Travailleurs sociaux, héros négligés
On dit souvent que les situations de crise révèlent le pire comme le meilleur, qu’elles font ressortir les véritables personnalités de tout un chacun, ou en tout cas les traits les plus saillants. Il me semble que c’est également vrai pour les organisations, ou du moins, la somme des individus qui les composent, à tous les niveaux hiérarchiques existants. Par exemple, j’ai pu constater, tant à mon niveau qu’au travers des récits de collègues, que certaines de nos directions ont un tant soi peu déserté... Heureusement, ce ne fut pas le cas de toutes, et encore moins celui de nombreux travailleurs qui ont été des héros négligés.
Flou persistant
Je pense notamment à la difficulté qu’ont eu certaines organisations à prendre des décisions et à les assumer. Faut-il continuer à travailler ou non ? Comment adapter les méthodes de travail, rassurer les travailleurs ? Lors de mes échanges avec différents professionnels, issus de divers milieux du secteur social, j’ai pu constater ce flou, cette sorte de flottement. Evidemment, cette situation inédite et l’ampleur de la crise et des mesures qui ont suivi, ainsi que leur rapidité y sont certainement pour beaucoup. Ceci dit, pour nombre de mes interlocuteurs, ce flou s’est installé dans le temps. Et ils se sont organisés avec, ou plutôt malgré lui.
Équipes abandonnées
Pour d’autres organisations, on peut carrément parler de désertion totale. Aucune prise de décision, rien qui viendra encadrer un tant soi peu le fonctionnement de l’équipe durant cette période de crise sanitaire. Alors l’équipe improvise comme elle peut et heureusement que nous, travailleurs sociaux, sommes en général débrouillards et volontaires.
Il y a aussi la délégation à outrance. C’est une pratique assez courante dans notre secteur, mais qui passe difficilement en des temps comme ceci. Ceci dit, ne pas prendre de décision ou déléguer exagérément durant une telle période revient clairement à abandonner ses équipes, et on peut dire que le moment est assez mal choisi.
Travailleurs ballottés, débrouille totale
Au milieu de tout ça, ballottés comme souvent, il y a nous, les travailleurs de terrain. Qui avons fait comme nous avons pu, comme notre conscience nous a dicté de faire. Comme cette personne, à mi-temps en maison de repos et à mi-temps en centre de jour, qui a refusé de participer aux réunions en présentiel imposées dans son centre de jour, de peur de contaminer ses collègues, n’ayant pas de certitudes quant à son état de santé. Ou encore cet éducateur qui s’est équipé lui-même pour continuer à assurer ses visites à domicile.
Ces animateurs en institution psychiatrique qui ont fait comme ils ont pu, en devant continuer à gérer des activités de groupes, sans forcément avoir de possibilités de mettre en place les mesures sanitaires, et sans équipements de protection. Ce responsable d’infrastructure qui a du équiper l’ensemble de son équipe en une semaine, sans budget et dans un contexte de pénurie mondiale.
Bravo à nous
Les exemples sont légion. Ces exemples qui illustrent notre conscience professionnelle, notre volonté de pousser, malgré les abandons, les restrictions, les embûches. Alors, peut-être qu’on ne nous le dit pas assez, mais bravo à nous. Bravo pour notre ténacité, notre débrouillardise, notre envie de continuer à effectuer un travail de qualité, malgré tout. Bravo à nous, qui avons bouché les trous, qui avons assuré, malgré la peur, pour certains. Bravo à la solidarité qui s’est créée ou renforcée, bravo à nous, que l’on n’a pas toujours aidés, car nous sommes toujours debout, peut-être fatigués, mais souvent avec le sourire. Et l’envie de continuer à faire ce que notre conscience nous dicte.
MF - travailleuse sociale
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