Chronique d'un psy : "Je ferme mon cabinet pour le bien de la collectivité"
Il est de retour, d’une manière éphémère sous forme de chronique et il a un conseil à vous donner : si vous le pouvez, restez chez vous.
Aujourd’hui, je fais partie des métiers de la relation d’aide et je n’ai pas les mots.
Dans nos professions, il y a beaucoup de place pour l’autre. Quand, il y a quatre ans, quelques rustres hurluberlus et autres fanatiques mal embouchés ont décidé de semer la mort et la haine sur Zaventem et Maelbeek, je me suis dit : il faut y aller. L’action, c’est un levier puissant, surtout quand on a l’envie de bien faire. À ce moment-là, c’était plus que nécessaire.
Ces derniers jours, ce sentiment est revenu en force. Il y a d’abord eu l’effroi : c’est grave. Nos homologues chinois, puis italiens ont lancé l’alerte. On a entendu, on a compris le message, mais on a continué… Être utile, ne pas surcharger les hôpitaux. Avoir une pensée pour tous nos confrères qui n’ont pas le choix. Aider, c’est dans notre ADN. Puis, on a laissé passer un week-end et en quelques heures, tout a basculé. Les récits glaçants, la peur d’être soi-même atteint, la prise de conscience qu’on a beau être maniaque, on ne sait fichtrement pas nettoyer une salle d’attente. On continue, on essaye : avec ou sans le masque ? Ah ! Ce sera sans le masque, parce qu’il n’y en a plus. Tout comme les gants, le gel hydro-alcoolique et tout ce qui pourrait nous être utile. Alors on s’entête, ce sera du savon, une salle aérée, deux mètres de distance et un paquet de mouchoirs dans chaque narine.
Puis, vers midi, on se regarde dans la glace… On est un peu pâle, on a la gorge qui gratte, mais surtout : on est complètement passé à côté de ses entretiens… Cela n’a plus aucun sens. Aider, c’est bien, mais si continuer à aider, cela signifie propager un virus, alors, c’est qu’on est complètement à côté de la plaque…Bref, comme la plupart d’entre vous, j’en suis arrivé à cette conclusion : il faut arrêter de voir les gens en cabinet.
C’est un déchirement, mais avec le recul, on sait qu’on va s’en remettre
Qu’à cela ne tienne, il nous reste le téléphone et la vidéo-conférence. On passe l’après-midi à piger comment ça fonctionne, on commence à appeler les patients pour leur expliquer la situation. Certains comprennent, d’autres non. La colère monte. On observe des tas des badauds dans la rue. Quand vont-ils comprendre ? On se met à broyer du noir. Autant, il y a quatre ans, on pouvait intellectualiser le comportement des terroristes, mais aujourd’hui, les bourreaux, ils sont beaucoup trop nombreux, et ils n’ont pas de motivation, ils sont juste mal cortiqués…
Bref, la journée passe et, on se retrouve à éteindre les lumières. On regarde ses clés, on se dit qu’on ne nettoie jamais son trousseau, puis on prend conscience qu’on s’apprête à fermer à double tour la porte de son gagne-pain, mais aussi de ce qui donne du sens à sa vie. Certes, il y aura des aides et le revenu des vidéo-conférence mais, malgré tout, on a l’impression qu’un piano vous tombe sur la tête. Alors seulement, on se met à pleurer.
C’est un déchirement, mais avec le recul, on sait qu’on va s’en remettre. Puis, on croise des gens attroupés, et à nouveau la colère revient. Sur le chemin du retour à la maison, on a envie de crier : restez chez vous ! On se met à imaginer de la psycho-éducation… Faire, agir, aider… Décidément, on ne se refait pas…
En conclusion, je suis psychologue clinicien, je suis indépendant et cette semaine, j’ai décidé de fermer mon cabinet pour le bien de la collectivité. D’autres me traiteront de lâche ou me diront que la vidéo-conférence, c’est pas la même chose. Je suis en accord avec eux : traitez-moi de couard ! Mais sachez-le, je suis intimement persuadé que fuir face à la tempête et s’adapter pour que le plus grand nombre ne soit pas impacté, même cela n’a rien d’héroïque, cela sauve des vies.
L’auteur derrière T. Persons
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