Les infirmiers et infirmières à domicile : piliers essentiels des soins, entre défis actuels et promesses d'avenir

Face à des missions toujours plus étendues, les infirmiers et infirmières à domicile restent freinés par un financement à l’acte dépassé, qui ignore de nombreuses dimensions essentielles de leur pratique. Mais des réformes en cours et des projets pilotes ambitieux ouvrent la voie à un modèle plus juste, où leur expertise sera enfin reconnue, leur travail mieux soutenu, et leur quotidien allégé.
[Dossier] :
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- Elise, infirmière en milieu carcéral : récit d’un engagement au long cours
Le 12 mai 2025, à l’occasion de la Journée internationale des infirmiers et infirmières, nous célébrons l’engagement essentiel de ces professionnels qui, à domicile, permettent aux bénéficiaires de rester dans leur environnement familier tout en recevant des soins accessibles et de qualité. Leur mission dépasse les actes techniques : ils prennent soin avec humanité, compétence et autonomie, contribuant de manière significative à la qualité de vie des bénéficiaires.
Dans ce contexte en constante évolution, les soins infirmiers à domicile sont confrontés à de nouveaux enjeux majeurs. L’essor de l’hospitalisation à domicile permet désormais de suivre des patients atteints de pathologies aiguës ou chroniques complexes directement chez eux, évitant ainsi des séjours prolongés à l’hôpital. Les infirmiers et infirmières à domicile y assurent un rôle clé, garantissant la continuité, la coordination et la sécurité des soins. Par ailleurs, les soins intégrés favorisent une approche plus globale et pluridisciplinaire, dans laquelle les professionnels collaborent étroitement pour offrir un accompagnement cohérent et personnalisé. L’arrivée de techniques innovantes, comme la thérapie par pression négative pour les plaies complexes, témoigne aussi d’une technicité accrue. Ces évolutions soulignent l’importance de la formation continue, de la collaboration interprofessionnelle et de la reconnaissance du rôle stratégique des infirmiers et infirmières à domicile dans un système de santé qui valorise le patient partenaire, pleinement acteur de son parcours.
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Des limites du financement actuel à l’espoir d’un modèle plus juste
Malgré ce rôle crucial et l’élargissement constant de leurs missions, les infirmiers et infirmières à domicile sont confrontés aux limites d’un modèle de financement jugé obsolète. Ce modèle, principalement basé sur une nomenclature, se concentre sur la rémunération à l’acte et / ou des forfaits journaliers basés sur la dépendance du bénéficiaire sans tenir compte des besoins de soins !
Ce modèle de financement à l’acte accentue la pénibilité du travail et laisse de nombreuses prestations essentielles sans reconnaissance ni rémunération. Des activités clés comme le jugement clinique, la mesure des paramètres vitaux, l’éducation thérapeutique (autonomisation des patients, formation des aidants), l’évaluation ou encore la prévention des risques ne sont pas couvertes par la nomenclature actuelle. Le paiement à l’acte fragmente l’activité infirmière en interventions isolées, alors que les soins à domicile nécessitent une approche globale et coordonnée. Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) [1] s’inquiétait déjà en 2010 de l’impact de ce modèle sur la continuité et la qualité des soins. Cette situation alourdit la charge de travail et pousse de nombreux infirmiers à envisager de quitter la profession.
Pour répondre à ces défis structurels, un projet pilote ambitieux est en cours de finalisation au sein de l’INAMI, en collaboration avec la Commission de conventions des praticiens de l’art infirmier – organismes assureurs, ainsi que le KCE. Ce projet, d’une durée de trois ans, constitue une étape essentielle pour concevoir et tester un nouveau modèle de financement des soins infirmiers à domicile. Il vise à promouvoir une approche plus holistique de la relation de soin, en soutenant l’autonomie des bénéficiaires et, par là même, en améliorant leur qualité de vie. Le dispositif prévoit une rémunération simplifiée, basée sur un forfait lié au temps passé auprès du bénéficiaire, couplée à une évaluation standardisée et régulière de sa situation. Des incitants financiers seront également proposés aux pratiques participantes pour encourager une prise en charge de qualité. L’objectif n’est pas de transformer la nature de l’art infirmier à domicile, mais bien de créer un environnement favorable à son plein exercice. Ce projet pilote doit permettre de mieux cerner la valeur ajoutée d’un tel modèle de financement, en vue d’envisager une réforme structurelle durable pour les soins infirmiers à domicile. L’appel à candidatures pour les pratiques intéressées devrait être lancé avant l’été 2025. Affaire à suivre…
Une profession en pleine évolution, avec un impact direct sur les soins infirmiers à domicile
En parallèle aux efforts engagés sur le plan du financement, une réforme structurelle majeure des praticiens de l’art infirmier a été amorcée en 2023 et se poursuivra dans les années à venir. Cette réforme vise à mieux organiser, reconnaître et valoriser l’ensemble des soins infirmiers. Elle prévoit l’introduction d’une nouvelle échelle de fonctions dans les soins infirmiers, intégrant les différentes fonctions : aides-soignants, assistants en soins infirmiers, infirmiers responsables de soins généraux, infirmiers spécialisés, infirmiers de pratique avancée et chercheurs cliniciens.
Par ailleurs, la définition légale de l’art infirmier a été actualisée et élargie : elle inclut désormais l’évaluation de l’état de santé du bénéficiaire, l’établissement d’un diagnostic infirmier, la prescription de soins infirmiers, … ainsi que, pour les infirmiers responsables de soins généraux, la prescription de certains médicaments et produits de santé. En mars 2025, à la demande du Ministre Vandenbroucke, le Conseil fédéral de l’art infirmier a remis une première proposition concrète dans ce sens [2]. Cette liste comprend notamment le matériel de stomie et les dispositifs pour les soins de plaies. Il s’agit là d’une avancée significative, qui reconnaît pleinement l’expertise des infirmiers et infirmières dans ces domaines essentiels, tout en garantissant la qualité et la sécurité des soins dispensés.
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Alléger la charge administrative : une étape attendue pour les soins à domicile
La simplification administrative est un levier essentiel pour renforcer l’efficacité des soins infirmiers à domicile. Dans cette optique, une avancée concrète a été validée le 28 avril 2025 par le Comité de l’assurance de l’INAMI : la suppression de l’obligation de prescription médicale pour certaines prestations techniques de l’art infirmier (catégorie B1), lorsque celles-ci ne l’exigent pas selon la législation professionnelle. Jusqu’à présent, une prescription médicale reste nécessaire pour permettre le remboursement de ces soins, créant une charge administrative injustifiée pour les professionnels. L’entrée en vigueur de cette mesure est prévue pour l’automne 2025. Elle permettra aux infirmiers et infirmières à domicile de se recentrer sur leur mission première : la qualité et la continuité des soins. Cette évolution, à la fois logique et conforme au cadre légal, marque une reconnaissance tangible de leur autonomie professionnelle.
Conclusion : vers un avenir plus structuré et valorisant pour les soins infirmiers à domicile
À l’occasion de la Journée internationale des infirmiers et infirmières 2025, la lumière est portée sur un pilier fondamental de notre système de santé : les soins infirmiers à domicile. Ce secteur, longtemps freiné par un financement inadapté et une charge croissante, entre aujourd’hui dans une phase de transformation encourageante. Les réformes engagées traduisent une volonté claire de renforcer cette pratique, d’en reconnaître l’expertise et de soutenir ceux qui l’exercent.
Si des ajustements restent nécessaires, ces évolutions ouvrent la voie à une pratique plus valorisée et mieux structurée. Soutenons cette dynamique pour permettre aux infirmiers et infirmières à domicile de poursuivre une relation de soin empreinte de compétence, d’humanité et d’autonomie.
Edgard Peters
Directeur des soins infirmiers
Fédération de l’Aide et des Soins à Domicile
1 : Sermeus W, Pirson M, Paquay L, Pacolet J, Falez F, Stordeur S, Leys M. Le financement des soins infirmiers à domicile en Belgique. Health Services Research (HSR). Bruxelles : Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2010. KCE Reports 122B. D/2010/10.273/06
2 : Avis 2025-02 du Conseil Fédéral de l’Art Infirmier concernant la prescription de médicaments et de produits de santé par l’infirmier responsable de soins généraux (11/03/2025)
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