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Maisons de repos : le calvaire des travailleurs et des résidents...

24/06/20
Maisons de repos: le calvaire des travailleurs et des résidents...

Après avoir vécu une période très anxiogène lors du pic de la pandémie, les maisons de repos de Belgique ne connaissent malheureusement pas encore la sérénité. Le déconfinement progressif du pays inquiète le secteur qui va devoir maintenir sa vigilance pour éviter une seconde vague. Aujourd’hui, les professionnels doivent faire face à l’impact émotionnel lié aux nombreux décès de résidents. De plus, ils craignent également des répercussions économiques et salariales.

Durant cette crise sanitaire, les maisons de repos du Royaume ont dû improviser. Encore et toujours. Ainsi, prises dans l’urgence, les décisions et les recommandations des autorités ont parfois été en totale inadéquation avec les réalités du terrain. Sans compter le manque de moyens et les restrictions budgétaires qui ont conduit à des situations burlesques et d’incompréhension mutuelle. « J’ai été l’un des premiers dans la maison de repos et de soins où je travaille à porter un masque. Au début, les médecins m’ont presque rigolé au nez, car je couvrais ma bouche et mon nez. Sauf que quelques jours plus tard… tout le personnel avait un masque y compris les deux médecins », se souvient un aide-soignant.

Faire face à l’inconnu

Toutes les mesures de sécurité apprises à l’école sont devenues quasiment obsolètes en période de pandémie alors même qu’elles sont plus que jamais nécessaires pour faire face à pareille situation. Voilà le constat pointé pour de nombreuses professions du secteur de la santé et des soins. « Dans les chambres des patients infectés, il y avait une blouse unique et jetable qui était accrochée à l’entrée. On devait mettre cette blouse à chaque fois en pénétrant dans la chambre. Cette blouse était donc portée par une dizaine de personnes bravant toutes les consignes de sécurité », dénonce Wojciech Kacprzyck, secrétaire permanent à la CNE.

Ces derniers mois, l’urgence de la situation couplée au manque de matériel ont conduit à une augmentation du travail, mais surtout à une hausse du stress pour le personnel comme pour les personnes âgées. « Pendant trois, quatre semaines, c’était la débrouille totale. Manque de protection. On n’avait aussi aucun test, et les travailleurs devaient gérer avec ce peu de certitudes les différents résidents », explique Wojciech Kacprzyck.

Les psychologues débordés

Les structures accueillant les aînés ont dû mettre en place une nouvelle organisation. Il a fallu repenser les tâches, les espaces et les temps de repos. Un exemple simple et extrêmement parlant est le fait que les repas étaient montés dans les chambres par les aides-soignants en plus des autres taches de soins qu’ils devaient effectuer dans la journée. Un autre exemple concerne l’état psychologique des résidents : avec l’inconnu de la crise, ces derniers ont été de plus en plus touchés par des névroses, de la dépression voire de la démence. Et le fait de devoir rester dans leur chambre n’a fait qu’empirer cette situation… Les psychologues des structures ont donc été très vite débordés.

« Les résidents étaient pas mal agités, anxieux, dépressifs. Les psychologues et autres professionnels de la santé ont eux aussi beaucoup de boulot. De plus, le week-end, ils n’étaient parfois pas là, rendant ces journées encore plus épuisantes pour les aides-soignants. Dans plusieurs maisons de repos et de soins se fut tellement la panique que l’armée est intervenue. L’une d’elles est la maison de repos privée Archambeau dans la commune de Jette. L’armée est venue aider les travailleurs car l’équipe était drastiquement en insuffisance. L’armée était scandalisée par le manque d’anticipation de la direction », déclare Wojciech Kacprzyck.

Concilier le travail et la sécurité

« On veut bien faire des efforts, mais pas au prix de notre sécurité et en prenant des risques à la fois pour nous mais aussi pour le patient », déclare un aide-soignant qui souhaite rester anonyme. Cette phrase a résonné très fortement dans les différentes institutions. L’inquiétude allant crescendo au fur et à mesure que les certitudes scientifiques et sanitaires s’effondraient et où les décisions se prenaient dans l’instant. Le manque de communication et, ou, la peur de communiquer, ont rendu la période encore plus anxiogène. Cela a eu pour effet de créer un effet de trouble au sein des équipes, donnant l’impression que la direction ne souhaitait par informer et donner des renseignements cruciaux pour la sécurité des travailleurs. « La communication dans l’établissement où j’exerce ma profession a été catastrophique. En effet, on a eu des collègues malades durant la période, et la direction ne nous a jamais annoncé de quoi ils étaient malades. C’est une fois qu’ils sont revenus que nos collègues nous ont informés qu’ils avaient eu la Covid. En période de crise, dans une équipe, il faut dire ce genre de chose », s’indigne un aide-soignant.

Le déconfinement annonce lui aussi une nouvelle ère dans la conciliation du travail avec la sécurité. Les rendez-vous avec les familles se font de nouveau pendant 15 à 30 minutes. Cela demande une organisation en plus ainsi qu’un accueil extérieur des familles. La surveillance ne doit pas se relâcher en même temps que le déconfinement, et cela est aussi valable pour les collègues qui peuvent se relâcher sur un plan sanitaire.

« Les maisons de repos ne sont pas des lieux médicalisés, donc il y a eu beaucoup de désolément à la fois de la part des bénéficiaires et des travailleurs. Pour l’après confinement, on essaye maintenant de se débrouiller comme on peut. On n’a pas de test et on doit ouvrir les maisons, je trouve cela dangereux. Il y a eu un arrêté ministériel pour légiférer sur les visites à un moment donné, maintenant on est ouvert. Il faut donc juste garantir le bon encadrement. Mais si les tests sont réalisés et que les mesures nécessaires sont prises, on peut tout à fait ouvrir dans les bonnes conditions. Mais les directions sont réticentes, car il n’y a pas assez de personnel pour y faire face », pointe Wojciech Kacprzyck.

Les maisons de repos ont payé un lourd tribut

Les syndicats du secteur espèrent que les professionnels des maisons de repos et de soins, comme l’ensemble du secteur de la santé d’ailleurs, ne seront pas oubliés. Le secteur des maisons de repos a payé un lourd tribut comme le rappelle Wojciech Kacprzyck. « La moitié des décès est dans le secteur des maisons de repos, il est de 45% pour les hôpitaux et de 5% pour le reste. En Wallonie et à Bruxelles on compte 2200 décès dans ces structures. »

Un dernier point inquiète les travailleurs ainsi que les syndicats : la peur d’un chômage temporaire ou de licenciements à la suite de la crise se fait de plus en plus sentir. En cause ? Les chiffres de la mortalité élevée. « Suite aux décès des résidents, nous observons une sous-occupation qui tôt ou tard pourra engendrer du chômage temporaire voire des licenciements. Un exemple ? Dans la maison où l’armée est intervenue, cinq personnes ont perdu leur emploi », poursuit le syndicaliste.

Du coup les professionnels du secteur tentent de se faire entendre et souhaitent mettre sous pression les directions ainsi que le gouvernement. Les maisons de repos et de soins subissent une concurrence au niveau des infirmiers avec les hôpitaux au niveau du salaire. La demande du secteur est d’aligner le barème salarial à la hausse entre les deux structures pour éviter la fuite. « A Bruxelles, il y a 61% des maisons de repos de type commercial, 17% du secteur asbl et 22% du secteur public. Alors qu’en Wallonie on est sur du 50-50 entre privé et public », conclut Wojciech Kacprzyck. « Il y a des groupes, des fonds de pension, qui détiennent bon nombre des maisons de soin et de repos en Belgique. Certaines ont un capital qui est supérieur à celui du budget de la ville de Bruxelles. Le groupe Armonea a été racheté par le groupe français Colisé qui est lui-même détenu par un fonds de pension scandinave qui souhaite diversifier son portefeuille d’affaire. On touche là un sujet sensible et crucial alors même que le secteur est en crise profonde. »

B.T.

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Commentaires - 1 message
  • Bonsoir, durant cette crise du covid, les équipes mobiles [en psychiatrie] ont étés missionnees pour soutenir les maison de repos de l'arrondissement. En plus d'accompagner des personnes fragiles à leur domicile, cette équipe coach les intervenants de première ligne face à la problématique psychiatrique. Durant la crise cette mission supplémentaire spécifique a pu permettre à plusieurs maisons de repos de bénéficier d une écoute et d un soutien sur leur lieu de travail. De plus la crise étant [passée], des équipes spécifiques sont entrain d etre mise en place pour soutenir les équipes et les résidents des maison de repos de la province.

    ludovicdahlem mercredi 24 juin 2020 17:45

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