Chronique d'un psy : le juste barème
Une réflexion sur la notion du barème universitaire lorsque l’on travaille en qualité de psychologue clinicien.
Cette semaine, une envie folle a éclos dans la cathédrale de mes désirs, une irrésistible ferveur qui m’a poussé dans mes derniers retranchements : envoyer un mail à mes anciens compagnons d’université, porté par la volonté de savoir finalement ce qu’ils étaient humblement devenus. Je vous vois déjà sourire, repensant vous aussi, à tous ces moments privilégiés, ces instants légers, le bonheur, quoi ! Pour la plupart d’entre nous, nous n’avons pas le plaisir d’exercer notre profession, la dure réalité du marché du travail a fait de nous des employés des ressources humaines, des valeureux acteurs dans le non-marchand, dans la vente, la communication ou le chômage.
Bref, de mon email larmoyant, je n’ai eu que deux retours, mais non des moindres. C’est donc en entonnant joyeusement dans un coin de ma tête cet hymne de Patrick Bruel, que je me suis dirigé vers une place branchée du centre-ville bruxellois avec, pour sentiment étrange, l’impression de mettre les pieds dans un traquenard fumeux. Après tout, les années ont passé et puis, en y réfléchissant, ai-je déjà eu une discussion sérieuse avec ces gens en étant sobre ? A priori, vu ma condition de psychologue réfléchi, je ne peux décemment pas me biturer comme ça en plein Bruxelles, en milieu de semaine, pour éventuellement garder de cette soirée une bon souvenir, non ? Enfin, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus ces gens ? Pourquoi les psys ne mettent pas d’informations quant au contenu de leur vie professionnelle sur les réseaux sociaux… C’est donc la peur au ventre que je suis arrivé le premier.
L’attente ne fut pas longue et finalement la réticence s’en est assez vite allée pour laisser la place au plaisir de passer la fin d’après-midi à me remémorer des tas de souvenirs avec Claudia et Sandrine. Tout allait bien jusqu’à ce que l’on aborde la question pourtant ô combien centrale qui pourrait fâcher : qu’est-ce que tu deviens ? Sourire tendu, pas trop de malaise : nous exerçons tous la profession de psychologue clinicien. Puis on en est venu aux détails et c’est à ce moment que j’ai vraiment eu le sentiment que l’on ne faisait pas le même métier. Sandrine bosse dans un planning familial, elle doit être à l’accueil, prendre les rendez-vous, s’occuper de nettoyer les bureaux… Vous commencez à me connaitre, il n’a pas fallu deux minutes pour que je mette les pieds dans le plat : heureusement que tu es quand même payée comme une psy, parce que sinon on pourrait croire que tu ne l’es pas trop, lui ai-je amicalement dit. Ce à quoi ma très chère collègue d’auditoire a tenu à répondre par un énorme sanglot de larmes digne d’une punch-line de psy en consultation.
C’est quoi le problème ? C’est que j’ai en face de moi deux psychologues a priori compétentes qui ont du mal en fin de mois, parce que sous-payées en regard du diplôme qu’elles ont et qui ont une fonction qui s’éloigne de celle d’un psy. D’une manière assez naïve, je leur ai proposé de postuler ailleurs, vu que leur employeur ne respectait pas le barème universitaire. Ce à quoi on m’a répondu, avec un ton d’un cynisme absolu : « Mais tu crois vraiment que l’herbe est plus verte ailleurs ? J’ai déjà de la chance de pouvoir pratiquer en tant que psy, tu voudrais en plus que je sois correctement payée » ? Passant des rires aux larmes, nous avons essayé de comprendre ce qui faisait qu’on en était arrivé là. Qu’est ce qui explique que l’on engage des psys bradés et qu’on leur demande d’être polyvalents à outrance ? On est bien d’accord, le bon sens veut que, lorsque l’on est dans une petite équipe, chacun mette la main à la pâte, mais dans ce contexte, est-ce que, finalement, le psy n’est pas devenu celui qui doit porter plus de casquettes que les autres intervenants ? Puis j’entends bien, la plupart des psys travaillent dans de petites asbl où l’argent ne coule pas à flot, mais la situation ne serait-elle pas différente si le métier de psychologue était en pénurie ?
En conclusion, cette semaine, j’ai revu des amis, on s’est parlé, j’ai enfoncé des portes ouvertes, on en a ri, on en a pleuré, on a bu – de trop. Le temps passe, les époques changent. Comme le disait le philosophe, on ne peut pas mettre dix ans sur table, comme on étale ses lettres au Scrabble. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’espérer au plus profond de moi-même que lors de notre prochaine rencontre, dans quelques années, la situation aura peut-être évolué.
T. Persons
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