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Stage dans les soins de santé : des témoignages alarmants !

01/10/19
Stage dans les soins de santé: des témoignages alarmants !

Les étudiants du secteur des soins de santé sont nombreux à avoir effectuer leur stage dans la douleur. Dans la troisième partie de cette enquête, le Guide Social a récolté les témoignages accablants de stagiaires ainsi que de professionnels. Ces récits permettent de mettre des images sur les conditions de stage en milieu hospitalier.

[Dossier]
 Etudiants infirmiers : quand le stage se transforme en vrai calvaire…
 Pourquoi le stage pousse des futurs infirmiers à stopper leurs études

La violence au sein des équipes hospitalières

 Laurent Coeurnelle, interne en médecine :

« Cette thématique m’évoque beaucoup de choses… Une communication difficile avec les co-internes, des embrouilles, prises de tête, des "coups bas" selon certains… J’ai vu quelques beaux gestes solidaires, mais j’ai surtout aussi vu l’application directe d’une mentalité qui me révolte et qui se base sur le "marche ou crève" ou sur des règles qui, en plus d’être parfois peu légitimes à mes yeux, sont censées guider le comportement sans le dicter (des règles décidées par les chefs de service ou de clinique, par les hôpitaux ou par la faculté ) ».

 Clarisse Cauderon, étudiante sage-femme en quatrième année :

« Je n’ai jamais vécu de violence physique sur moi-même, mais j’en ai vu sur des patientes où je ne pouvais pas intervenir. Les violences mentales en revanche sont plutôt régulières que ce soit par les sages-femmes ou les médecins. Des mots déplacés devant la patiente, l’équipe. Des reproches qui n’ont pas lieu d’être, nous faire faire des choses qu’on ne devrait pas faire, nous laisser faire des choses difficiles physiquement seul. »

 Infirmière en clinique :

« Chacun semble souffrir, subir de son côté, compter les jours jusqu’au changement de stage, enchaîner les gardes sans supervision... Mais qu’est-ce qu’on fait concrètement contre cette situation ? Réunissez-vous et parler d’une voix pour faire bouger les choses. »

 Médecin urgentiste :

« Je ne suis pas assistant. Ce n’était pas "mieux avant" mais différents peut-être. Comme tous, je me suis plaint de la quantité de travail. Mais nous sommes des artisans et plus on fait, mieux on sait. Nuits sans sommeil ? Oui, parfois. Horaires et urgences à rallonges ? Oui certainement. Mais à la première nuit blanche, personne le lendemain n’en avait cure, patients, équipe, infirmiers faisaient le pied de grue. Personne n’aurait toléré que je récupère. Depuis ce jour, je loue cette formation, dure, éprouvante pour le physique et le moral, sinon pour soi et pour les siens, mais elle fut toujours juste et humaine, nous fournissant les moyens et les armes pour appréhender sereinement notre carrière professionnelle. Les assistants ne comprennent pas assez le confort (moral) que c’est que d’avoir un senior en back up en permanence jusqu’à ce que tu deviennes ce senior, mais si tu lui disais "je sais, je sais...", tu te rends compte à ce moment, qu’en fait, tu ne sais rien. En conclusion, l’assistanat est formatif et éprouvant, indispensable et bien peu éprouvant en regard de la "vrai vie" qui nous attend à la suite. Mais ça, les assistants qui s’en plaignent ne le savent pas encore. »

Le sentiment d’abandon présent et pesant

 Laurent Coeurnelle, interne en médecine :

« Je ne me souviens pas avoir déjà pensé à arrêter mon stage. Mais je l’ai souvent entendu chez d’autres et, pour certaines de ces personnes, je pense que, même s’il avait fallu en refaire un autre, ça n’aurait pas été un bénéfice, tant la pression subie semblait lourde. J’ai déjà entendu, entre autres dans les instances facultaires, mentionner l’abandon par plusieurs étudiants, et ce, en dernière année. Ça n’est donc à ma connaissance certainement pas un fantasme, mais un événement récurrent, qui touche un réel pourcentage de nos cohortes, chaque année. Même après 6 ans de travail acharné. »

 Clarisse Cauderon, étudiante sage-femme en quatrième année :

« J’ai vu des étudiants se cacher derrière des règles, parfois transmises uniquement par voie orale par des médecins qui ne sont même pas nos responsables officiels, et laisser ainsi d’autres collègues dans une situation scandaleuse qu’ils n’avaient rien fait pour "mériter". Plusieurs personnes m’ont déjà raconté avoir fondu en larmes après une discussion un peu houleuse avec des collègues, qui faisait suite à des conflits… lesquels naissent parfois justement de ces règles, variables encore une fois d’un endroit à un autre, auquel nous sommes soumis, souvent sans base écrite claire. Ce qui, d’ailleurs, mène à des problèmes d’interprétation… et elles exigent parfois des choses dont je ne suis même pas sûr qu’elles soient toujours parfaitement légales. Accessoirement, quand j’en ai un jour parlé à un chef de clinique, celui-ci m’a dit être surpris de ce que je lui racontais… Or, la plupart des choses dont je parle ici sont une expérience personnelle, mais que j’ai très souvent entendue partiellement répétée chez de nombreux collègues. »

 Infirmière en clinique :

« L’abandon ? Une réalité bien sûr. Je connais plus d’une personne qui a arrêté ses études à cause d’un ou plusieurs stages qui se sont mal passés. J’ai pensé plusieurs fois à arrêter mes études après des mauvaises expériences en stage avec l’équipe et, ou, avec des professeurs qui viennent nous voir en stage. J’ai réussi à me rappeler pourquoi je voulais faire ce métier pour m’accrocher, mais ce n’est pas toujours facile et il a été nécessaire de demander de l’aide à des professionnels extérieurs comme des psychologues pour moi ou pour des collègues. »

 Infirmière à l’hôpital :

« Si c’est différent aujourd’hui ? Oui ! Les stages se font sous forme de garde de 12h et maximum trois d’affilées. Les profs viennent voir les élèves deux fois par stage : une fois pour travailler avec elles et la deuxième fois pour les évaluer. C’est nettement mieux ! Cependant, le comportement des élèves a beaucoup changé en matière de respect et de motivation pour le travail. Il parait que c’est comme ça maintenant et que nous devons les prendre comme elles sont, mais cela pose beaucoup de questions quant à leur futur comportement dans une équipe hospitalière... »

Le stage : une nécessité ou un calvaire ?

 Anna, ancienne élève infirmière :

« Quasiment tous les stagiaires ont fait une petite dépression à un moment donné, certains ont changé d’étude aussi. »

 Infirmier à l’hôpital et maître de stage :

« Chaque assistant s’est intégré progressivement et à son rythme dans la pratique de la MG style médecin de famille chacun avec sa personnalité et un investissement différent entre adultes. Lorsque des difficultés apparaissent, nous en discutions. L’encadrement est variable, certains aiment faire un débriefing régulier et fréquent d’autres non et cela devient vite épuisant pour le maître de stage. L’un me faisait un compte-rendu détaillé de tout, un autre, il fallait lui tirer les vers du nez pour chaque cas ; un autre se plaint de trop d’administratif et puis enfin un(e) assistant(e) qui lorsque j’abordais les activités de la journée ou de la semaine me parlait quasi en premier lieu de l’horaire ; exigeait de commencer à 10 heures, veillant scrupuleusement à récupérer le plus vite possible les heures prestées. »

 Infirmière :

« Mes stages étaient très durs à vivre à deux niveaux. Les professeurs étaient des terreurs ! On craignait vraiment de les voir arriver. Ils étaient tout le temps dans le reproche et jamais dans la pédagogie. Ils étaient là pour nous casser, mais pas pour nous apprendre quelque chose sur le terrain. Ensuite, mes stages de sage-femme se faisaient sous forme de garde : je commençais le lundi matin, je dormais à l’hôpital jusqu’au vendredi et j’étais rappelable à n’importe quelle heure de la nuit, tout en sachant que je devais commencer ma journée dans le service à 8h. »

 Infirmière clinique :

« Je suis à deux semaines de finir ma spécialisation en chirurgie. Je regrette que malgré les horaires très lourds je n’ai pas assez appris. Les assistants assurent les gardes pour que l’hôpital tourne, font les paperasses, les tours, assistent, mais quand est ce qu’ils apprennent à devenir autonome ? Ce n’est que dans ma dernière année que j’ai eu un chef pour qui c’était une priorité que je sois autonome en sortant de ma formation. J’ai eu des consultations, des patients à ma charge, des décisions à prendre et j’ai appris à opérer. Pendant mes autres années, j’ai l’impression d’avoir surtout servi, fait les corvées et appris à assister les chefs, sans apprendre à devenir eux. Mais je ne veux pas être eux. J’espère que mes futurs stagiaires sortiront avec plus d’autonomie, de capacité technique et de jugement, et surtout avec plus de confiance en eux qu’en arrivant dans mon stage. Tout chirurgien ou autre médecin "formateur" à l’obligation de former son assistant puisqu’il profite bien de sa main d’œuvre bon marché. »

 Médecin urgentiste :

« J’ai eu pas mal d’étudiants en médecine en stage cette année. Je déplore qu’après cinq, six, sept d’études, de multiples blocus, d’examens, de stress et de stages personne ne semble leur avoir appris à se poser les bonnes questions, à remettre en question et à comprendre ce qui se passe. On en demande tellement pendant les études, il faut connaître chaque spécialité à l’examen comme si on allait devenir ce spécialiste à la fin qu’on finit par ne pas retenir les bases de ces différentes matières qui serviront à chaque spécialiste plus tard. On remplit tellement de dossiers d’entrants qu’on oublie de se demander : tiens, les patients ont les mêmes symptômes, mais ne vont pas avoir la même intervention : pourquoi. Les étudiants sont tellement stressés par leurs examens, la côte de stage, qui jouent dans leur ranking pour une place en spécialisation qu’ils n’osent pas poser des questions en stage. J’oblige mes étudiants à poser des questions et à remettre en question mes décisions pour comprendre par quel chemin je suis arrivée à cette conclusion. Recentrons la formation en médecine sur les connaissances que chaque médecin, quel que soit sa spécialité future, connaisse les bases. Et surtout former un médecin ce n’est pas qu’évaluer sa capacité à retenir un maximum de détails inutiles, mais plutôt lui apprendre à réfléchir et arriver à des conclusions logiques ».

Propos recueillis par B.T.



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