Chronique d’un psy : "Je ferai le virement…"
La crise sanitaire de ces derniers mois a fait grandir un nouvel outil pour les psychologues cliniciens : la vidéo-consultation. T. Persons se confie sur une des difficultés majeures qu’il rencontre, à savoir être rétribué.
Si on m’avait annoncé, il y a 3 ans, qu’en 2020, je ferais des consultations en ligne, que cela ferait partie de mon quotidien et que j’en serais plutôt satisfait, je vous l’avoue, je ne l’aurais pas cru. Et pourtant… Elle est bien là, installée dans nos pratiques au rythme des quarantaines auto-proclamées, comme un outil qui permet de maintenir le lien, de ne pas mettre entre parenthèses le travail thérapeutique et qui - cerise sur le gâteau – autorise le psychologue à travailler en pantalon de jogging.
Est-ce une révolution ? Je n’en sais trop rien. Ce qui est certain, c’est que toute évolution des pratiques entraîne de nouveaux défis et des enjeux inconnus mais surtout, elle met en exergue nos difficultés du passé. Par exemple, personnellement, j’ai toujours eu du mal avec le paiement à la fin de la consultation. Non pas que j’ai le sentiment que ce que j’ai fait n’a aucune valeur, mais quand il s’agit de dire stop, maintenant, il faut payer, j’ai souvent un petit pincement au cœur. Une sensation d’imposture, une gêne. Allez savoir pourquoi…
L’avantage avec les consultations en face à face, c’est qu’a priori, le patient vous paie directement. Certes, Il peut y avoir des oublis, d’autres qui s’étonnent que l’on n’ait pas le change sur leur billet de 200 euros ou qui s’attendent à ce qu’on leur sorte un terminal Bancontact alors que la seule alternative qu’on est capable de leur offrir, c’est de leur présenter le paiement mobile via leur téléphone. Pour moi, ça a toujours été compliqué, mais avec le poids des années, c’est devenu gérable.
Pour ces gens-là, on fait quoi ?
Or, maintenant, il y a ces consultations en ligne, où il n’y a pas d’alternative solide autre que de demander à votre patient de vous faire un virement. Et ça, c’est plus problématique. Généralement, je prends un air détaché, comme si c’était une formalité. Je donne mes coordonnées et je lui fais confiance pour qu’il ne me mette pas dans l’embarras, tout en gobant son mielleux : « Oui, bien sûr, je vais faire le virement, là tout de suite. » Vous le savez, pertinemment, il ne le fera pas. Ce n’est pas qu’il ne veut pas payer, c’est juste qu’il le fera plus tard, parce que là, il est occupé. Puis, il oubliera. Potentiellement, après quelques jours, il s’en souviendra et honorera sa dette. Mais, évidemment, il y a les irréductibles…
Qu’on se le dise, rappeler à un patient qu’il n’a pas payé sa séance, pour moi, c’est aussi agréable qu’une lecture d’un texte de Shakespeare, mais en allemand et déclamé par le sosie vocal de Kate Bush. Alors, lâchement, j’utilise la technologie : j’envoie un sms. Souvent on me répond qu’on est confus et je reçois mes honoraires dans les deux jours. Sauf exception… En effet, il y ceux qui ont pigé qu’il y a un truc qui ne tourne pas rond entre la thune et leur psy. Ceux qu’on rêverait de voir quitter notre consultation, mais qui ne se barrent pas.
Pour ces gens-là, on fait quoi ? On fait un sitting devant leur porte ? On menace ? On décapite leur cheval de course pour l’introduire dans leurs draps de soie ? On insiste, tout en sachant qu’ils vous diront avec un grand sourire : « Oui, je ferai le virement » ? Ils ne le feront pas ! Fichus patients !
Bref, les vidéo-consultations, c’est un outil incontournable et ça permet aux psy indépendants de survivre en cas de nouvelle flambée du COVID. Ah ! L’argument financier… Décidément, on n’en sort jamais ! En parler en supervision ? Oui, bien sûr, c’est à l’ordre du jour, voyons !
Et sinon, vous, vous bossez aussi en jogging ?
T. Persons
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