Educatrice spécialisée en internat : bienveillance, humour et estime personnelle

Amina est éducatrice spécialisée en internat depuis le début de sa carrière, soit une petite dizaine d’années. Au sein de ce lieu de vie accueillant des enfants handicapés de types 1, 2 et 3, les projets du quotidien et l’humour ont une place centrale. En effet, nombre de ces jeunes sont malmenés par la vie et ont des difficultés à trouver leur place, notamment en milieu scolaire, mais pas uniquement.
[Dossier] :
Le Guide Social : Quel est le public accueilli dans votre internat ?
Amina : De base, nous accueillons des enfants handicapés de types 1 et 2, donc présentant une déficience intellectuelle légère à modérée. Avec eux, nous travaillons tous les gestes du quotidien, mais aussi sa structuration, notamment dans le but de développer leur autonomie. Ceci dit, nous accueillons de plus en plus d’enfants handicapés de type 3, donc présentant des troubles du comportement et / ou de la personnalité, principalement des troubles de l’attachement, de la bipolarité, etc. La physionomie de nos groupes change considérablement et, avec elle, les projets que nous développons. L’histoire de vie de ces enfants n’est plus la même, leur milieu familial d’origine non plus. Nous accueillons parfois des enfants qui ont un vécu terrible, avec des conséquences dramatiques sur leur personnalité.
Le Guide Social : Quelle est cette évolution dont vous parlez, au niveau de votre public ?
Amina : Parmi les enfants que nous accueillons, certains sont rejetés par l’école : ils ont des troubles du comportement, sont parfois violents, difficiles à « tenir » par les profs qui n’en veulent plus. Ces enfants, qui ne sont pas nécessairement déficients intellectuellement, sont alors dirigés vers l’enseignement spécialisé et arrivent bien souvent chez nous, d’autant plus que leur milieu familial est généralement très problématique. Nous en avons d’autres qui ont une histoire de vie terrible. Nombre d’entre eux ont été abandonnés, pour certains dans des circonstances horribles, comme ce jeune abandonné bébé dans une poubelle. D’autres subissent de lourdes maltraitances intrafamiliales, sont placés de familles d’accueil en foyers. Ils arrivent chez nous complètement cabossés, comme par exemple cet enfant de bientôt 4 ans, qui a le même niveau de développement qu’un bébé de 9 mois, faute de stimulation dans son environnement familial.
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« L’humour ? C’est réellement un bel outil pédagogique »
Le Guide Social : De quelle manière cela influe-t-il sur votre fonctionnement ?
Amina : Notre manière de travailler, d’encadrer le groupe, doit évoluer et s’adapter à cette nouvelle population, qui est de plus en plus présente et a des besoins particuliers. Il faut savoir que parmi nos pensionnaires, certains présentent des troubles autistiques, ou un retard mental sévère, et ont des besoins très spécifiques en termes de cadre, d’environnement. C’est un public qui peut facilement être entraîné par les crises d’autres enfants, très fréquentes et violentes lorsqu’il s’agit d’enfants ayant des troubles de l’attachement, par exemple. Notamment, nous avons une jeune fille, qui a été diagnostiquée bipolaire et dont le traitement a été modifié dans le cadre d’une hospitalisation, qui a eu une très grosse crise lors de son retour à l’internat. Cette crise a entraîné un effet boule de neige sur tous les enfants du groupe en quelques minutes à peine. Certains ont commencé à se taper la tête contre les murs, d’autres se sont roulés en boule, etc. Nous sommes de plus en plus amenés à gérer ce genre de choses que par le passé.
Le Guide Social : Vous employez beaucoup l’humour pour évoquer les situations de vie difficiles de vos pensionnaires.
Amina : Tous les enfants qui arrivent chez nous en ayant été rejetés à l’école, ou en ayant vécu des difficultés familiales terribles et j’en passe ont des énormes problèmes d’estime d’eux-mêmes, en plus de tout le reste. Ils sont généralement, et heureusement, suivis par beaucoup d’intervenants : psychologues, ergothérapeutes, logopèdes, etc. Bien souvent, eux-mêmes parlent le langage de tous ces professionnels. Ils sont saturés de ce jargon et connaissent bien la musique. Ils disent ce qu’on attend d’eux …
A l’internat, on essaye de ne pas en rajouter un couche et de leur offrir le pendant nécessaire à cet accompagnement : la légèreté. Pour ma part, je manie beaucoup l’humour. Ça fait redescendre la pression et ça les met en confiance. Je n’hésite pas à le faire en toute circonstance, c’est réellement un bel outil pédagogique. Par exemple, nous avons beaucoup de jeunes filles qui se scarifient. À un point tel que ça en devient presqu’un passage obligé, une sorte de « code » entre elles : elles arborent fièrement leurs marques, ce genre de chose. J’ai choisi d’en rire avec elles pour les faire réfléchir sur leur geste. Je leur parle encore bien de leurs « beaux dessins » pour leur faire comprendre que, certes, elles sont mal dans leur peau, leur vie est difficile, mais en se marquant de la sorte, elles se signalent publiquement jusqu’à la fin de leurs jours. Est-ce réellement ce dont elles ont envie pour elles-mêmes ? Plutôt que d’amorcer une discussion très sérieuse à ce sujet d’entrée de jeu et de rentrer dans une répétition de la séance de psy, je choisis la porte d’entrée de l’humour.
« On repère leur potentiel, l’étincelle qu’on va essayer de cultiver »
Le Guide Social : Vous mettez également en place des projets du quotidien centrés sur la valorisation de l’estime personnelle des enfants.
Amina : Tous nos projets vont dans ce sens. Par exemple, nous avons mis en place le projet Restaurant qui a pour but de travailler à l’intégration des codes sociaux, de la dynamique de groupe, mais aussi de la valorisation de l’estime personnelle. Chaque éducateur va au resto avec son groupe, mais pas n’importe comment. On choisit le resto ensemble, on se sape, on se fait beau, pas comme à l’internat où, parfois, on mange en pyjama. Non, ici, on se sape, on se coiffe, on se maquille si on veut, bref, on s’apprête. Chaque enfant choisit ce qu’il veut manger, sans restriction diététique ou autre. Chaque enfant commande pour lui-même, ce n’est pas l’éducateur qui commande pour le groupe. Et on applique les règles de savoir-vivre ! C’est un jour de fête, on prend des photos, on fait les choses sérieusement. La plupart des enfants sont fiers, certains sont émerveillés par exemple de manger avec de la vraie vaisselle, au contraire des gobelets en plastique qu’ils utilisent chez eux !
Le Guide Social : Vous cultivez la bienveillance envers ces enfants…
Amina : Ici, on les valorise. On repère leur potentiel, l’étincelle qu’on va essayer de développer, de cultiver. Et ça fonctionne. La bienveillance est réellement la première étape, la base de la base du travail avec eux. D’ailleurs, on a certains enfants pour qui ça se passe très mal à l’école et très bien à l’internat. Ils se révèlent pleins d’humanité, adéquats, là où, à l’école, leur comportement peut être violent, agressif, déplacé. Nous essayons d’instaurer un climat serein, apaisé, de leur redonner leur place d’enfant, d’être dans le non-jugement, ou en tout cas de ne pas le laisser transparaître car, il faut bien avouer qu’on juge tous, on est des êtres humains. On dédramatise beaucoup aussi, et on manie l’humour. Tout ça fonctionne.
Je pense à cette petite de 7 ans, qui a des troubles du comportements et qui vient d’une famille de 6 enfants. Dans sa famille, il y a des gros problèmes, notamment au niveau de l’hygiène, du rangement, etc. Lorsqu’elle revient pour la semaine à l’internat et qu’elle sort ses habits de sa valise, ils puent. Littéralement. Elle les sort, les plie en belles piles pour les ranger proprement, chose que, je suis certaine, elle n’a jamais vue faire chez elle. L’autre jour, elle m’a demandé de lui faire des tresses. Elle veut être belle, propre, marcher la tête haute, elle veut exister en-dehors de ce qu’elle a toujours connu et ça, c’est magique.
Propos recueillis par MF - travailleuse social
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