Gestion des mineurs délinquants : l'impact des stéréotypes de genre

Filles et garçons reçoivent-ils un traitement différent face à la justice ? Arthur Vuattoux, sociologue français, s’interroge sur le rapport entre le genre et la justice des mineurs.
Ce n’est pas une surprise, les garçons représentent la majorité des mineurs déférés au tribunal. En Fédération Wallonie-Bruxelles, sur six institutions publiques de protection de la jeunesse, seule une est destinée aux filles. En 2010, sur 2.565 faits qualifiés d’infractions, 435 ont été réalisés par des filles. Ces dernières agissent-elles différemment des garçons face à la légalité ou la réponse se trouve autre part ? C’est ce qu’essaye de déterminer Arthur Vuattoux, sociologue à l’Université Paris 13.
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La justice : un lieu de production des normes sociales ?
D’un point de vue académique, il existe trois réponses possibles à la question de la différence filles-garçons face à la délinquance. La première relèverait de la nature des filles et garçons, qui induirait différentes formes de protestation : les adolescentes de manière intime et légale, les adolescents plus ouvertement, dans l’espace public. Une question d’hormones, depuis longtemps réfutée par les sociologues modernes. Une autre réponse à cette différence de comportement est sociale. « Ainsi, les filles seraient davantage habituées, par leurs parents ou par l’école, à respecter les règles sociales et seraient globalement écartées de l’espace public et des conduites à risques », explique Arthur Vuattoux. Les garçons, étant plus libre, tomberaient plus facilement dans la délinquance.
La troisième, sous-estimée par beaucoup selon le sociologue, est à chercher du côté de l’institution judiciaire. Selon lui, cette dernière serait « un lieu de production de normes sociales, y compris celles qui construisent les identités des filles et des garçons ». L’idée selon laquelle « les filles et les garçons ne dévient pas de la même façon des normes sociales seraient en partie produites par les institutions du contrôle social ».
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Des « scripts de genre » dans les tribunaux
Afin de bien comprendre l’influence des institutions du contrôle social sur la manière dont agissent les filles et garçons délinquants, Arthur Vuattoux a réalisé une ethnographie de deux tribunaux pour enfants français.
L’analyse des dossiers judiciaires démontre une différence de perception par les policiers et éducateurs. « D’un côté, les adolescentes sont perçues comme des individus à protéger, quitte à mettre au second plan les éventuelles infractions commises, et les adolescents comme des délinquants, potentiellement délinquants en puissance », explique le sociologue. Un constat qui est à rapprocher au concept du « double standard sexuel », présent dans la sociologie de la sexualité. Il traduit la mise en œuvre de normes différenciées de socialisation par le cercle familial. Dans les institutions du contrôle social, il est traduit par « l’usage différentiel de la sanction et de la protection ».
En pratique, les institutions auraient recours à des « scripts de genre », espèce de sous-texte convenu et institutionnalisé qui oriente leurs actions. Par exemple, « le fait de concevoir la délinquance des filles comme un problème psychique ou comme ayant une origine familiale et le fait de voir les garçons comme des délinquants en puissance, répondent à des scripts de genre largement partagés ».
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Des acteurs guidés par des stéréotypes ?
Faut-il en conclure que tous les travailleurs du secteur (éducateurs, magistrats, policiers) sont guidés par des « stéréotypes » de genre ?
Selon Arthur Vuattoux, la question est plus complexe que ça ! La réponse est à chercher du côté des institutions englobant ces travailleurs. La production du genre dans l’institution judiciaire relèverait du mécanisme de la « pensée institutionnelle ». Les acteurs ne feraient qu’agir sous la pensée de l’institution, « qu’ils relayent dans leurs activités les plus quotidiennes, de manière plus ou moins assumée ». Ce qui fait du système de genre « un ensemble de pratiques, de discours, d’activités institutionnalisées », conclut le sociologue.
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