Manifestation du Non-Marchand : « On veut continuer à soigner ! »
Ce jeudi 7 novembre, le secteur du Non-Marchand se levait pour faire entendre sa voix à l’unisson au chant de slogans et de revendications à la manifestation de Bruxelles. Le Guide Social s’est rendu sur place afin de donner la voix aux professionnelles et professionnels de la santé et du social.
« Nous on veut continuer à soigner, encore
Voir nos gestes soulager nos corps,
Aider nos âmes à aller mieux, encore.
Nous sommes des héros de passage,
Vite oubliés faussement comblés,
Prends ta médaille et fais silence »
Ce sont les paroles scandées en musique par les travailleuses et travailleurs du psycho-médico-social réunis hier, lors de la manifestation du Non-Marchand. De la foule émerge un sentiment partagé : un ras-le-bol du manque de valorisation de sa profession et du manque criant de moyens alloués au secteur. Le Guide Social est allé à la rencontre de France, Nelle et Rachel.
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France, sage-femme : « On en a le ras-le-col »
Sage-femme à l’Union professionnelle des sage-femmes et représentante en commission sage-femmes à l’INAMI, France vient porter sa voix et manifester une fois de plus : « Les sage-femmes ne sont pas prises en compte et sont considérées comme non-indispensables ». Celle-ci pointe également le manque de moyens dans le milieu hospitalier. « Depuis quelques années, les séjours à l’hôpital ont été raccourcis mais aucune promotion de nos rôles et de nos compétences, pourtant nécessaires dans l’accompagnement des femmes après leur séjour, n’a été faite. »
Le secteur hospitalier n’est pas le seul touché, les sous-financements s’étendent également aux sage-femmes indépendantes : « Une sage-femme ne peut pas vivre de son métier en tant que libérale à temps plein alors qu’on a des responsabilités médicales. On est payées au lance-pierre le prix d’un patient alors que parfois on en soigne 2 ou 3 pour le même prix », poursuit-elle. Rappelons que le Guide Social a sorti une fiche-métier sur les salaires moyens pour la profession de sage-femme qui indique que le salaire moyen est d’environ 1.400 euros nets en début de carrière et atteint les 2.000 euros nets après 20 ans d’exercice dans le milieu hospitalier. « On est obligées d’être en couple ou d’avoir un métier sur le côté pour pouvoir vivre correctement alors qu’on a fait des études ».
« Pour le moment c’est beaucoup de promesses et rien du tout », retient France des appels que les sage-femmes lancent depuis des années : « On l’a vu ici sur le budget des soins de santé où les sage-femmes ne sont pas reprises du tout. On nous a pris des visites à domicile alors que ce sont des primes qu’on a auto-financées et ensuite on veut nous les enlever. » Elle continue, lancée dans ses revendications : « Quand on émet des avis dans les groupes de travail, ils ne sont pas suivis. Encore aujourd’hui, on entend ‘une sage-femme, pour quoi faire ?’ ».
Pour pousser les chiffres plus loin, une enquête réalisée par l’Union professionnelle des sage-femmes de Belgique montre que 50% de sage-femmes parlent d’arrêter leur profession. France explique : « Quand tu exerces un métier, tu mets des heures et des heures de ton temps à disposition, sans oublier les responsabilités que tu prends. Si, en plus, tu es mal payée, ça ne donne pas envie de continuer ».
Il faut savoir que les membres de l’Union flamande des sage-femmes ont voté, le mois dernier, massivement (80%) contre la signature de la convention fixant les tarifs des sage-femmes. Si les 3 organisations, à savoir l’Association francophone des sage-femmes, l’Union flamande des sage-femmes et l’Union professionnelle des sage-femmes belges signent toutes les trois cet accord, une écrasante majorité de sage-femmes belges travailleraient sans convention à partir du 1er janvier 2025. Une sage-femme déconventionnée peut demander le prix qu’elle estime juste sans devoir se plier aux tarifs fixés. Cela entraînerait un remboursement moins important pour la patiente, qui serait alors remboursée à hauteur de 75%, et non plus de 100%.
En arriver à de telles mesures montre à quel point le milieu est à bout de souffle… « Métier passion c’est très bien mais on n’en vit pas et là il y a de quoi en avoir ras-le-bol », scande France.
Nelle, directrice au Service de Santé Mentale à l’ULB
À l’avant du cortège, un groupe important de manifestants équipé de pancartes décorées de couleurs et de phrases percutantes attire notre attention. Sur l’une d’elle, nous pouvons lire « LA PRECARITE N’EST PAS UN METIER ». Les mains qui tiennent cette pancarte, ce sont celles de Nelle, pédopsychiatre et directrice au Service de Santé Mentale à l’ULB ASBL.
Ce service propose une aide psycho-médico-sociale sur les campus universitaires et dans les Marolles aux enfants, aux adolescents et aux adultes. « Tout le centre de Guidance est là aujourd’hui », lance-t-elle, enthousiaste. Le centre de Guidance est une des trois branches qui composent le service. Elle poursuit : « Je pense que c’est lié au fait qu’au centre de Guidance, on accompagne une population très précaire avec des familles dans lesquelles on suit plusieurs enfants et des parents, on est vraiment en contact avec la dégradation de la société ». Elle s’inquiète « du côté pédopsychiatrique, on observe des situations de plus en plus dramatiques comme la négligence et la maltraitance alors que les services de protection de la jeunesse sont débordés et donc répondent de moins en moins. La santé mentale des jeunes est de plus en plus préoccupante. Depuis le Covid, c’est catastrophique ».
Il y a deux semaines, l’équipe a appris que des contrats qui portent des projets locaux de social-santé ne seront plus financés à partir du 1er janvier. « Ça a été très soudain. C’étaient vraiment des projets importants liés à l’addiction, au housing first, à la délinquance, des projets sociaux », relance-t-elle. Elle estime également qu’une revalorisation de son travail et de la santé mentale, encore trop souvent sous-estimée, est nécessaire : « Le mode de financement évolue. Avant, la norme voulait que le cadre de personnel soit financé ad vitam aeternam et maintenant avec la nouvelle législature, on a été financés beaucoup sur base de projets ponctuels de 6 mois, ce qui fait qu’on doit toujours réintroduire de nouveaux projets, engager de nouvelles personnes, personnes qui ont des contrats précaires et ainsi de suite donc il y a vraiment une précarisation de notre travail ».
Lire aussi : "J’ai participé à la manif’ du Non-Marchand !" - Une carte blanche de Marc Chambeau
Rachel, infirmière et intervenante sur le terrain : « On est en train de nous bouffer »
Plus loin, le slogan « LES GENS AVANT L’ARGENT » tamponne une pancarte brandie par deux jeunes femmes, Rachel et sa collègue, qui préfère garder l’anonymat. « Je ne me sens tellement pas en sécurité dans mon travail que je ne me sens pas à l’aise de divulguer mon identité. C’est un sujet très délicat », explique-t-elle. Plus tard, elle nous confiera que des postes sont en danger, fautes de moyens.
Rachel, elle, témoigne. Elle est infirmière et intervenante sur le terrain à Parhélie, un hôpital
pédopsychiatrique qui accueille des enfants de 3 à 18 ans autistes et psychotiques. « On est en train de nous bouffer », raconte-t-elle, « notre travail est dangereusement menacé par des réductions budgétaires très importantes ».
Les travailleuses soulignent une énorme séparation entre l’administration de l’hôpital et la partie clinique et thérapeutique. « Il n’y a plus de dialogue, il n’y a plus que le financier qui prend la place. Il faut rentrer dans les subsides, dans les taux d’occupation ». Rachel continue : « En plus, ils veulent diminuer le nombre d’intervenants qui travaillent sur le terrain, on est déjà tellement peu, c’est insensé ».
Estimé à 10.000 avant la manifestation, le nombre de personnes venues fouler les pavés de Bruxelles a explosé pour atteindre les 25.000 : un franc succès. Alors que le monde politique tarde à répondre, la mobilisation d’hier prouve que la détermination des travailleuses et des travailleurs du Non-Marchand ne faiblira pas. Ne dit-on pas qu’à force de taper sur le clou, on finit par l’enfoncer ?
Pauline Février
Et pour aller plus loin :
- "Financement du Non-Marchand : gagner en efficience" : une carte blanche de la fédération Unessa, active dans l’accueil, l’accompagnement, l’aide et les soins aux personnes, en Wallonie et à Bruxelles
- Budget 2025 Wallonie et Fédération Wallonie-Bruxelles : "Un rendez-vous pour le secteur à profit social ?" : une carte blanche d’Unipso, la Confédération des entreprises à profit social en Wallonie et en Fédération Wallonie Bruxelles.
- Interview exclusive - Subventions, évaluation et simplification : l’avenir des ASBL selon le ministre Coppieters
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