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UNE VIE DE PSY - Épisode XVIII : démêler le vrai du faux

22/07/19
UNE VIE DE PSY - Épisode XVIII : démêler le vrai du faux

Dans cet épisode de la vie tumultueuse de T. Persons, il est question de fiction, de réalité et de la ligne de démarcation entre les deux.

- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -

Il m’arrive parfois de me dire que ma vie ressemble à une fiction. Certes, elle est généralement plus semblable à une série française des années nonante qu’à un long-métrage de Woody Allen, mais néanmoins, elle trouve son public. Le mien était assis sur une chaise, me regardant fixement, alors que j’étais couché sur le canapé de mon salon. Il n’y avait pas de pop-corn ni de boisson sucrée dans ses mains, mais Anita me dévisageait comme si ce qu’elle voyait était reflété par un écran de télévision. En reprenant connaissance, cette première vision traversa mon esprit : qui est cette personne et pourquoi me trouve-t-elle si fascinante ? Il y avait comme un air de psychose dans la pièce. Son regard me faisait penser à un mélange subtil entre l’hystérie de Kathy Bates dans Misery et la folie de Catherine Deneuve dans Répulsion. Lorsque l’on reprend pied après avoir perdu connaissance, on pourrait croire que l’on est dans le gaz. Au contraire, j’avais une impression d’extra-lucidité : j’étais captif dans le salon de ma maison à la merci d’une de mes patientes. Heureusement, ce sentiment ne dura que quelques secondes. En voyant que j’étais lentement en train d’émerger, l’attitude d’Anita changea. Elle me sourit calmement tout en touchant son ventre légèrement rebondi.

Une fois l’explication fournie, tout devint clair. J’avais perdu connaissance dans les buissons devant chez moi. Marion, mon épouse, prise de panique, avait senti des contractions plus régulières. Elle filait à l’hôpital tandis qu’Anita se proposait de m’allonger sur le canapé et de veiller sur moi, le temps que je reprenne connaissance. Marion était partie depuis une dizaine de minutes. J’étais touché par tant de bienveillance mais, en même temps, assez perturbé par ce qui venait de se passer. C’était la première fois que je tombais dans les pommes de la sorte. J’avais un tas de questions qui revenaient à moi mais l’une d’elle pris le dessus : comment allait Marion ? Puis, une angoisse vint se loger au creux de mon ventre. J’allais devenir père. Ce genre de pensées vous fait oublier tout le reste. Sans crier gare, je congédiais Anita et filais comme une balle vers l’hôpital où se trouvait Marion.

« Étais-je en train de rêver ? »

On a beau être psychologue, il ne s’agit que d’une casquette. Je savais que tout ce qui se passait dans ma vie professionnelle ferait pâlir mon prochain superviseur, mais derrière le professionnel, il y a surtout un être humain qui, dans certaines circonstances, arrive à faire abstraction de toutes les difficultés qu’il peut entrevoir avec ses patients. N’allez pas croire que je me fous des personnes qui viennent me consulter. J’étais fort préoccupé par Marthe, Anita, Georges, Monsieur Hareng et l’ensemble de mes patients, mais là, je me devais d’être présent pour ma famille.

J’imagine que c’est un peu banal et qu’en soi, ma vie privée ne regarde que moi, mais malheureusement, même lorsque l’on s’efforce de bannir tous nos patients du château de notre vie intime et personnelle, il arrive que ceux-ci défoncent le pont-levis à coup de bélier… Bref, le retour de karma fut violent lorsque je découvris, dans la salle de maternité, mon épouse, souriant dans un rictus qui signifiait qu’elle avait mal mais que la pudeur nourrie par une éducation judéo-chrétienne l’obligeait à exprimer sa douleur d’une manière qu’elle jugeait acceptable. A côté d’elle, des blouses blanches, des blouses roses, différents bruits sonores, des odeurs fortes et beaucoup de va-et-vient. Puis, au milieu de toute cette agitation, un visage connu : Marthe.

Il aurait été de bon ton de faire un lien entre le métier de sage-femme de Marthe, l’endroit où elle travaillait et bien évidement la grossesse de mon épouse. À nouveau, en dehors des comédies satirico-dramatiques new-yorkaises orchestrées par un petit intello binoclard, ce genre de situation ne se produit jamais dans la vie réelle. Étais-je en train de rêver ? Peut-être que le buisson ayant heurté ma tête n’était en fait que les dalles en pierre bleue qui ornent le porche de ma maison ? Éventuellement, pouvais-je plaider la folie et la décompensation psychique ? Vous me direz qu’il faut être fameusement narcissique pour imaginer qu’en décompensant, ma vie serait semblable à un film américain indépendant. Bref, j’étais en train de me tortiller les pensées à démêler le vrai de la fiction lorsqu’un cri vint mettre un terme à toutes mes tracasseries, celui d’un nouveau-né, mon fils.

T. Persons

[Du même auteur]

 Épisode I : la nouvelle demande
 Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
 Épisode III : de l’art de la supervision
 Épisode IV : un heureux hasard
 Épisode V : le nouveau venu
 Épisode VI : une coïncidence douteuse…
 Épisode VII : une question de choix
 Épisode VIII : le poids des secrets
 Épisode IX : la ligne rouge
 Épisode X : autour d’un verre
 Épisode XI : savoir dire non (partie I)
 Épisode XII : savoir dire non (partie II)
 Épisode XIII : un métier dangereux
 Épisode XIV : les idées noires...
 Épisode XV : l’effet papillon
 Épisode XVI : un état de choc
 Épisode XVII : une rencontre inopinée



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