Gérer l'expression de nos émotions avec nos bénéficiaires
Nos émotions font partie intégrante de nous-mêmes, s’en couper revient à se couper un membre. Cette affirmation est largement comprise, mais peu intégrée, s’agissant de la mettre en pratique, surtout dans la sphère professionnelle, notamment avec nos bénéficiaires. Allons un cran plus loin, qu’en est-il de l’expression de nos émotions avec ces personnes ? En quoi est-ce un exercice périlleux et pourquoi cela semble-t-il parfois saugrenu ?
[DOSSIER]
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– Pourquoi nos émotions font-elles si peur ?
Nous vivons dans une société qui nous coupe de notre nature, et ce, de différentes façons et à différents niveaux. Parmi les multiples conséquences de cet état de fait, nous sommes plus ou moins coupés de nos émotions, et en particulier dans la sphère professionnelle, par exemple avec nos bénéficiaires. Lorsque nous nous y reconnectons, c’est leur expression qui pose problème : exprimer ses émotions nous rendrait-il moins professionnel ?
Des émotions qui font peur
Un précédent article évoquait l’importance des émotions et de leur rendre leur juste place, en particulier dans notre métier. Nos métiers du social ont cette double caractéristique qui est que l’humain en est à la fois l’enjeu et l’outil. Pourtant, nos émotions, qui sont un formidable outil de travail, y sont malvenues, du moins dans le chef du travailleur. Elles nous font paraître moins professionnel … Pour quelle raison ? Plusieurs pistes sont évoquées dans cet article.
Les exprimer à bon escient
Toujours est-il que ces émotions que nous ressentons, et qui font de nous des êtres vivants, peuvent nous être extraordinairement utiles dans notre travail, à condition de leur (re)donner une juste place. Cela signifie non seulement les entendre et leur faire confiance, car elles sont de très bons indicateurs, mais aussi savoir les exprimer à bon escient, de manière à utiliser leur potentiel. Nous vivons dans une société qui perçoit les émotions comme étant dangereuses, à nous d’opter pour une expression stratégique.
Nous laisser toucher
Permettre à nos émotions de (re)prendre une juste place, lorsqu’on est travailleur social, sous-entend de se laisser toucher par les situations que nous rencontrons. Cela signifie abattre un peu de la barrière que certains d’entre nous ont construite au fil du temps, pour se protéger des situations rencontrées. C’est donc d’une certaine manière aller à contre-courant … Certaines situations nous touchent plus particulièrement, et cela fait souvent référence à notre vécu, ou à une certaine sensibilité. Utiliser nos émotions comme outil veut dire, dans ces cas précis, être capables de reconnaître en quoi nous sommes touchés et comment nous pouvons nous en servir dans notre travail avec la personne.
Une expression juste
Quatre-vingt pour cent de la communication passe par le non-verbal. Autrement dit, nos bénéficiaires perçoivent aisément que nous sommes touchés, ou que nous nous distancions. À qui vont-ils faire plus aisément confiance ? Cela fait partie de la nature humaine : nous allons vers ceux qui nous paraissent nos semblables. Manifester que nous sommes touchés n’est donc pas une entrave à la relation professionnelle, que du contraire. Tout est dans la nuance : nous pouvons être touchés, le reconnaître, sans pour autant fondre en larmes. Par contre, nous pouvons dire au bénéficiaire que nous sommes touchés par sa situation. Si nous l’expression en est sincère, le non-verbal suivra. Cette meilleure empathie peut nous aider à aider cette personne au plus juste. Il en va de même avec la colère : si certaines situations ou comportements provoquent de la colère chez nous, il y a une raison. À nous de la décoder afin de pouvoir l’utiliser dans la relation.
Qu’en est-il du burn-out ?
Nous laisser toucher par nos émotions dans les relations avec nos bénéficiaires, donner à ces mêmes émotions une juste place et permettre leur expression nuancée favoriserait-il l’épuisement professionnel ? J’ai souvent entendu des anciens travailleurs expliquer qu’avec le temps, on se « blinde », ce que je comprends tout à fait : l’habitude et la diversité du vécu professionnel jouent également. Par contre, je suis convaincue que réfréner nos émotions et en freiner l’expression est beaucoup plus destructeur d’un point de vue professionnel que le contraire. Combien de situations avons-nous jamais ruminées, parfois le soir, ou durant quelques jours ? Souvent, ce sont des situations qui nous ont touchés et pour lesquelles nous avons tenté de « gérer » nos émotions …
MF – travailleuse sociale
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