Travailleurs du sexe : le combat d’Utsopi et Entre 2 Wallonie
Le 14 septembre 2021, Utsopi, Entre 2 Wallonie et Espace P ont organisé un rassemblement à Charleroi notamment en hommage à une travailleuse du sexe victime d’un féminicide, le 3 septembre dernier. Cet événement remet en lumière le manque de sécurité dont souffrent les travailleur.se.s du sexe. Max Maes, directeur de l’asbl Utsopi, collectif des travailleurs et travailleuses du sexe de Belgique et Joelle Clippe , assistante sociale de l’asbl Entre 2 Wallonie, nous livrent un compte rendu de la situation.
Etant une des seules formes de travail qui ne peut s’appuyer sur un cadre juridique solide, le travail du sexe ne connait aucune protection du droit social et du travail. La précarité est omniprésente, condamne tout le secteur à des solutions de survie et donc à toujours plus de mises en danger. Le féminicide d’une travailleuse du sexe à Marcinelle le 3 septembre 2021 ne fait que tristement le confirmer. Cette situation, les associations Utsopi et Entre 2 Wallonie l’observent au quotidien sur le terrain.
Toujours plus isolé.e.s, toujours plus de risques
Le 14 septembre 2021, Utsopi, Entre 2 Wallonie et Espace P ont organisé un rassemblement à Charleroi en hommage à une travailleuse du sexe victime d’un féminicide mais aussi en soutien à la deuxième victime toujours hospitalisée. C’était aussi l’occasion de rappeler les revendications portées depuis longtemps par le secteur des travailleur.se.s du sexe concernant le manque de sécurité qui les frappe quotidiennement. Maxime Maes, président du collectif Utsopi, nous explique : “Cet événement a fait un effet loupe sur la situation des travailleur.se.s du sexe à Marcinelle. Ils.elles sont toujours plus isolé.e.s et donc plus facilement exposé.e.s aux risques. Mais cela est vrai partout en Belgique. On a pu entendre comme quoi, ce sont les risques du métier, mais ce sont des actes anormaux, ça ne devrait jamais arriver.”
La crise du Covid a mis en exergue les soucis de reconnaissance légale et sociale et de précarisation des travailleur.se.s du sexe alors dans l’impossibilité d’exercer. Aujourd’hui, les répercussions du déconfinement se font ressentir. “De nombreux.ses membres d’Utsopi, nous font part que beaucoup de clients réguliers ne viennent plus par peur du Covid ou par rapport au changement des modes de travail, ce qui augmente la précarité et contraint les travailleur.se.s à accepter des pratiques, des clients qu’ils.elles n’auraient pas accepté avant.”
– A lire : Prostitution : les travailleuses du sexe en grève
Etude à Schaerbeek : la violence est omniprésente
Le 15 septembre dernier, une étude ethnographique de l’université de Gand sur la prostitution des femmes subsaharienne dans le quartier des carrés à Schaerbeek a été présentée à la commune. Cécile Jodogne, bourgmestre de Schaerbeek, a initié cette commande, suite au meurtre en juin 2018 d’Eunice Osayande, une travailleuse du sexe Nigériane de 23 ans.
Les deux chercheuses, S. Samyn et S. Adeyinska, ont donné la parole aux femmes (38 au total) qui leur ont fait part de leur quotidien rythmé par la violence des vols, des coups, des blessures ou de l’imposition de rapports sans préservatifs. Elles pointent la peur de faire appel à la police ou de porter plainte du fait de leur statut de sans papier et espèrent un renforcement des patrouilles en rue afin d’avoir une réaction rapide en cas d’agressions. L’étude identifie aussi un processus de marginalisation à travers des attaques discriminatoires, le délabrement du quartier et un repli des femmes sur leurs communautés.
Après réception de l’étude, Cécile Jodogne a organisé des rencontres entre la police locale et des acteur.rice.s de terrain pour penser l’amélioration des interventions et des contacts. Elle déclarait à 7sur7 : “Les interventions des communes sont limitées à une gestion pragmatique de la prostitution, au maintien de l’ordre public. Sur la problématique des migrants et de la traite, nous n’avons pas prise.”
L’insécurité est une problématique globale. Elle concerne les conditions de travail, des papiers pas en règles mais aussi l’accès aux soins, aux formations et aux logements. En ce sens, elle concerne plusieurs structures. C’est l’appel que lance la bourgmestre, “ Seule, une commune n’y arrivera pas. Tous les partenaires concernés doivent se confronter à la réalité des problèmes du quartier. Je me réjouis que le ministre Vincent Van Quickenborne ait déposé un projet pour la reconnaissance d’un statut pour les travailleuses et travailleurs du sexe, car de cela va découler un meilleur accès à la santé, qui est une des recommandations de l’étude, et un accès à des formations pour sortir de ce métier. Il y a la condition d’être en ordre de séjour, ce qui est un problème pour les femmes nigérianes”.
Une réflexion législative en cours
En effet, plusieurs avancées législatives sont à l’étude via la proposition de réforme du Code pénal portée par le ministre de la justice, Vincent Van Quickenborne. Il propose la possibilité de protéger les travailleur.se.s du sexe par un contrat de travail, la dépénalisation du racolage de rue et la dépénalisation de la publicité pour les offres à caractère sexuel.
Pour Maxime Maes aussi, la première étape à franchir pour que les conditions de travail soient plus sûres est la décriminalisation du travail du sexe. Décriminalisation qui doit être pensée avec les travailleur.se.s afin qu’elle soit juste et adaptée. “Comme dirait une collègue, “plus de droits, plus de choix”” conclu Maximes Maes. Et le choix est ici crucial, il sauve des vies.
Entre 2 Wallonie : soutien et accompagnement des travailleur.se.s
L’asbl Entre 2 Wallonie, à Charleroi, répond à ces problématiques d’insécurité des conditions de travail, de soins et de logement, en proposant un service de prévention santé et sociale renforcé par de l’accompagnement. Joelle Clippe, assistante sociale de l’asbl nous confie “C’est un monde violent auquel il faut apporter un soutien, de la prévention et de l’accompagnement. Les politiques actuelles ne sont pas favorables à la prostitution en rue, du coup on voit se développer la prostitution privée via des sites internet. La prostitution devient alors cachée ce qui isole les travailleur.se.s encore plus et augmente la prise de risques.”
Le premier objectif de la prévention sociale est la recherche et le maintien d’un logement. “On recherche des logements avec elles.eux mais le plus important par la suite est que les personnes conservent leur logement.”
Pour le service de prévention santé, l’équipe se rend sur le terrain et distribue du matériel de protection et d’hygiène. “On va à leur rencontre dans les bars, en rue ou même en privé. C’est un travail constant pour maintenir le lien avec certaines personnes et rencontrer les nouvelles. On a également une infirmière qui fait des dépistages rapides et des vaccinations.”
Le service d’accompagnement concerne, entre autres, la remise en ordre administrative et le lien entre les usager.ère.s sans papiers avec les avocats spécialisés qui gèrent les dossiers de demandes. Mais cet accompagnement peut également être physique. “On va avec les personnes au CPAS par exemple ou dans les services de santé mentale lorsqu’une personne est en crise. Le suivi psychologique n’est pas possible pour ce public. Les besoins relèvent de l’ici et du maintenant. Notre accueil, c’est le réceptacle des besoins, des demandes et ensuite on oriente.”
Les actions de l’asbl sont possible grâce à l’agrément de Service d’Accompagnement Social des Personnes Prostituées (ASPP) obtenu en 2017, attendu depuis... 20 ans ! Cet agrément a permis la stabilisation des antennes et des services mais des moyens manquent toujours. “On aimerait avoir un financement pour engager un mi-temps supplémentaire afin de travailler le lien entre la police et les usager.ère.s.”
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T.A.
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