Chronique d’un psy : "Un petit coup de pub…"
T. Persons fait un constat : les psychologues sont rentrés dans le XXIe siècle ! C’est valable au niveau des pratiques, mais pour les indépendants, un nouveau défi leur tend les bras : être bien référencé sur la toile, tout en prenant garde de ne pas enfreindre leur code de déontologie.
Qui l’eût cru ! D’abord, c’était l’agenda papier. J’ai eu du mal à m’en séparer. Ce petit bout de cuir au format A5, usé par le temps, que je trimbalais dans les services hospitaliers, tel un doudou et qui, à l’image d’un accessoire subtil renforçant le caractère du personnage pour un acteur, me faisait malheureusement souvent plus passer pour l’aumônier que pour le psy de l’institution. J’ai fait une croix dessus, tout comme mes notes, mon dossier patient, sacrifiant mes habitudes au nom d’une technologie qui était censée me faire gagner du temps, tout en préservant des arbres…
Puis, il y a eu la crise sanitaire et les psy se sont connectés à leur ordinateur. Le son, la vidéo, le virtuel. On s’adapte, coûte que coûte, pour éviter de casser ce lien avec nos patients. Alors on investit, on se convainc que ça en vaut la peine, qu’après tout, pourquoi pas, tout en se disant que c’était quand même mieux avant. Du coup, on s’arrête. On se regarde dans le miroir et on s’interdit de devenir un vieux con. Non, c’était pas mieux avant. On se le redit quatre à cinq fois, comme pour se persuader. Il ne s’agit là que de fausses croyances. Non, de tout temps, le progrès est souvent synonyme de prospérité et de paix, non ? Soit, on s’interdit d’argumenter, on ouvre son laptop et on se tait.
Enfin, on constate que ça y est, qu’on l’a effectué ce fichu virage du numérique. Puis, un gars, qui lui, est vraiment jeune, vient vous prendre une heure de votre temps. Il vous parle de digitalisation, de référencement dans Google, de site internet, de réseaux sociaux. Et là, vous vous dites qu’en fait, si on l’écoute, vous n’êtes qu’un péquenaud, condamné à voir le fossé entre vous et la technologie grandir à grand pas. Alors, même si vous avez eu des cours de psychologie sociale et que vous savez pertinemment que ce petit con est en train de vous survendre quelque chose dont vous n’avez peut-être pas totalement besoin, vous le regardez droit dans les yeux et vous lui donnez votre accord.
"Oui, enfin non, seulement ceux qui payent"
Bien évidemment, tout a un coût. Celui-ci est exorbitant. Le prix de la vanité, me direz-vous ? Certes, vous avez un beau site internet, qui n’est pas vraiment référencé comme le petit gars vous disait parce qu’en fait, pour qu’il le soit de manière optimale, il faudrait pondre du contenu en continu. Vous ne le ferez jamais. Puis, il y a un hic. Un site internet, c’est de la pub, non ? Non ! Ce n’est pas de la publicité, parce qu’on a fait en sorte que ça ne le soit pas vraiment. Bon d’accord, c’est de la publicité… Mais, ça va, on ne vend rien ! On ne fait que se présenter ! Ça passe, non ? Ils font quoi les médecins, les dentistes, les kinés ?
Bref, malgré que vous ayez un beau site mal référencé, on vient tout de même vous démarcher. Non, mais avec notre outil, vous serez envahis de patients ! Que nenni, Monsieur le psychologue que je tutoie d’emblée pour te faire croire que tu es aussi jeune et cool que moi, il faut absolument souscrire à cette plateforme qui référence tous les psy. Tous les psy ? Oui, enfin non, seulement ceux qui payent, quoi. Ah. Alors quand PsyEverywhere, la énième start-up cool et branchée vient vous harceler en vous appelant trois fois en une journée pour vous expliquer – à l’aide d’un beau graphique – qu’avec eux, votre consultation sera pleine, vous dites stop ! Il y en a marre ! Oui, je suis un vieux con et mon job, c’est d’être psychologue clinicien, pas community manager ! Soit, le commercial note votre refus et vous rappellera dans trois mois, certainement. En attendant, que vous ayez payé ou non, il vous référencera sur son site, sans votre accord et vous perdrez un temps précieux à le lui renvoyer…
En conclusion, nous n’échapperons pas au virage de la digitalisation… C’est en marche et même si cela ne supprimera pas le travail en réseau et le bouche-à-oreille, force est de constater que pas mal de psy indépendants, souvent isolés, sont tentés par les sirènes du digital. Peut-on le leur reprocher ? Non ! Devrait-on les aider à y voir plus clair dans cette marre aux requins ? Mille fois, oui.
T. Persons
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