Séduire, recruter, fidéliser : les nouveaux défis des employeurs du secteur infirmier

Ce mercredi 5 février se tenait le traditionnel Forum des étudiant·es infirmier·es, événement organisé par l’acn - Association belge des praticiens de l’art infirmier. Un rendez-vous important à la fois pour les jeunes en fin d’études, mais aussi – ou même, surtout – pour les professionnel·les et les institutions recrutantes, venues nombreuses pour présenter aux futures recrues leurs opportunités de carrière. C’est dans le cadre bouillonnant et dynamique de ce forum à Charleroi que nous avons été à la rencontre de ces recruteur·euses pour en savoir plus sur leurs attentes, et les défis du secteur.
Métier en pénurie(s), vraiment ? La question, soulevée par Jacinthe Dancot, présidente de l’acn, mérite en effet d’être posée. Car dans un secteur où la pénurie reste sur toutes les lèvres des recruteurs et où c’est désormais à l’employeur de se vendre et non plus au candidat, il convient selon Jacinthe Dancot de recentrer le débat. "Si vous regardez le nombre d’infirmiers diplômés, il n’y a pas de pénurie. Le problème, c’est qu’une fois en poste les infirmiers ne restent pas. Pour moi, il y a donc pénurie de conditions de travail décentes, et le vrai défi majeur du secteur est de permettre aux infirmiers de trouver du sens dans ce qu’ils font, pour que cela leur donne in fine envie de rester. Au travers de ce forum, ce que nous cherchons à faire c’est mettre en avant les nombreuses opportunités qui existent, tant dans les milieux hospitaliers qu’en dehors."
Dans les allées du forum, on rencontre en effet des groupements d’hôpitaux, mais aussi des sociétés de gestion intérimaires, des représentants de maisons de repos, et même la Défense. Ainsi que les écoles et universités elles-mêmes venues faire l’étalage de leurs masters et formations de spécialisation à destination d’un public attentif.
Pour les recruteurs, la pénurie reste néanmoins un réel problème, tant du côté des grands groupes hospitaliers que des structures comme le Samusocial ou l’Aide & Soins à Domicile, présentes lors de l’événement. Pour Bilal Ely, Talent Acquisition Specialist au CHU Brugmann, il y a un réel ras-le-bol, notamment face aux messages politiques : "Ils ne se sentent pas reconnus à leur juste valeur, et la surcharge de travail reste réelle. De là naît une fatigue, et c’est ça la réelle difficulté aujourd’hui. De notre côté, nous avons mis en place une culture d’entreprise attentive et inclusive, afin de fidéliser nos recrues."
Un constat rejoint par l’équipe du Samusocial, représentée au forum par Raphaël Delhalle, (chargé de l’accompagnement médical - urgences sociales), Claude Galle (Coordinateur infirmier en centre médicalisé) et Marie Van Der Hasselt (Référente recrutement et développement) : "Chez nous, la pénurie se fait ressentir comme chez tout le monde, mais à cela s’ajoute la concurrence. Il faut le dire, nous n’avons pas les mêmes budgets et les mêmes moyens que les grosses structures ou les grands groupes, et nous souffrons parfois d’un manque de visibilité auprès des étudiants infirmiers. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes présent·es ici, pour aller à la rencontre des étudiant·es et leur présenter le Samusocial. Chez nous, l’aspect humain joue un rôle important."
Une concurrence accrue, à l’avantage des étudiant·es
Au forum, hormis les traditionnels stylos, tote bags et autres goodies offerts, les institutions présentes déroulent chacune leur liste d’avantages, rivalisant pour attirer les jeunes des grandes villes ou d’ailleurs. "Il y a tellement de concurrence", nous confie l’équipe d’Aides & Soins à Domicile (ASD) présente sur place, "que pour des petites structures comme nous, rivaliser financièrement avec des grands hôpitaux régionaux qui reconnaissent par exemple une année d’ancienneté pour les étudiant·es ayant suivi un cursus de quatre ans est tout simplement impossible. A ce jeu-là, on n’est malheureusement pas tous égaux, et les soins à domicile étant déjà très mal financés, on arrive pas à être concurrentiel sur ce point malgré les avantages que nous proposons tout de même. Alors, on mise sur des équipes à taille humaine, sur l’aspect relationnel de notre travail qui est un vrai plus, et sur d’autres avantages comme la voiture de société, l’assurance-groupe, les chèques-repas. Autant d’éléments qui peuvent faire pencher la balance. Mais nous constatons vraiment qu’aujourd’hui, ce sont les étudiant·es qui choisissent, et qui revendiquent plus de choses."
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Un constat rejoint par les représentants du groupe de maisons de repos Armonea. "C’est une période pleine d’incertitudes, et nous le voyons dans les yeux des étudiant·es", expliquent Nathalie Gilles, directrice de maison de repos et Vincent Lemaire, responsable de soins. "Notre présence ici, c’est aussi une volonté de montrer les alternatives qui existent au milieu hospitalier. Les maisons de repos ont parfois mauvaise réputation auprès des jeunes, mais tant au niveau des stagiaires – qui sont les professionnel·les de demain – que des jeunes diplômé·es, nous sommes là pour expliquer, démystifier et mettre en avant le volet humain de nos institutions. Au-delà des packages salariaux que nous proposons."
Et du côté des hôpitaux ?
Du côté des groupes hospitaliers, réputés plus attractifs d’un point de vue salarial, le message n’est cependant pas différent.
Paula Da Silva Coelho De Oliveira, infirmière ICANE (infirmière chargée de l’accueil des nouveaux engagés) au CHU Brugmann, précise : "Dans tous nos recrutements, la personne reste au centre. Et dans cet environnement concurrentiel, nous sommes attentives au bien-être des infirmier·es de tous nos départements. La mobilité interne, la facilité de l’accès aux formations, la possibilité d’horaires adaptés… nous prenons en considération toutes les demandes pour pouvoir garantir au mieux le bien-être de nos collaborateur·ices. Il y a un réel engagement de la part de l’hôpital, pour répondre aux demandes et rassurer les jeunes diplômé·es." Et Bilal Ely d’ajouter : "Être présent ici, c’est aussi leur montrer une opportunité de travailler à Bruxelles. Nous avons rencontré ici de nombreuses personnes ayant fait un stage chez nous, mais c’est aussi l’occasion de montrer aux non-Bruxellois que nous pouvons les accompagner dans un engagement chez nous."
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Mais si certain·es peuvent reculer devant le déplacement vers la capitale, la concurrence se fait aussi sentir pour des structures wallonnes hors des grandes villes, à l’instar du groupement hospitalier Vivalia, établi en province du Luxembourg. Pour Marie-Alix Brabants, membre de la cellule recrutement, et Jessica Clette, infirmière ICANE, pénurie et concurrence sont deux paramètres indissociables de leur quotidien. "Au niveau recrutement, nous avons la chance d’être aidés par la province du Luxembourg qui renouvelle sa prime à l’engagement [7000€ en 2024, 5000€ en 2025 NDLR], et nous avons également de nombreuses candidatures venant d’ancien·nes stagiaires. Pour pérenniser ces recrutements, nous avons mis en place des journées d’accueil générales mais aussi une seconde journée spécifiquement pour les infirmiers, des processus de formations, et de nombreux autres avantages. Nous sommes bien conscientes que les jeunes n’ont plus l’intention de s’engager dans de longues carrières aujourd’hui."
Pérenniser pour moins recruter
Toutes les équipes interrogées se rejoignent sur ce constat : les longues carrières n’intéressent plus. "Je crois qu’on ne reste plus infirmier aussi longtemps qu’avant", évoque Raphaël Delhalle. "Le ras-le-bol général du manque de reconnaissance, surtout après une période post-covid où on a un peu sacralisé les soignant·es, et le fait que ce métier reste lourd tant physiquement que mentalement, tout cela a un impact sur la durée des carrières. Au Samusocial, nous en sommes conscients, et nous restons attentifs. Notre différence, c’est la diversité des publics avec lesquels on travaille, et cela est un atout pour pérenniser la collaboration avec celles et ceux qui nous rejoignent."
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C’est dans cette même dynamique que s’inscrivent l’ensemble des institutions. "Il y a quinze ans", précise Virginie Mathot de l’ASD Namur, "on rentrait dans une société et on y restait pour sa carrière. Aujourd’hui, les jeunes veulent voir autre chose, ils ont besoin de changement et c’est bien. Il y a tellement de domaines dans le monde infirmier, je peux comprendre cette envie de mouvement. Mais d’un point de vue du recrutement, j’ai parfois l’impression d’être en réengagement permanent."
Pour pérenniser ces recrutements, l’ASD a développé un système de tutorat et d’accompagnement par un pair. Dans les milieux hospitaliers, c’est aux équipes ICANE que revient cette tâche de rétention, cruciale tant chez Vivalia qu’au CHU Brugmann.
"Ces pairs qui accompagnent leurs collègues dans leurs premiers mois, ce ne sont pas que des infirmiers, ce sont aussi des repères", explique Marie Paquet, infirmière en chef à l’ASD Liège. "Et au fil de leur apprentissage et de l’évolution de leur carrière, ces jeunes peuvent également devenir référents dans les différents secteurs de soins. Et ça, c’est valorisant, car ils se construisent une identité professionnelle autre que leur boulot, en devenant eux-mêmes des conseillers pour leurs collègues. Je pense que c’est là, au travers de ces valorisations et de cette motivation partagée, qu’on construit l’avenir."
Rendez-vous annuel, le Forum des étudiant·es infirmier·es s’est clôturé avec le sourire des recruteurs et recruteuses, heureux·ses d’avoir pu aller à la rencontre de ces jeunes et potentielles futur·es collègues.
Kévin Giraud
>>> Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site de l’Association belge des praticiens de l’art infirmier.
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