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Carte blanche : Manifeste pour la formation en travail social

15/04/24
Carte blanche : Manifeste pour la formation en travail social

Né de discussions enrichissantes entre formateurs du secteur social début 2022, le Manifeste pour la formation en travail social soulève une préoccupation majeure : l’infiltration croissante de la logique managériale dans l’enseignement du travail social. Ce document, à la fois politique et rassembleur, vise à réaffirmer les principes fondamentaux d’une formation de qualité, tout en appelant à une mobilisation pour défendre l’intégrité et les valeurs du travail social face aux défis actuels. Le Guide Social a décidé de publier ce Manifeste passionnant dans son intégralité.

Ce Manifeste sera présenté et donnera lieu à des ateliers lors des Etats Généraux de la formation en travail social, qui se tiendront le 25 avril après-midi dans les locaux de la HELHa de Montignies sur Sambre.

Découvrez tous les détails de cet événement dans notre article

Le Manifeste pour la formation en travail social est né de constats partagés lors d’échanges entre formatrices et formateurs d’assistant.e.s sociales et d’éducatrices et éducateurs spécialisés en accompagnement psycho-éducatif début 2022 : à dimensions variables, les conditions de formation sont de plus en plus imprégnées de l’idéologie du management, à l’instar du travail social lui-même. Le Manifeste du travail social le dénonçait déjà en 2017.

C’est au tour de celles et ceux qui forment les futurs travailleuses et travailleurs sociaux de réaffirmer les fondamentaux indispensables à une formation de qualité. Ce Manifeste pour la formation en travail social est un outil avant tout politique : il se veut rassembleur pour faire force et donner la légitimité à toutes les actions - qu’elles soient revendiquées ou déjà mises en place, avec ou sans le soutien des pouvoirs organisateurs - qui contribuent à défendre la formation en travail social.

Manifeste pour la formation en travail social

Le travail social

Nous voulons former des travailleuses et travailleurs sociaux qui reconnaissent que les gens sont capables et autonomes […] Ils respectent et promeuvent les droits des personnes à faire leurs propres choix et à prendre leurs propres décisions. (Déclaration mondiale des principes éthiques du travail social, p.7, 2018).

Nous pensons, ici, à toutes les pratiques et expériences qui permettent aux personnes d’agir comme des partenaires de plein droit (Tosquelles, 1985) relativement aux décisions et actions qui les concernent, en ce compris les évaluations de celles-ci.

Nous voulons former des travailleuses et travailleurs sociaux qui portent la dimension critique et engagée du travail social passant par un nécessaire travail de transformation des structures et des politiques (Manifeste du Travail social, p. 9, 2021).

Nous rejetons les modèles des politiques actuelles qui, par leur manière de pointer la responsabilité individuelle des personnes […], les rendent responsables, voire coupables de leur situation (Manifeste du Travail social, p. 9, 2021).

Cela implique pour la travailleuse et travailleur social de déployer une lecture des situations et des cadres professionnels qui prend en compte différents niveaux : individuel, groupal, institutionnel, politique et sociétal.

Le travail social s’inscrit dans une culture de la complexité qui nécessite des attitudes d’étonnement, de décentrement, des pratiques d’information, de comparaison, d’argumentation et une capacité de positionnement.

Il s’agit de former des travailleuses et travailleurs sociaux qui se mettent au service des personnes en conjuguant l’implication, l’analyse critique, l’interpellation sociopolitique et l’élaboration d’alternatives.

Nous voulons former des travailleuses et travailleurs sociaux qui ont pour mission première de participer à l’émancipation individuelle et collective et à la lutte contre les inégalités, ce qui garantit la cohésion d’une société sans laisser de personnes sur le bord du chemin (Manifeste du travail social, p. 8, 2021). Ce qui implique pour les travailleuses et travailleurs sociaux d’être non seulement aux côtés des personnes mais d’être aussi du côté des personnes.

La formation en travail social

Nous voulons être des formatrices et formateurs dont la pratique individuelle, collective et institutionnelle soit en congruence avec le travail social tel que défini dans le chapitre 1 en vue de former des praticiennes et praticiens réflexifs.

Cela implique :

  • de favoriser des pratiques pédagogiques et institutionnelles créatives, conformes aux valeurs du travail social et d’un enseignement démocratique, durant tout le processus de formation : la préparation des activités d’apprentissages, la rencontre des étudiant·e·s dans les classes et les auditoires, les supervisions individuelles et collectives et les évaluations ;
  • de débattre de ces pratiques pédagogiques avec les différentes actrices et acteurs concernés par la formation.

Le travail social passe par la rencontre

Nous entendons par rencontre la création d’un lien prenant en compte les dimensions individuelle, de groupe et communautaire, ainsi que les dimensions institutionnelle et politique.

Cela implique du temps et une proximité physique, une posture d’alliance créative et singulière avec les personnes concernées. L’apprentissage de cette posture doit permettre aux étudiant·e·s d’éprouver les situations au niveau du corps, des émotions et de la pensée.

La rencontre entre les actrices et acteurs de terrain et de la formation contribue, dans une juste tension, à penser et à construire un corps de métier. Cette rencontre participe au processus de professionnalisation des métiers du social. Par l’analyse critique collective des systèmes et de leurs fonctionnements, le dialogue entre ces actrices et acteurs soutient de manière systémique les transformations du travail social.

Cela implique, pour les étudiant·e·s comme pour les enseignant·e·s, une proximité avec les professionnel·le·s. Nous devons avoir le temps et les moyens d’aller à la rencontre des professionnel·le·s sur leur terrain.

En conséquence, nous voulons en tant que formatrices et formateurs :

  • considérer l’étudiant·e comme sujet et l’accompagner dans ses propres préoccupations, ses hésitations, ses représentations ;
  • développer des espaces pédagogiques propices à l’approche expérientielle des contenus d’apprentissage ;
  • ancrer les contenus d’apprentissage dans les réalités du travail social ;
  • nous décaler d’une posture d’expert·e en reconnaissant l’expertise des
  • professionnel·le·s et des personnes concernées par une participation structurelle ;
  • proposer un cursus où l’étudiant·e a le temps de prendre du recul en vue de faire place à la maturation pour conjuguer ses apprentissages théoriques et expérientiels ;
  • apprendre aux étudiant·e·s à adopter un regard critique sur les institutions pour appréhender leur complexité, et à aborder les dimensions qui les engagent personnellement et professionnellement.

Les institutions de formation

Nous observons une logique de marchandisation tant du travail social que de l’enseignement supérieur : l’application d’une politique de rentabilité et de résultat tend à primer sur l’accompagnement des personnes. Une vigilance extrême s’impose face aux logiques gestionnaires qui entraînent une mise à distance des actrices et acteurs concernés au premier chef par l’organisation du système d’enseignement.

Face à ces constats, nous défendons :

  • la primauté de la logique pédagogique sur toute autre logique (logique gestionnaire, logique d’activation individuelle, logique méritocratique...) ;
  • le fait que les décisions pédagogiques soient aux mains du collectif des formatrices et formateurs ;
  • un enseignement démocratique qui vise une formation de qualité, ajustée
    pédagogiquement pour le plus grand nombre.

Nous voulons accompagner les étudiant·e·s dans leur propre émancipation en misant sur le développement de leurs potentialités et l’affirmation de leur positionnement. L’étudiant·e doit être considéré·e comme sujet.

Cela implique :

  • de pouvoir avoir le temps de s’informer pour se positionner et se mobiliser en tant que formatrices et formateurs et institutions lorsqu’une décision politique ou administrative va à l’encontre des valeurs que nous portons dans notre enseignement ;
  • l’apprentissage d’une posture professionnelle qui nécessite des espaces d’expérimentation multiples en lien avec des réalités de terrain.

Dès le début de la formation, l’organisation des enseignements propose prioritairement des formats de cours participatifs, des temps et des espaces propices au travail de groupe. Il s’agit de créer un sentiment d’appartenance facilitant les débats, les échanges, la collaboration, la co-construction, le développement de l’esprit critique et le positionnement professionnel.

En référence à la Déclaration mondiale des principes éthiques du travail social (2018), les enseignant·e·s et institutions veillent à aider les étudiant·e·s à identifier les enjeux éthiques des pratiques et à développer leur niveau d’analyse pour agir et construire leur identité professionnelle.

Nous réaffirmons l’importance de former à un métier. La formation a donc un caractère généraliste où l’intégration des savoirs permet d’appréhender les personnes dans leur contexte propre et de comprendre la complexité des situations, des systèmes, des réseaux et leurs manières de fonctionner.

La posture d’expert·e et la posture de travailleuse et travailleur social sont antinomiques. Ceci implique l’apprentissage d’une posture professionnelle qui nécessite des espaces d’expérimentation multiples en lien avec des réalités de terrains.

La volonté des représentants de certains secteurs de créer des formations spécialisées pourrait hypothéquer l’exercice des métiers canoniques du social profit de techniques d’intervention désincarnées.

En conséquence, nous voulons des institutions de formation où :

  • L’attention à la présence participative et effective des étudiant·e·s aux décisions qui les concernent est garantie, tant sur le plan pédagogique qu’organisationnel, via les conseils de département, les délégué·e·s, etc.

Au-delà d’une simple consultation, cette participation s’incarne dans un collectif d’actrices et acteurs (étudiant·e·s, professeur·e·s, direction) qui prend effectivement part aux décisions dans les différents lieux de pouvoir. À cette fin, les institutions de formation intègrent dans leurs cursus des dimensions pédagogiques liées à la participation et donnent des moyens pour que les étudiant·e·s assurent leur fonction de représentant·e·s.

  • Le corps enseignant, comme garant des principes du travail social au sein de l’école, doit pouvoir participer de façon collective à l’évolution, l’opérationnalisation et l’évaluation des programmes de formation. Le cadre permet donc aux formatrices et formateurs de se réunir entre eux et avec d’autres actrices et acteurs (direction, étudiant·e·s, collectif de professionnel·le·s, publics concernés).
  • La présence physique des étudiant·e·s durant les activités d’apprentissage est indispensable pour construire une posture professionnelle centrée sur la création de lien.
  • L’équipe enseignante et les institutions rendent possible la confrontation continue à l’expérience professionnelle et aux enjeux qui traversent les politiques sociales. Un dialogue permanent avec les travailleuses et travailleurs sociaux est nécessaire. Ce dialogue est indispensable pour garantir les fondements du travail social tels que définis par la déclaration mondiale de principes éthiques du travail social. Les enseignant·e·s et institutions veillent à aider les étudiant·e·s à identifier les enjeux éthiques des pratiques et à développer leur niveau d’analyse pour agir et construire leur identité professionnelle.

En conclusion

La formation en travail social est exigeante. Aujourd’hui, pour tenir une position de formatrices et formateurs aux métiers du social, il nous a semblé indispensable de nous rassembler et de réfléchir collectivement en vue de réaffirmer les enjeux fondamentaux de la formation, ses conditions et ses finalités.

Fruit d’un processus de co-écriture, il a pour vocation d’interpeller, de susciter la réflexion et l’engagement d’actrices et acteurs concernés par la formation en travail social, qu’elles et ils soient étudiant·e·s, formatrices et formateurs, professionnel·le·s, personnes concernées ou décideuses et décideurs institutionnels et politiques.

La diffusion et l’adhésion du plus grand nombre renforceront et illustreront l’argumentaire de ce Manifeste. Il a pour vocation de soutenir les formatrices et formateurs qui pourront s’appuyer sur des principes partagés affirmés collectivement.

Vous pouvez signer ce Manifeste sur ce lien.

Cet article en ligne est édité par Travailler le social asbl.

31 formateurs et formatrices issus de 10 établissements d’enseignement supérieur ont collaboré à cet article :

Valérie Albertuccio (HELHa), Nordine Amrani (IPFS), Valérie Armbruster (Condorcet), Michel Bar (HEPL), Jean Blairon (RTA), Damien Bouchat (Henallux), Catherine Bosquet (HE2B IESSID), Marc Chambeau (HELHa Cardijn), Sophie Colon (Condorcet), Valérie Couteau (HELHa), Philippe Degimbe (HELHa), Stéphane Despontin (HELHa), Anaïque Dupont (Condorcet), Patrick Dussart (HEH), Bénédicte Fonteneau (HE2B IESSID), Géraldine Guilmot (HE2B IESSID), François Istasse (HELMo), Quentin Janssens (HelbPrigogine), Florence Kayaert (HELHa), Marcel Lacroix (HELHa), Soumia Lahdily (HELHa), Quentin Leroy (HELHa Cardijn), Renaud Levecq (HEH), Aude Meulemeester (HE2B IESSID), Claire Misrahi (HE2B IESSID), Rudy Peres (Condorcet), Isabelle Persoons (HELMo), Nathalie Simar, Sylvie Toussaint (ISFSC), Benedicte Wantier (HEH),
Thierry Wodon (Henallux).

Découvrez notre dossier sur le métier d’assistant social

[DOSSIER]
 Quelle formation pour devenir assistant social en Belgique ?
 Quel est le salaire d’un assistant social en Belgique ?
 Vous êtes travailleur social et vous souhaitez intégrer un CPAS ? Voici tout ce que vous devez savoir !
 L’importance de la déontologie pour l’assistant social
 Quel est le travail de l’assistant social de CPAS en ILA ?

[Regardez]

[Ecoutez]

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