Un site de l'Agence pour le Non-Marchand
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

Réforme des pensions : quel impact pour les travailleuses du secteur du soin ?

09/09/25
Réforme des pensions : quel impact pour les travailleuses du secteur du soin ?

L’annonce de l’accord d’été a fait grand bruit. La réforme des retraites entrainera des conséquences pour toutes et tous. Mais quelle réalité pour le secteur du soin, majoritairement porté par des femmes ? Quelles perspectives pour ces métiers dont la pénibilité n’est pas reconnue ? Comment tenir jusque 67 ans et plus lorsque le corps lâche ? Quant au poids de la charge domestique, va-t-il se transformer en malus ? Décryptage.

Fabienne est puéricultrice. Marie*, médecin dans un hôpital. Natacha, aide familiale. Françoise, ancienne infirmière de nuit. Toutes aiment ou ont aimé leur travail et y trouvent du sens, mais aucune ne peut imaginer qu’il puisse être exercé jusqu’à 67 ans. Face au principe de malus en cas de départ anticipé, les dents grincent.

Lire aussi : Réforme 2025 des pensions en Belgique : où en sommes-nous ?

Héroïnes pendant le covid, grandes perdantes aujourd’hui ?

Kevin Hartmann est chercheur à l’Institut de Droit Social de la KU Leuven, où il étudie les défis posés par le système de pension. Pour lui, la réforme proposée est une accélération de ce qui est en cours depuis plusieurs années, soit un glissement du mécanisme de solidarité existant vers une acceptation du principe de responsabilisation individuelle.

Ce changement majeur soulève évidemment de grandes questions vu les inégalités des conditions de travail et de la société en général. On peut aisément comprendre que travailler jusqu’à 67 ans et plus quand on est prof d’université n’entraine pas les mêmes conséquences que pour une infirmière en maison de repos par exemple ! « L’âge en bonne santé des gens en Europe est en moyenne de 63 ans. Dès lors, avec cette réforme, on sort de la vision de la retraite comme temps libre pour aller vers une retraite où les personnes seront juste trop malades pour travailler. C’est surtout vrai concernant le travail pénible, comme de nombreux métiers du travail du soin. Sans reconnaissance, les personnes qui vont prendre leur retraite avant 67 ans risquent d’être pénalisées par un malus… »

Gaëlle Demez, permanente Soutien à l’organisation collective au sein de la CSC et spécialiste des questions de genre, ne se montre guère plus optimiste : « La réforme des pensions, c’est une catastrophe pour les femmes en général, pour les femmes dans le secteur du soin en particulier, car il y a beaucoup de temps partiel et une pénibilité non reconnue de ces métiers-là, notamment au niveau de la charge physique et psychosociale, et au niveau des horaires. On a clamé durant le covid qu’elles étaient des héroïnes et aujourd’hui on s’en fout… C’est d’une violence inouïe. »

La crainte du malus

Ce qui suscite notamment de nombreuses craintes, c’est la question des malus en cas de départ anticipé.

Avant de plonger dans les témoignages, un petit résumé technique s’impose. Dans le cadre du régime dérogatoire de pension anticipée, si les personnes veulent prendre leur pension à 60 ans à partir de 2027 en échappant au malus, il faudra compter au moins 42 années de carrière, comportant chacune au moins 234 jours de travail effectif. Dans ce cas, seul le chômage temporaire sera assimilé à du travail effectif. Les autres périodes comme les soins aux enfants ou les maladies ne seront pas assimilées. Le malus pension s’appliquera aussi en cas de pension anticipée qui ne remplit pas les deux conditions suivantes : une carrière de 35 années comportant chacune au moins 156 jours de travail effectif et 7020 jours de travail effectif au total. Si dans ce cas, les congés de soin, le chômage temporaire et le service militaire sont assimilés à des jours de travail, ce n’est pas le cas de la maladie.

« 156 jours de travail effectif par an, cela correspond tout pile à un mi-temps. Puisque les jours de maladie ne sont pas pris en compte, cela signifie qu’il suffit d’être malade 1 jour dans l’année pour tomber sous le seuil des 156 jours. Cette année ne comptera tout simplement plus. Et puisqu’il faut 35 années de 156 jours de travail effectif et 7.020 jours de travail pour échapper au malus, une femme qui a travaillé 35 ans à mi-temps n’échappera donc pas au malus, puisque 156 x 35 = 5.460 ! Les femmes du secteur du soin risquent d’être nombreuses à ne pas remplir les conditions d’exonération du malus, puisqu’elles sont plus touchées par le travail à temps partiel et la maladie », s’indigne Gaëlle Demez.

Lire aussi : Pourquoi cette tendance dans de nombreux pays européens à reculer l’âge de la retraite ?

Des corps usés

Fabienne a 58 ans. Elle travaille comme puéricultrice depuis 38 ans. Plus que jamais, elle s’inquiète pour son avenir. En effet, si elle aime son métier, elle pointe le poids de la charge mentale et physique que représente le soin aux bébés : « Vers 36 ans déjà, j’ai eu une hernie cervicale. Depuis quelques années, j’ai de gros problèmes au niveau de l’épaule et de la main. C’est dû au portage des enfants et aux gestes répétitifs. J’ai subi plusieurs arrêts maladie. C’est honteux de penser qu’on peut travailler jusqu’à 67 ans : supporter les pleurs, se mettre à quatre pattes, avoir mal partout, c’est vraiment nous tuer au travail ! »

Françoise, 70 ans, était infirmière. Elle a dû arrêter sa carrière à 50 ans pour des raisons de santé. Elle se dit scandalisée des nouvelles mesures. « J’ai travaillé comme infirmière de nuit. J’ai eu plusieurs prothèses de genoux. Et j’ai souffert de plusieurs hernies dues aux gestes répétitifs. Demander aux infirmières de travailler jusqu’à 67 ans, je trouve que cela relève du danger. La vue baisse, certaines ont la tremblote, pour piquer c’est compliqué… Et puis porter les patient·es c’est impensable : beaucoup ont le dos foutu. Et encore, si on changeait sa fonction vers un poste administratif, pourquoi pas, mais aujourd’hui les hôpitaux manquent de personnel et les adaptations se font rares. Les conditions deviennent inhumaines. »

« Pour éviter le malus, les travailleuses qui ne sont plus en âge de travailler seront obligées d’être reconnues en invalidité. Le coût va être déplacé vers une autre branche de la Sécurité sociale dans ce cas-ci : l’incapacité de travail », commente Kevin Hartmann.

Des pensions dignes !

Pour Marie*, médecin engagée dans les mouvements La santé en lutte et le collect.ie.f 8 maars, l’une des priorités est de reconnaitre la pénibilité des métiers du soin. « La pénibilité entraine des maladies, et le fait d’être malades va pénaliser les femmes pour leur pension et ça, c’est terriblement injuste. Nous demandons des pensions dignes ! » La médecin souligne aussi le fait que les mesures risquent de précariser encore plus la population, ce qui influe évidemment sur les conditions de travail des soignantes de première ligne. « Nous devons soigner des personnes qui présentent des situations de plus en plus complexes. »

Natacha, aide familiale à domicile, abonde dans ce sens. « Nous sommes obligées de courir parce que les gens n’ont plus les moyens de payer nos services avec leur propre pension qui diminue. Les personnes demandent qu’on reste le minimum de temps, mais les besoins sont plus importants, car les gens vont de plus en plus mal. La moitié de mes collègues est en temps partiel médical : nous souffrons toutes de douleurs. Je n’ai que 50 ans, mais cette réforme me fait peur. J’ai du mal à me projeter à travailler comme ça encore pendant 10 ans. Alors, jusque 67 ans, c’est impossible ! »

Lire aussi : Enquête - Et si les hôpitaux "magnétiques" étaient la clé face à la pénurie infirmière ?

Le soin aux proches

Sans oublier qu’en plus de leur travail de soin au quotidien, de nombreuses travailleuses du care portent également la majeure partie du travail domestique [1]. C’est le cas notamment de Fabienne, la puéricultrice : « J’ai travaillé un temps plein, puis j’ai pris un congé parental mi-temps pour m’occuper de ma fille, car j’étais maman solo. Puis je suis revenue à temps plein avant de passer à ¾ temps pour m’occuper de ma maman. » Si selon la réforme, pour le calcul de la pension, les congés de soin (par exemple les congés parentaux) sont comptés comme travail assimilé, comme nous l’avons vu, ces congés ne sont pas assimilés pour une retraite anticipée à 60 ans sans malus. Aussi, les femmes risquent d’être affectées à travers le deuxième pilier, la pension complémentaire. « La question des congés parentaux n’est pas encore claire concernant le deuxième pilier. Sans mécanisme de compensation, il y aura de grandes inégalités », note Kevin Hartmann.

Marie, médecin, souligne les injonctions contradictoires de la réforme qui pousse aux carrières complètes : « Si on a des enfants, on décide soi-disant volontairement, mais souvent il n’y a pas d’autres choix de travailler à temps partiel ! Résultat, on risque d’être pénalisées ! » Gaëlle Demez, permanente syndicale, plussoie : « Le gouvernement encourage les carrières complètes à temps plein, mais pour permettre cela il faut des services publics qui fonctionnent pour permettre aux femmes de s’investir à fond : des crèches gratuites, des gardes d’enfants ou de parents malades. »

Et quid du futur ? Ce que les travailleuses du soin craignent, c’est que face à ces perspectives peu réjouissantes, les jeunes ne veuillent plus s’investir dans leurs secteurs. La pénurie de personnel risque de s’accroitre. Et sans la première ligne, ce serait toute la société qui craquerait ! Les syndicats, quant à eux, prévoient une « méga manifestation » le 14 octobre.

Jehanne Bergé

Savoir plus :

[1] Dans les couples hétérosexuels avec enfant(s), seulement 46% des hommes disent s’occuper des tâches ménagères quotidiennement contre 76% des femmes. Aussi, en Belgique, une famille sur quatre est monoparentale et 40% des parents séparés ont la garde exclusive de leurs enfants. Ce sont en grande majorité des mères (82%) qui se trouvent à la tête de ces familles.




Ajouter un commentaire à l'article





« Retour