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Ces « autres » qui empiètent sur le travail thérapeutique

05/04/18
Ces « autres » qui empiètent sur le travail thérapeutique

La thérapie est individuelle. Pourtant, le cabinet est rempli de monde : tous les proches qui souffrent, mais qui ne veulent pas aller mieux. Quant au patient, il ne lui reste que deux ou trois minutes par séance pour parler de lui. Ce n’est pas nécessaire quand on a décidé d’être le pilier, inexorablement, d’un monde en vacillement.

Ils viennent chercher de l’aide. Pourtant, la quasi-totalité de la séance est consacrée aux autres, aux proches, qui souffrent, et qui inquiètent le patient. Nulle autorisation de s’occuper de soi, il s’agit de mettre la séance à profit pour trouver des clés, des manières de faire avec autrui qui leur serait profitable. Si on ramène le patient à son propre ressenti, on se heurte à une douce opposition : d’un mot, d’un geste désinvolte, on nous signifie que c’est sans importance au regard des difficultés de l’entourage. Comment donc accompagner ces altruistes convaincus ?

Une tradition qui vient de loin

Souvent, cet altruisme a été transmis, distillé, depuis belle lurette, par une éducation qui jugeait l’attention à soi suspecte, voire foncièrement égoïste. Le salut (familial, social, politique, religieux) vient du don de soi qui, seul, ouvre la porte du lien et de l’affection des autres. Cette injonction surmoïque est si bien ancrée qu’elle est devenue le credo, conscient ou inconscient, qui rythme le quotidien. Pour le thérapeute, la situation est à manier avec délicatesse. Mais la mise au jour patiente de ces injonctions qui viennent de loin est pourtant indispensable…

Le conflit abhorré

S’occuper de soi, et donc « mesurer » ce qu’on donne aux autres, c’est risquer d’indisposer, voire de susciter l’incompréhension, la colère de l’entourage. Dire non à une énième sollicitation, c’est prendre le risque que l’autre ne l’accepte pas. Sur un plan psychique, cette attitude peut ainsi exprimer la peur et l’évitement du conflit. On mise en permanence sur la générosité, la gentillesse, en étouffant toute agressivité qui pourrait poindre chez soi ou chez l’autre. Les séances peuvent donc être l’occasion d’explorer les scénarios « catastrophe », de les conscientiser dans un cadre sécure.

Surtout ne pas parler de soi

Un autre bénéfice secondaire est que cette stratégie permet l’évitement de l’introspection. Cette plongée au cœur de ses désirs, de ses attentes, de ses besoins, cela effraie. L’altruisme permet alors un évitement thérapeutique majeur : les séances se succèdent sans que le patient ne se raconte, ne se mette au travail. Quant au psychologue, s’il n’y prend garde, il finira par centrer lui aussi les séances sur « les problèmes des autres », et perdra de vue l’accompagnement psychique de la personne qui se trouve en face de lui.

Une couleur féminine

Comme le rappelle A. Dufourmantelle, cette pente sacrificielle du don de soi concerne souvent la névrose au féminin. Les grands mythes nous le rappellent, notre inconscient collectif est marqué par ces destins parfois tragiques de femmes sacrifiant résolument, érotiquement pourrait-on dire, leur vie aux autres. Mais la philosophe et psychanalyste nous rappelle aussi qu’un élan de vie se cache derrière ces attitudes parfois délétères. Au thérapeute de l’entendre et de le renvoyer, afin que d’autres chemins soient possibles.

D.B., psychologue

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