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Aide à la jeunesse : "Nous sommes les parents pauvres de la crise"

26/03/20
Aide à la jeunesse:

Le 19 mars 2020, Frédéric Daerden, ministre du Budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles, annonçait un fond d’urgence de 50 millions d’euros pour les secteurs de la culture, du sport et de la jeunesse. A l’heure actuelle, les services de l’aide à la jeunesse, malgré le dialogue avec leur ministre Valérie Glatigny, n’ont toujours pas eu d’aide matérielle et financière. Pire, la CGSP ainsi que l’Inter-Fédérations de l’Aide à la Jeunesse viennent séparément d’envoyer un communiqué réclamant les protections basiques pour les travailleurs. Le secteur se sent plus que jamais le grand délaissé de cette crise.

« On pense beaucoup aux services de santé, aux services de police, au secteur social, cependant l’aide à la jeunesse est isolée. On a l’impression d’être les oubliés, les parents pauvres des mesures d’exception. Et pourtant, chaque jour, nos travailleurs sont au contact avec les autres, au contact avec les enfants, les familles. Ils font au mieux pour éviter toute contamination, ils se débrouillent pour respecter la sécurité sanitaire malgré l’oubli des pouvoirs publics à leur égard », déclare Denis Xhrouet, président de l’Inter-Fédérations de l’Aide à la Jeunesse.

Autant que faire se peut

Malgré les zones d’incertitude au niveau de l’organisation et de l’aide tant financière que matérielle espérée, le secteur de l’aide à l’enfance ne souhaite pas dérober à sa mission et à ses engagements. Sa ligne de mire : maintenir l’accueil et la prise en charge dans les foyers, mais également garder un lien avec les jeunes qui sont retournés chez eux ou qui sont hors des centres d’hébergement.

« Tous les services de l’aide à la jeunesse sont en train de se réorganiser et d’imaginer de nouveaux dispositifs d’action. L’ensemble des services résidentiels et d’accompagnement continue d’apporter leur aide. On est obligé, depuis la mise en place des mesures, de fournir un plan de suivi de service à la direction où on explique la façon de travailler et l’organisation », précise Denis Xhrouet.

Les éducateurs en première ligne eux aussi

L’aide à la jeunesse assure un service d’aide sociale reposant sur le contact. Le secteur a la responsabilité de centaines de travailleurs, de centaines de jeunes et de familles, et pourtant, il semble devoir se débrouiller seul, du moins durant ces premières semaines. Les éducateurs qui sont à la fois au contact des familles, mais aussi dans des foyers, sont donc en première ligne. Malgré les annonces du gouvernement et la légitimité du secteur de l’aide à la jeunesse d’être reconnu au même niveau que les autres secteurs bénéficiant de l’aide de l’Etat, l’aide à la jeunesse espère encore et toujours recevoir ne serait-ce que des masques pour les travailleurs. En attendant, le secteur s’est donc organisé. En premier lieu, les éducateurs ont modifié leur organisation professionnelle et privée.

« On avait déjà anticipé les choses avant les mesures du gouvernement. On avait adapté les horaires pour éviter de faire trop de relais. Par la suite, on a instauré avec la fédération une réserve de travailleurs. Pour donner un exemple, j’ai relayé des collègues qui ont travaillé une semaine complète en doublure. Après, il faut aussi adapter notre vie privée, c’est délicat, mais on ne peut pas faire autrement. On fait au mieux », informe Etienne Francq, éducateur dans un foyer.

Dans cette situation exceptionnelle, il faut, en plus de l’aspect organisationnel, trouver le moyen d’occuper les jeunes qui sont restés en foyer. En effet, les structures essayent de restreindre le plus possible le nombre d’éducateurs et de jeunes par foyer, pour éviter au maximum le risque de contamination. Certains jeunes sont renvoyés dans leur famille lorsque cela est possible. « On est deux éducateurs pour 9 jeunes, le maximum est vraiment 11 mais au-delà c’est impossible. On essaye de les occuper tout en leur faisant comprendre qu’ils ne sont pas en vacances, qu’ils ont des obligations scolaires, des devoirs. Bien sûr, après on essaye de les distraire pour que les journées passent le plus vite possible. On a la chance d’avoir un grand espace dehors, du coup on jardine. Pour les jeunes rentrés chez eux, on a le doux espoir que les choses s’arrangent avec leur famille. Que cette situation de crise renforce des liens perdus. Les parents vont aussi être confrontés à leurs responsabilités », déclare l’éducateur.

Outre la réactivité immédiate du secteur, celui-ci se prépare aux prochaines semaines, sachant que les difficultés vont s’accroître. « Nous savons aussi que cette situation d’exception va durer plusieurs semaines. Nous savons également que les jeunes qui sont dans leur famille vont demander à revenir en foyer, car les choses iront mal. Lorsque ce sera le cas, nous réouvriront les pavillons nécessaires et nous ferons appel à la réserve de travailleurs », conclut Etienne Francq.

En attente de l’Etat

« La Région wallonne a annoncé des mesures afin d’assurer la sécurité des travailleurs de l’aide sociale dans la région. A l’heure où je vous parle le secteur de l’aide à la jeunesse n’est toujours pas concerné », déclare un peu désabusé le président de l’Inter-Fédérations de l’Aide à la Jeunesse. Le secteur souhaite assurer la sécurité des familles, des jeunes, mais également la sécurité des travailleurs qui font preuve d’une grande solidarité. « On est dans un état d’esprit de solidarité où tout le monde a de l’énergie et veut aider. C’est un peu tout feu tout flamme, il y a beaucoup de craintes sur les semaines à venir, car il va falloir maintenir cette énergie et cette envie », insiste Denis Xhrouet.

Et pourtant, une rencontre a eu lieu mardi dernier entre les fédérations patronales du secteur et la ministre en charge de l’Aide à la jeunesse, la MR Valérie Glatigny. Lors de cette réunion, il a été question de faire un premier point sur les difficultés pressenties, et sur la manière dont le secteur devra évoluer dans les semaines à venir. « On a évoqué la crainte de manquer de travailleurs. Cette pénurie n’est pas due à des cas d’infections ou des arrêts volontaires d’activité, mais bon nombre de nos éducateurs ont reçu la consigne de prendre des précautions de la part de leur médecin. On a eu les chiffres ce matin et on estime ce nombre à 20% dans les services résidentiels. Il y a donc une urgence sanitaire qu’il faut prendre en compte, tout en maintenant notre devoir d’aide sociale au même titre que les autres professions du secteur de la santé et du social », précise Denis Xhrouet qui était présent à la réunion de mardi.

Le gouvernement fédéral a reconnu le secteur comme un service de première nécessité, mais depuis ce moment il y a eu peu d’aides.

Le président de l’Inter-Fédérations de l’Aide à la Jeunesse, Denis Xhrouet, a tenu à finir cet échange par un mot en direction de ses collègues, des éducateurs et de tous les travailleurs de l’aide à la jeunesse : « Les fédérations patronales du secteur de l’aide à l’enfance tiennent réellement et sincèrement à remercier les travailleurs du secteur qui fournissent un travail crucial dans ce moment de crise. »

B.T.

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