriste pour l’association, alors que les besoins des bénéficiaires augmentent. Si bien que le soir du lundi 23 octobre, face à une demande trop élevée et des risques pour la sécurité du public et du personnel, l’ASBL Dune a été contrainte de fermer ses portes. Depuis, le service a rouvert mais les activités ont été restreintes.

« Ce n’est pas la première fois que nous avons été amené.e.s à fermer pour les mêmes raisons », signale Charlotte Bonbled. Et d’insister : le cas de l’ASBL Dune n’a malheureusement rien d’exceptionnel et n’est qu’un exemple des difficultés rencontrées par tout le secteur bas seuil.

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"Nous n’étions pas en mesure d’assurer la sécurité des collègues et celle du public qui attendait à la porte"

Le Guide Social : Que s’est-il passé le soir du lundi 23 octobre ?

Charlotte Bonbled : À Dune, nous avons une capacité d’accueil limitée due au bâtiment mais aussi parce qu’on propose un travail social de proximité assuré par quatre à six personnes, quand tout se passe bien.
Ce qui a précipité cette décision, c’est qu’une fois de plus lors de l’ouverture en soirée nous avons fait face à un public de plus en plus nombreux. Et quand il y a 100 personnes à la porte, comme c’est arrivé ce soir-là, c’est très compliqué d’exercer un travail de qualité. Voire notre travail tout court.

Ensuite, il faut se mettre à la place de ces gens qui n’ont pas d’hébergement : qu’est-ce que ça fait de se voir refuser l’entrée alors qu’on est à la porte, dans le noir, à 19h, sous la pluie, en demande de soins, d’aide, de matériel stérile de consommation ou d’un endroit à habiter pendant quelques heures pour être au chaud ? Ça génère des tensions évidemment. Il y a donc eu des menaces et des violences envers notre personnel.

Ce qui a guidé notre décision de fermer brutalement ce soir-là, c’est que nous n’étions pas en mesure non plus d’assurer la sécurité des collègues et celle du public qui attendait à la porte. On a été amené à appeler la police et c’est la dernière chose que nous aimons faire car nous travaillons avec un public hyper stigmatisé.

"De plus en plus, nous sommes confrontés à des pics de fréquentation en soirée"

Le Guide Social : : Pourquoi avoir décidé ensuite de rester fermer ?

Charlotte Bonbled : Nous avons pris la décision à contre cœur de fermer pendant une semaine. Pour les travailleur.euse.s sociaux/ales c’est difficile de dire aux personnes suivies quotidiennement qu’on ne pourra pas les aider demain et après-demain.

Mais c’était une semaine pour se recentrer sur nous et réfléchir à la suite car cet événement ponctuel ne l’est pas tellement. De plus en plus, nous sommes confronté.e.s à des pics de fréquentation en soirée. Nous avons donc réfléchi à des mesures à appliquer pour continuer à effectuer notre travail dans l’immédiat, faute de moyens pour changer la situation.

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"La situation que nous vivons est aussi celle de tout le tissu associatif à Bruxelles"

Le Guide Social : : Qu’est-ce qui a été décidé ?

Charlotte Bonbled : Nous avons restreint nos services à l’essentiel. C’est-à-dire que nous avons concentré notre travail sur notre mission fondamentale : la réduction des risques sociaux et sanitaires en matière de toxicomanie. Nous avons donc mis un terme temporaire à notre service douche afin de recentrer le personnel sur nos missions prioritaires qui sont d’apporter des soins, une aide sociale, du matériel stérile... Et on propose aux personnes d’aller dans d’autres associations qui proposent ce service en journée, comme DoucheFLUX.

Pour renforcer l’équipe dans nos locaux, nous avons également mis un terme au service de rue en soirée. Nous continuons seulement en journée.

Ensuite, nous avons instauré un système de jauge : on estime qu’on peut accueillir une trentaine de personnes en soirée. C’est déjà beaucoup car nous sommes quatre à six travailleur.euse.s et si on veut prendre le temps de rencontrer des personnes qui n’ont pas la parole facile, ça reste compliqué de faire un travail de fond. Il suffit qu’il y en ait une en décompensation, comme ça peut arriver, et il ne reste plus que trois ou cinq travailleur.euse.s disponibles.

Puis, nous avons fait une jauge d’occupation : nous laissons 45 minutes/une heure de temps pour profiter de notre espace. Et nous avons fait une espèce de tournante pour répondre quantitativement aux demandes.
Ces mesures sont toujours d’application et nous allons faire le bilan. Je peux déjà vous dire qu’on arrive davantage à absorber les demandes mais c’est loin d’être la panacée car le public ne va pas stagner.

"Comment absorber l’augmentation du public mais aussi la complexification des demandes ?

Le Guide Social : : C’est-à-dire ?

Charlotte Bonbled : La précarité augmente à Bruxelles, de crise en crise. L’hiver arrive. On reste inquiet d’autant plus que la situation que nous vivons n’est pas uniquement celle de Dune, mais de tout le tissu associatif à Bruxelles.

On se demande comment on va pouvoir continuer à absorber l’augmentation du public mais aussi la complexification des demandes. De plus en plus, les personnes qu’on accueille croisent toute une série de vulnérabilités. Notamment en termes de santé mentale mais aussi d’accès aux droits. On assume les conséquences de la non-gestion de la crise de l’accueil en Belgique et à Bruxelles.

Le Guide Social : : Votre personnel est-il impacté par cette situation ?

Charlotte Bonbled : Oui. Ça remonte au début des dernières crises (la pandémie, la crise économique...) dans lesquelles le secteur associatif bas seuil a laissé quelques plumes.

Aujourd’hui, travailler face à un public qui est toujours plus important est devenu très éprouvant. C’est difficile de rentrer chez soi le soir quand on n’a pas pu faire son travail, quand on n’a pas eu le temps de prendre le temps avec les personnes, quand on a l’impression d’être dans un tourbillon à distribuer du matériel, quand on n’a pas pu trouver un lit à des personnes en demande, etc. Et le lendemain c’est reparti.

On a une équipe fragilisée, on a de plus en plus de burn out à Dune mais aussi dans l’ensemble du secteur. On a de plus en plus de difficultés à recruter. Les équipes sont sur les genoux.

"On n’a pas de vaccin contre la précarité..."

Le Guide Social : Avez-vous reçu une réponse politique ?

Charlotte Bonbled : On a des échanges avec les pouvoirs publics, avec l’aide de notre commune et peut-être de la Région il est question de nous aider à trouver un espace plus adapté. Des discussions sont en cours.

Néanmoins, malgré nos alertes aux pouvoirs publics, il manque une prise de conscience de ce qui est en train de se passer. À Bruxelles, 38% de la population est à risque de pauvreté et ça ne fait qu’augmenter. Forcément une partie de ce public va aboutir à la précarité réelle et peut être se présenter à nous.

Nous, nous sommes la dernière des dernières lignes, il faut travailler bien en amont pour freiner cette paupérisation. On n’a pas de vaccin contre la précarité. En revanche, des expertises montrent qu’on peut travailler sur les causes de cette précarité galopante à Bruxelles. Il y a la question de l’accès aux droits, au logement, l’hébergement d’urgence, etc.

C’est l’ensemble du secteur qui est sur le point de se casser la figure. Je ne sais pas ce qui va se passer quand le secteur associatif sera contraint de fermer ses portes.

"À chaque élection, on nous soumet des plans de lutte contre la précarité."

Le Guide Social : Auriez-vous des revendications en vue des élections 2024 ?

Charlotte Bonbled : La première serait que cette prise de conscience passe par autre chose que des plans. À chaque élection, on nous soumet des plans de lutte contre la précarité : c’est très bien, mais il faudrait aussi peut être des mesures vraiment efficaces et structurelles.

Deuxièmement, à Dune, on bénéficie d’une série de subsides dont on est malheureusement souvent dépendant. Ces subsides aujourd’hui sont contractés via des appels à projets, ce qui fait que l’ensemble de nos projets ne sont pas assurés dans le temps. Cela génère à la fois du travail administratif supplémentaire pour nos équipes mais aussi une insécurité de l’emploi et c’est la fuite des expertises dans le secteur. Nous aimerions davantage que nos missions soient regroupées sous la forme d’un agrément.

Propos recueillis par Caroline Bordecq



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